La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
Nous sommes tous épouvantés en apprenant que des hommes, des femmes et des enfants trouvent la mort en méditerranée ou en traversant la Manche. Nous sommes d’ailleurs encore plus choqués par les drames qui surviennent entre Grande-Synthe et l’Angleterre, et nous nous sentons encore plus concernés quand il s’agit de réfugiés qui ont été accueillis dans des centres d’hébergement installées dans la région des Hauts de France.
On sait d’ailleurs que nombre d’entre eux n’arrivent dans ces bidonvilles du bout du bout de leur périple que pour tenter de rejoindre la Grande-Bretagne qu’ils imaginent à tort être un pays de Cocagne, alors que les Britanniques qui ne souhaitent pas les accueillir et feront tout pour les refouler.
Nous pouvons par exemple citer ce qui se passe chaque semaine à Roscoff (important port de fret du Finistère Nord), base d’une compagnie maritime dont les ferries embarquent des camions de toutes origines dans lesquels très régulièrement des migrants tentent de se glisser sous les bâches. Il faut savoir qu’à leur débarquement, en Angleterre ou en Irlande, ces personnes en détresse, souvent des familles entières, se voient privées de leurs papiers d’identité et remis dans le premier ferry pour être ramenés à Roscoff, à charge pour l’autorité judiciaire locale de gérer la question, et cela depuis des décennies. C’est la grande fraternité européenne.
47,5 % des migrants sont originaires d’Afrique
Comme beaucoup de Français, nous sommes également scandalisés par les conditions dans lesquelles ces êtres humains qui ont fui leurs différents pays d’origine pour de multiples raisons, se retrouvent parqués comme des animaux dans des conditions d’insalubrité immonde, et ce malgré tout l’engagement et la bonne volonté des associations locales. Si les réfugiés sont souvent originaires du Moyen-Orient (Irak, etc.) ou des pays d’Asie (Indonésie, Pakistan), la majeure partie des migrants (47,5 % sont nés en Afrique).
Nous devons nous interroger sur les raisons qui poussent ces personnes et ces familles à quitter leur pays et à prendre des risques importants pour leur vie en voulant rejoindre la France. Une telle attitude s’explique par la conjonction de multiples causes, le manque de travail, l’absence de liberté, le déficit de formation pour les jeunes générations, les conditions climatiques éprouvantes, par exemple.
Entre la difficulté d’accueillir des personnes déracinées, transplantées d’une culture à une autre et quasiment dans l’impossibilité de s’intégrer ou de trouver un emploi en France, et une politique d’aide au maintien des migrants dans leur pays, il ne devrait y avoir aucune hésitation.
C’est l’objet de cet article. Car au-delà des questions humanistes (que faire pour aider ces personnes en situation de précarité ? et comment leur donner les moyens de vivre dignement ?) on se heurte à des considérations sociétales, politiques et religieuses, on touche à des enjeux planétaires, économiques, écologiques et on doit tenir compte de l’absence de formation des migrants.
Bien évidemment, rien n’est parfaitement tranché : tous les migrants ne répondent pas aux mêmes critères, sauf sans doute à l’un d’entre eux qui nous parait structurant. Ces candidats à l’exode se sentent obligés de quitter leurs racines géographiques religieuses et ethniques par nécessité de survie.
L’afflux de migrants pose d’importants problèmes même dans un pays réputé pour ses valeurs d’accueil et de tolérance
Rejet par une partie de la population
Pour la plupart d’entre eux, l’intégration est impossible. La pratique très imparfaite de la langue, la méconnaissance des modes de vie et des coutumes locales, contribuent à les rejeter dans des ghettos, et ce d’autant qu’en absence de documents d’identité réguliers et de qualifications, ils ne peuvent ni travailler, ni prétendre à un logement.
Les migrants se regroupent et tentent de se débrouiller par tous les moyens. Les plus faibles tombent rapidement sous la coupe de groupes mafieux dont l’intérêt bien compris est de maintenir ce statu quo de la misère.
