La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
Parte 1 : La France, une démocratie à l’agonie
Partie 2 : Des constats qui font craindre le pire
A suivre :
Partie 3 : La perversité de nos manipulateurs inconséquents !
Partie 4 : Les sources du chaos comme diagnostic de la morbidité !
Partie 5 : Des conséquences qui semblent clairement inéluctables !
Partie 6 : Les solutions à mettre en oeuvre si l’on retrouve un peu de courage !
Évoquer les difficultés que rencontre l’exercice de la démocratie dans notre pays depuis plusieurs décennies m’amène à rappeler les relations profondes de la France avec l’État de droit et le Contrat social. On comprend que notre Nation se sent de plus en plus désemparée face à la fragilisation des liens qui unissent historiquement l’État et ses dirigeants, et le peuple. On sent que l’équilibre difficilement tissé au fil des siècles est en passe d’être rompu entre les individus pris dans leur identité individualiste et le groupe collectif qui semble avoir cessé de jouer son rôle rassembleur et normatif.
La France est en danger, cela semble de plus en plus évident, à en entendre les nouvelles quotidiennes diffusées par les médias, à écouter ce qu’en disent les Français dans leur vie de tous les jours, après ces périodes anxiogènes qu’ont été les confinements et la pandémie du Covid 19 (et les suivants), la déclaration de guerre de la Russie contre l’Ukraine et ses exactions multiples, les crises d’approvisionnement consécutives aux blocus, aux embargos et aux pénuries, et désormais à l’inflation et aux désordres économiques multiples qui appauvrissent les plus démunis du fait des actions des multinationales et de leur recherche insensée de profits !
Le monde dit « libre », est lui aussi en danger d’explosion ! Physiquement, il résiste mal aux dangers des bouleversements climatiques. Politiquement, il réagit avec brutalité aux excès des grandes puissances qui entendent bouleverser l’ordre international hérité des très anciens accords de Yalta, avec la montée en puissance des dictatures les plus peuplées du monde qui entendent asseoir leur suprématie sur la planète et écarter les démocraties du vieux monde en les entraînant dans une guerre économique oublieuse des grands principes humanistes du siècle des Lumières.
Tous ces risques donnent à réfléchir et il est délicat de faire la part des choses entre la réalité et les fantasmes. Mais tout laisse à penser que nous devons commencer par remettre de l’ordre dans notre propre pays qui semble faire fi de ses fondamentaux et ses valeurs ancestrales, combattu de l’intérieur par des élites de moins en moins compétentes et de l’extérieur par des manipulations insidieuses.
Pour poser les problèmes, il faut souvent partir des constats les plus simples, et analyser la dérive des comportements sociaux de base. Et quoi de plus remarquable, ou exemplaire pour illustrer cette progressive « descente aux enfers » que de prendre l’exemple sociologique du rapport si particulier au véhicule automobile, au véhicule particulier, prolongement historique s’il en est de la personnalité individuelle, je veux parler du rapport à la « bagnole ».
La France, comme on le sait, a compté parmi les inventeurs de ce merveilleux moyen de locomotion, et sans remonter au Fardier de Cugnot construit en 1769, ce véhicule ancestral à vapeur qui a vu le jour juste avant les années sombres de la Terreur, on peut dire que la France, avec d’autres bien-sûr, a, notamment après la seconde guerre mondiale, participé à l’essor mondial de cette culture automobile basée sur cette soif inextinguible de parcourir le monde en tous sens, quitte à piller les ressources en énergies fossiles de la planète et de provoquer les prémisses de la pollution qui nous accable aujourd’hui avec les bouleversements climatiques désastreux dont parlent quotidiennement les médias et qui pourraient bien, à termes, remettre en question notre vie terrestre.
L’accès à la « voiture » a marqué de son empreinte l’histoire du monde à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Si le « tout » bagnole a apporté beaucoup aux terriens en termes de bonheur, de confort, de découverte et de développement économique et culturel, il a aussi eu des impacts forts et visiblement négatifs sur l’évolution de nos sociétés.
En termes économiques, l’industrie de l’automobile et ce qui l’accompagne, la production pétrolière, le développement des voyages (y compris par avion et par bateau) ont créé des besoins dont les citoyens se sont vite sentis prisonniers, l’État rajoutant sa part en constatant tout l’intérêt qu’il avait à en tirer en termes de ressources directes et indirectes, poussant ainsi les contribuables vers des dépenses alléchantes mais finalement parfois inutiles et sources d’appauvrissement. La multiplication des besoins liés aux transports, aux logements, a entraîné pour les population des coûts et des impôts de plus en plus exorbitants et impossibles le plus souvent à éviter. Je songe là à tous les moyens financiers engloutis dans le développement des besoins liés aux automobiles, aux déplacements, aux transports à assumer entre les lieux de travail et les domiciles de plus en plus éloignés des centres de vie.
En termes sociaux, il conviendrait de comptabiliser, de façon morbide, le nombre de morts et de blessés causés par la pratique de l’automobile. Rappelons que depuis l’après-guerre jusqu’à nos jours, environ 700.000 personnes ont été tuées sur les routes de France. Dans les années 1970, on approchait des 20.000 morts par an. Certes, les autoroutes étaient en voie de construction, le revêtement des routes était de qualité aléatoire et leurs profils dataient parfois de l’époque passée des voitures à cheval. Certes les véhicules eux-mêmes étaient parfois de conception imparfaite, sujette aux pannes et à des défauts de fabrication pouvant provoquer de graves accidents et, en 50 ans, beaucoup a été fait pour faire baisser ce chiffre affolant. L’amélioration de la sécurité routière a été marquante, le nombre de décès annuel est retombé désormais aux alentours de 2.000, ce qui est toujours trop important dans le cadre de la vie citoyenne, une amélioration statistique qui résulte de tous les efforts entrepris sur les infrastructures, la conception, l’entretien et l’exploitation des routes, des améliorations apportées aux véhicules à travers la sécurité passive et active et de la pression mise sur le comportement des conducteurs, par l’éducation, la prévention, et la répression.
Il faut avoir connu les années 1950, ou avoir des parents babyboomers qui peuvent encore en parler pour se faire une idée de la façon dont on conduisait à l’époque, des risques que l’on prenait au volant et des mentalités qui habitaient l’esprit des conducteurs. La France ayant toujours été un pays de « bons vivants » insouciants, en absence de contrôles réels d’alcoolémie, on peut sans conteste assurer que l’état d’ébriété rajoutait beaucoup aux risques déjà évoqués de l’état des routes et de la qualité des moteurs.
Habité par ce regain d’esprit bien français de l’époque des Trente Glorieuses, le conducteur basique lambda était le « roi de la route » et ses excès ne faisaient que développer des risques accrus de provoquer des accidents, selon un comportement lié à la thèse déjà évoquée que le propriétaire d’une voiture la considérait comme un prolongement de sa maison ou de son propre corps, en somme sa « propriété » pleine et entière ! « Je suis chez moi, et je fais ce que je veux » ! Une façon bien humaine, bien française, de ne respecter que sa propre loi. La voiture automobile avait été créée pour libérer les hommes des servitudes de la marche à pied et de l’immobilisme. Il fallait qu’aucune limite ne puisse entraver cette envie de liberté !
Par ailleurs, les autres (conducteurs) étaient fatalement de mauvais conducteurs, voire des « chauffards » assassins. Les jugements à l’emporte-pièce se fondait souvent, et humoristiquement je le rappelle ici, sur la marque de la voiture que l’on détestait chez l’autre ou de l’origine géographique du chauffeur que l’on repérait par les deux derniers chiffres de son immatriculation.
Une plaque finissant en « 75 » se traduisait par un traditionnel « encore un de ces parigots prétentieux » ! Quant aux autres plaques, elles identifiaient fatalement des « péquenots » !
Aujourd’hui, tout cela relève d’un folklore passé, mais ce n’est pas pour cela que les routes sont désormais plus sûres et que les automobilistes en sont, pour le coup, devenus meilleurs, plus prudents ou plus sobres, en résumé, plus respectueux des lois.
Actuellement, sur 38 millions d’automobilistes que comptait la France en 2019, 770.000 chauffeurs environ roulaient alors sans être titulaires du permis de conduire. Bien évidemment, on sait que la multiplication des pertes de points du permis de conduire pour de tous petits excès de vitesse est de nature à pousser des usagers ayant besoin de se déplacer à prendre ce type de risque et on a compris que des études sont en cours pour réformer ce système relativement injuste. L’État qui en fait surtout une affaire de ressources fiscales pourrait se limiter à au prélèvement des amendes pour des dépassement de moins de 30 km/h de la vitesse autorisée. Mais, en l’état, les choses sont ainsi, et il faut savoir que le nombre de ces quelques 800.000 conducteurs qui commettent cette infraction est en pleine croissance depuis des décennies, et que, par voie de conséquence, ces citoyens roulent sans être assurés et prennent ainsi des risques démesurés pour eux et leurs proches, et même pour les victimes, en dépit de la loi Badinter de 1985, la charge des indemnités revenant de ce fait à la collectivité avec toutes les limites que cela représente.