Les habitants des quartiers concernés ne peuvent supporter cette intrusion dans leur quotidien de pratiques venues d’un monde inconnu, ces vêtements étranges et ces pratiques religieuses dont les intellectuels bien-pensants se plaisent à vanter la richesse. Et delà naît le racisme, qui n’est autre chose que la réaction de peur des braves gens, parfois manipulés, de voir disparaître à termes leur mode de vie. Petit à petit, devant l’inconnu, le rejet de l’autre, la colère, font place au racisme et à la violence. Surtout quand, au surplus, certains prédicateurs viennent faire du prosélytisme, ou comme on l’a vu il y a deux jours, s’attaquer à une procession et proférer des menaces de mort à l’encontre des fidèles.
C’est ce que l’on pourrait appeler les contradictions internes du système français du respect d’autrui et de soi-même, quel qu’en soit le prix ! On prône la tolérance, sans se rendre compte que l’on finit par tolérer jusqu’à l’intolérance. Ces principes doivent être réciproques ou ne peuvent pas être.
Passons sur l’éternelle question des fraudes aux prestations sociales, sur lesquelles les gazettes s’expriment à tout va. Mais cela créée une ambiance propice aux conflits, aux replis sur soi, à la ghettoïsation, aux rancœurs, et à n’en pas douter, un jour ou l’autre aux insurrections.
Car le repli sur soi crée pour de nombreuses familles, notamment des enfants, des conditions de vie inacceptables. Mais pour l’État, l’effet est bien pire, on n’entre plus en uniformes dans les ghettos qui deviennent des quartiers de non-droit. On sait, dans certaines communes du sud-parisien que des incendies sont provoqués, par exemple sur des véhicules automobiles, pour faire venir en urgence les sapeurs-pompiers et les caillasser à loisir.
Création d’une catégorie sociale misérable
Voilà tout le résultat d’une politique du « laissez-faire » fondée sur la bien-pensance. On accepte tout, on tolère tout, on parque des migrants aux cultures incompatibles, même entre elles et on se retrouve avec des ilots de misère, de débrouilles, de trafics en tous genres et de replis sur soi. On se retrouve dans un monde de non droit où même ceux qui souhaiteraient s’en sortir, évoluer, s’intégrer, en perdent la possibilité, comme ils perdent leur identité. Ils n’ont plus leur libre arbitre, quand ce ne sont pas en plus des prédicateurs radicaux qui sous couvert d’entraide et de charité, rallient à eux une jeunesse en manque de repères et d’idéal.
Cette perte d’identité se ressent aussi pour ceux qui transplantés, peut-être pour des raisons valables, d’un pays du Sahel ou d’Afrique de l’Ouest, se retrouvent sans connaître la langue, sans comprendre le mode de vie auquel ils sont confrontés. Or, à moins d’être armé d’un grand courage, ils ne trouveront jamais les moyens d’aborder le monde de la formation et du travail.
Ce ne sont pas les quelques exemples de cours d’alphabétisation qui nous sont régulièrement décrits par des responsables très respectables d’association qui changeront cette face visible du monde délétère dans lequel tentent de vivre les migrants.
Ils ne disposent pas de réelles capacités à s’intégrer, mais les groupes qui prennent le pouvoir en leur seins n’y ont d’ailleurs aucun intérêt. Il y a en effet dans leur lecture dogmatique des textes sacrés une immense incompatibilité entre les la pratique de leurs religions et les enseignements de leurs lois religieuses et le grand principe de la laïcité de l’État de droit Français.
On ne peut que faire le constat suivant : si beaucoup de Français en sont aujourd’hui à penser qu’il faut faire repartir ces immigrés dans leur pays (et même pire pour certains commentateurs politiques), il faut sans doute analyser le problème sous un autre angle, en l’occurrence sous l’angle du bonheur auquel tout être humain doit prétendre.
A quoi bon avoir été transplanté dans un autre monde si celui-ci ne répond à aucune des attentes de celui qui a traversé mille dangers pour se retrouver parqué dans des ghettos immondes, des HLM pourris dont les sous-sols servent à tous les trafics, recels de vols, stupéfiants, sexe, et terrorisme. On peut aisément imaginer le désarroi, notamment des femmes et des enfants qui ont perdu toutes leurs racines pour un tel enfer du quotidien.
Le propos ne se veut pas outrancier : la place de chacun, qui que nous soyons, est là où nous avons nos racines, nos habitudes, notre culture, nos paysages, nos amis et nos ancêtres. Pourquoi ces migrants ont-ils tout quitté pour un paradis illusoire (argent facile, modernité, etc.). On le sait, c’est pour des raisons liées à la politique et à l’économie de leurs pays, aux difficultés climatiques, et à la corruption.
Comment accompagner les états africains dans leur développement
En terme politique
Il existe de nombreux processus de dialogue entre la France et l’Afrique. Ces dialogues offrent à chacun une occasion de contribuer à relever des défis communs. En général, animés par des philosophes, des politologues et des historiens, ils rassemblent des personnalités africaines reconnues et indépendantes, des acteurs de terrain qui s’intéressent à l’avenir de la relation entre l’Afrique et la France, et heureusement, aussi des chefs d’État.
Cette idée est partie de l’initiative d’une douzaine de pays en 2021, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la République démocratique du Congo et la Tunisie, que de nouveaux États rejoignent régulièrement.
Les thématiques qui sont abordés dans ces instances de concertation et d’études sont nombreuses et, bien évidemment incontournables, l’égalité femmes-hommes, la démocratie et la gouvernance, l’aide publique au développement et ses impacts, la préservation de la biodiversité, les nouvelles technologies, l’employabilité ou encore la mobilité des jeunes.
Il faut se souvenir que récemment le président de la République Française a rencontré de jeunes Africains lors d’un sommet afin de les voir s’exprimer sur des sujets aussi variés que la démocratie dans leurs pays respectifs, mais aussi les relations entre leur pays et la France. Le président français a immédiatement été interpellé sur le sort des migrants en Méditerranée.
Originaires du continent entier, les participants ont voulu faire connaître avec sincérité leurs attentes et leurs frustrations sur la démocratie et la relation avec la France, interpellant directement le président Emmanuel Macron lors de ce sommet.
Ils ont même fustigé le « colonialisme », « l’arrogance » ou le « paternalisme français », et « bousculé » le président français qui a défendu sa sincérité et nié tout paternalisme.
Une jeune Malienne a clairement exprimé que la jeunesse Africaine n’avait pas besoin d’aide, mais de coopération. Un jeune Sénégalais a, quant à lui, demandé à la France de cesser de coopérer et de collaborer avec les présidents dictateurs.
Depuis la décolonisation, souvent pour des raisons économiques (gisements énergétiques, minerais, etc.) mais aussi pour des raisons stratégiques, la France a largement investi dans les économies africaines. Mais force est de constater que ces fonds ont sans doute plus contribué à la montée en puissance d’une certaine aristocratie affairiste proche des différents chefs d’État, cet état de fait étant largement favorisé par la division de la population en castes et en sous-groupes ethniques.
La stratégie en cours dans la seconde moitié du XXème siècle ne doit plus avoir cours aujourd’hui. L’évolution des populations locales vers la paupérisation est de la responsabilité des chefs d’État Africains. Surtout quand le résultat se traduit par des vagues d’émigration importantes, que ce soit pour fuir des conflits tribaux, ou pour fuir la misère économique.
En terme environnemental
Politique, guerre, misère économique ne sont pas les seules raisons des vagues d’immigration. Comme chacun le sait la désorganisation des climats, la sécheresse et la pénurie en eau potable touchent plus largement l’Afrique que partout ailleurs. Même s’il ne faut pas minimiser les ravages des cyclones, de la montée des eaux et des inondations, l’absence d’eau, mais aussi la difficulté d’accès à l’énergie, on le sait, rendent la vie impossible.
À la suite des engagements de la COP 21, la somme des engagements actuels met la planète sur une trajectoire de +3°C, voire 3,4°C (source ONU). « Si nous ne commençons pas à prendre des mesures supplémentaires dès maintenant, nous finirons par pleurer devant une tragédie humaine évitable », a prévenu Erik Solheim, directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). « Le nombre croissant de réfugiés climatiques frappés par la faim, la pauvreté, la maladie et les conflits nous rappellera de façon incessante notre échec. La science a montré que nous devons agir beaucoup plus vite », ajoute-t-il. Déjà en 2002, il y a presque 20 ans, le Président Chirac avait été l’un des premiers à sonner l’alerte en prononçant ces mots désormais gravés dans l’histoire : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».