Il faut aussi rappeler que l’alcoolisme au volant n’a pas disparu avec la fin des années d’après-guerre. Le vin rouge bien français a été largement remplacé par des alcools plus modernes et l’on sait que 50.000 personnes meurent (pas seulement sur la route) chaque année. Certes le volume des dépistages relatifs à l’alcool au volant a diminué de plus de 10 % en 10 ans, avec plus de 10 millions de procédures, et un chiffre de procédures délictuelles de près de 200.000 jugements correctionnels, ce qui représente environ 25 % des affaires jugées par les tribunaux. Cette statistique peut paraître banale mais elle montre surtout la réalité d’un pays dans lequel le respect de la loi est très aléatoire, respect qui s’étend à d’autres comportements non responsables des citoyens face à la Loi.
Puisque l’on parle des morts sur les routes et de l’alcool au volant, peut-être est-il bon de rajouter désormais les morts qui sont dues à la consommation accrue de stupéfiants (en dehors bien-sûr des décès dus à l’utilisation d’armes de guerre de type kalachnikov). Les accidents mortels dus à la consommation de stupéfiants sont loin d’être quantité négligeable, puisque, chaque année, 700 personnes sont tuées sur les routes dans un accident impliquant un conducteur ayant consommé des drogues, soit 21% de la mortalité routière.
Quelques autres exemples du non-respect des lois de ce pays
Comme je l’ai déjà évoqué dans une chronique récente, les conditions actuelles de la circulation automobile dans les agglomérations importantes, et tout particulièrement en Ile-de-France, sont une nouvelle preuve de cette désinvolture avec laquelle les citoyens envisagent désormais le respect normalement dû à la Loi. Qui peut comprendre en effet comment et pourquoi les cyclistes ou les conducteurs de trottinettes (électriques ou non) peuvent se permettre, depuis quelques ajustements apportés au code de la route, de foncer sans grandes précautions sur les trottoirs, de brûler tranquillement les stops, de franchir sans coup férir les feux tricolores et de prendre les rues en sens interdit ? Dès lors que la loi n’est plus la même pour tout le monde, qui va se soucier, par ailleurs, de la respecter scrupuleusement ?
Et si l’on devait élargir le débat, que dire du développement de la criminalité organisée qui gangrène certains quartiers de nos grandes villes, mais peut-être déjà aussi certaines de nos zones rurales plus discrètes, avec des trafics de stupéfiants de plus en plus importants, que ce soit par la quantité de produits mis sur le marché, ou du fait d’une organisation quasi mafieuse de plus en plus visible ? Mais surtout que dire de l’absence de réaction ferme des institutions de la République qui renonce souvent à combattre ces fléaux, au point que l’on parle désormais de zones de « non-droit », au sens où, selon les autorités policières, ces quartiers ne peuvent être contrôlés que lors d’opérations de maintien de l’ordre nécessitant l’engagement temporaire et limité à quelques jours, de forces démesurées alliant des compagnies de CRS à d’autres unités telles que la PJ ou les BRI ?
Quelle analyse ?
Après ces exemples choisis de façon quelque peu provocatrice, je pense pouvoir affirmer qu’ils sont révélateurs d’une perte de valeurs de l’État de droit et du respect que devraient s’imposer les citoyens réunis en une communauté d’intérêt autour de l’idée de Nation. Or, force est de constater, comme je l’ai indiqué qu’après les confinements dus à la pandémie du Covid 19 qui avaient vus les Français se réunir dans une force commune face aux drames et aux peurs, les mentalités déjà largement empreintes d’égoïsme depuis quelques années, se sont à nouveau exacerbées et que l’individualisme forcené à repris sa force sur les esprits français.
La Nation ne semble plus avoir la valeur qu’on lui attribuait autrefois. Les exemples qui devraient venir des élites ne semblent plus exister et en tous cas ne convainquent plus grand monde. Les Français montrent des fracturations multiples, entre les régions, entre les écoles de pensées, entre les communautés et les religions qui, pourtant, n’ont pas droit de « cité » dans un pays laïc, entre les partis politiques qui ne représentent quasiment plus personne et ne se démarquent plus par les idées mais par les ambitions, et surtout entre ceux qui pensent pouvoir tout avoir, et ceux qui comprennent qu’ils n’auront qu’un seul avenir, celui de la misère économique, celui des dettes et de la précarité.
À cela se rajoute l’impact nauséabond des manipulations émanant des réseaux sociaux, des groupes de pression étrangers, etc. Comment peut-on encore laisser des prêcheurs haineux, colporter des contre-vérités au nom d’une foi qu’ils ne connaissent pas dans le seul but de provoquer le chaos. Nous connaissons ces agitateurs, nous pouvons mettre un terme à leurs agissements. Mais le prix à payer, c’est encore et toujours le pétrole du Moyen Orient, de ces pays, qui au nom d’une sourde vengeance, financent ces prédicateurs morbides. Et pourtant, au XXIe siècle, nous pourrions désormais nous passer de ces énergies fossiles ! Mais nos dirigeants sont-ils prêts à se passer des dollars ?
Bernard Chaussegros