S’agissant du problème de la faim dans le monde africain, des règles devraient être édictées pour protéger les États, mais les populations doivent également s’impliquer. En Afrique de l’Ouest, des bateaux de pêche chinois, russes ou européens se livrent à un pillage systématique des ressources halieutiques. Les requins ou les mérous sont menacés de disparition. L’océan pollué, la mer est une poubelle et d’innombrables déchets recouvrent les fonds marins. Il faudrait aussi pouvoir impliquer les populations locales dans la préservation de leurs écosystèmes, dans l’exploitation de leurs propres ressources et dans la surveillance de leur environnement. Mais il faut surtout que les gouvernements africains modifient leurs lois dans le sens d’une plus grande sévérité et d’une vraie contrainte contre les pilleurs et pollueurs.
De nombreux spécialistes se penchent sur des questions qui recouvrent un grand pan de l’écologie africaine, partant du principe que toutes ces actions permettront de retrouver les équilibres naturels propices à une vie harmonieuse en Afrique.
C’est le cas de ceux qui prônent que, pour réduire les émissions des gaz à effet de serre liées à la déforestation et à la dégradation de nos forêts, il faut lancer des campagnes de reboisement dans un objectif d’agriculture durable, en associant aux arbres une fertilisation des sols par des cultures ciblées. Par exemple, nous leur expliquons comment fertiliser les sols avec des légumineuses plantées dans les allées (engrais vert naturel) afin d’éviter l’agriculture sur brûlis.
Pour les énergies renouvelables, les idées sont nombreuses, comme implanter des mini-centrales hydrauliques et solaires, utilisant les deux ressources dont le pays regorge, afin de remplacer le bois-énergie par une énergie propre et renouvelable. D’aucuns, justement, prônent de réduire la consommation mondiale de pétrole afin de diminuer son exploitation. L’extraction du pétrole dégrade l’environnement à tous les niveaux : les fuites polluent le sol et le sous-sol jusqu’à cinq mètres de profondeur, les rivières sont contaminées, l’air ambiant est saturé par les émanations de gaz.
Les populations Africaines sont pleinement engagées dans des actions volontaires de nature à rendre leurs pays à nouveau attractifs et à empêcher cette perte de leurs énergies vitales. Mais ils ont besoin d’aide, par exemple pour lutter contre les criminels environnementaux et les juger.
C’est notamment le cas à Madagascar où le pillage des ressources naturelles a pris une ampleur considérable depuis plus de 10 ans, par exemple pour les bois précieux. C’est ce que dit Ndranto Razakamanarina, président de l’Alliance Voahary Gas : « Pour mettre un terme à ce trafic, la première chose à faire, c’est de lutter contre la corruption généralisée, car rien ne serait possible sans la complicité des autorités : des juges, des gendarmes, des militaires et même certains élus profitent de ce trafic. […] C’est une question de volonté politique. Il faut aussi tarir la demande, qui vient d’Asie. Pour cela, il faut développer la notion de crimes environnementaux, et même le concept de crime d’écocide. Il faudrait une cour internationale pour les juger. »
Des priorités pour le développement du continent africain
Comment faire pour que l’Afrique connaisse enfin un vrai développement ? En misant sur la démographie, la santé et l’éducation, les femmes, la sécurité et l’apprentissage des langues. L’Afrique est multiple. Elle est constituée de nombreuses ethnies différentes réparties en plus de cinquante pays d’inégales richesses, parvenus à des degrés d’évolution différents. La solution est donc loin d’être unique.
L’Afrique a pour la XXIème siècle une ambition, celle de donner à ses enfants un avenir de paix et de progrès. Et pour cela, elle doit se fixer des priorités, se donner pour ardente obligation d’observer une discipline et des règles.
L’Afrique compte de 400 à 500 millions de pauvres, qui n’ont même pas l’électricité. Et l’accroissement de la population Africaine, ne sera pas, pour les africains eux-mêmes la panacée. En effet, les enfants d’Afrique, si rien ne change, seront alors « innombrables et misérables ». Ce sont les États qui doivent réussir à établir une croissance économique de l’ordre 5 % par an, tout en baissant la croissance démographique à 1 % par an. Difficile mais nécessaire objectif.
Et l’Afrique ne trouvera le chemin du progrès, qu’en se donnant pour priorité absolue d’éduquer les Africaines, la moitié de sa population. Les femmes actives « boostent » la croissance économique. Il est donc impératif d’améliorer considérablement le taux d’emploi des Africaines, actuellement trop bas.
L’Afrique doit se départir du monolinguisme largement imposé par les pays de culture arabe. Les pays arabisés d’Afrique du Nord souhaitent que leurs concitoyens soient aussi handicapés qu’eux. Mais de nombreux pays utilisent encore les langues des anciens colonisateurs : le français, l’anglais ou l’italien.
Nombreux sont ceux qui croient à cette vertu : sans bilinguisme ou, mieux encore, trilinguisme, l’Afrique restera coupée du monde développé, de sa production intellectuelle et de l’innovation.
Un secteur où la France peut mobiliser ses énergies
L’avenir de l’audiovisuel français a raison de compter sur l’Afrique francophone. Dans ce secteur, le potentiel de demande de matériels et de contenus y est immense. La France pourrait y jouer un grand rôle si les entreprises savent réinventer leur modèle économique.
De lourdes menaces pèsent sur l’avenir de l’audiovisuel français. Parfaitement diagnostiquées, comme l’a par exemple montré l’étude de la chaire « médias et marques » de Mines ParisTech dirigée par Olivier Bomsel, l’équilibre sur lequel l’écosystème audiovisuel français était fondé est profondément remis en cause par le numérique. Parmi les solutions évoquées, la création de nouveaux débouchés pour notre industrie est l’une des plus importantes. La pénétration de nouveaux marchés est en effet la clé du développement de nouvelles recettes, seules capables de contrebalancer la baisse inéluctable des financements de la TV. Les industriels de l’image doivent réaliser que l’Afrique (et tout spécialement sa partie francophone) représente une opportunité immense qu’ils doivent saisir, avec l’aide active de l’État.
Il s’agit d’une opportunité pour tout le secteur ! Le continent africain connaît, même si c’est à un rythme différent de celui de l’Europe, une forte diffusion des technologies numériques. Le potentiel de demande de matériels et de contenus est immense. L’Afrique subsaharienne francophone représente 200 millions d’habitants. On sait qu’en 2040, 40% des adolescents du monde seront Africains. Une telle population est susceptible d’adopter plus facilement et de diffuser son engouement pour les nouvelles technologies. L’arrivée du numérique en Afrique est une opportunité pour l’ensemble du secteur, de la prestation à la diffusion en passant par la production. Tout y est à faire, infrastructures à pérenniser, ADSL à diffuser hors des grandes villes, tissu de production local à développer, marché publicitaire à stabiliser, etc. Chacun des chaînons de la filière peut trouver en Afrique matière à diffuser son savoir-faire dans un intéressant échange où chacun trouvera son juste salaire.
Le potentiel de croissance du continent africain est immense. Comme le notait déjà en 2014 un rapport de la Banque Mondiale, cette croissance devra, pour être forte et profitable aux plus pauvres, reposer sur des investissements créateurs d’emplois à la fois dans le domaine industriel, et dans celui de l’innovation technologique. Contrairement à quelques visions simplistes suggérant de commencer par les produits à faible technologie avant de monter en gamme, l’avenir du continent africain passera en réalité avant tout par l’épanouissement de l’économie numérique en général et de la filière de l’image en particulier.
L’attente est très forte en Afrique pour consommer des contenus « vidéos » frais. Le développement fulgurant de l’utilisation des smartphones comme récepteurs d’images portables traduit l’extraordinaire envie de communication et d’échanges des consommateurs. Importer des programmes conçus, produits et d’abord consommés en Europe ne saurait être une solution satisfaisante. Les contenus ne deviendront réellement attractifs que s’ils sont réellement en phase avec la demande locale, ce qui implique qu’ils soient pensés et créés sur place. Cela implique qu’une réelle filière industrielle de l’image se développe en Afrique, laquelle pourra, à terme, produire pleinement des effets économiques bénéfiques sur la croissance locale.
Par ailleurs, il ne peut y avoir de développement économique pérenne s’il ne repose pas sur le numérique, qui génère tant d’économies d’échelles et d’externalités, ce qui nous ramène à un sujet central, les questions de financements. Il n’y a pas, dans les pays Africains, suffisamment d’annonceurs sérieux pour apporter leur quote-part aux projets, principal obstacle à l’éclosion d’un écosystème industriel pour la production de contenus. Cette situation s’explique par une longue tradition de contrôle du contenu et du financement des médias par les pouvoirs en place. Avec le numérique, les médias vont pouvoir brutalement s’affranchir de la puissance publique, ce qui posera de façon neuve la question de leur équilibre économique.
La France n’est pas assez présente en Afrique, notamment avec cet état d’esprit de vouloir accompagner les États dans leur développement. Alors qu’elle avait participé dès le début des années 2000 à l’implantation du secteur, la France s’est laissée progressivement marginalisée par des pays comme la Chine ou les Etats-Unis. Les déboires de certaines de nos entreprises ont laissé des traces dans les mentalités de nos entrepreneurs. Alors que la filière française de l’image manque fondamentalement de relais de croissance, le moment est venu pour un retour commercial gagnant dans une zone qui s’ouvre à nouveau à tous les possibles.
Mais pour réussir un tel pari, notamment avec l’objectif de soutenir les initiatives locales, il faut réinventer le modèle économique en s’interrogeant sur les moyens à mettre en oeuvre. La situation particulière du continent africain, où les États n’ont pas traditionnellement un rôle suffisamment structurant comme en Europe, nécessite que soit réinventé le modèle économique ! Ainsi, il faut remplacer l’erreur française du « parachutage » de subventions par la recherche et la mise en oeuvre de partenariats locaux. De grands groupes français déjà présents en Afrique, tels Orange ou Bolloré peuvent et surtout doivent permettre d’introduire sur le secteur une myriade d’entreprises innovantes, beaucoup plus petites, mais en grande complémentarité par les projets.
La proximité culturelle et historique de la France avec l’Afrique doit permettre de mettre en place des partenariats à long terme sur l’ensemble de la chaîne de l’image avec des entreprises locales qui doivent être accompagnées dans leur éclosion et dans leur déploiement, à l’image de ce qu’a pu faire avec succès de Canal Plus. L’État local devra toutefois jouer son rôle en contribuant à structurer juridiquement le marché et en coordonnant le financement des entreprises locales. La France, de son côté, devra apporter son aide, soit technique par un accompagnement du CSA, soit financier par l’intervention de la BPI.
Pour la France elle-même, ce que l’on appelle « l’exception culturelle française » est en effet un véritable atout pour son rayonnement. Le secteur de l’image peut faire la preuve que l’économie française peut s’exporter. Mais pour un tel résultat, il faudra qu’enfin nos entreprises sachent jouer la carte des alliances stratégiques et que l’État adopte de son côté une vision claire de son rôle. Il serait par exemple particulièrement bienvenu que le CNC conçoive une politique ambitieuse destinée aux programmes francophones en Afrique. « L’exception culturelle » française pourrait réellement cesser d’être un sujet de stigmatisation au niveau international pour devenir un véritable atout de rayonnement.
Désormais, les médias doivent mettre en œuvre un large éventail de moyens de financement (placement de produit, parrainage des contenus par des marques…). Un tel savoir-faire ne s’improvise pas. Il s’agit d’une opportunité majeure pour les grands groupes de télécommunication et de production audiovisuelle français qui sont déjà implantés sur le continent et qui sont les seuls à disposer déjà des relais locaux, de la surface financière et des compétences réparties sur toute la chaîne de valeur, pour impulser l’épanouissement de l’économie numérique en Afrique. À l’échelle du continent, nos champions français peuvent devenir rapidement les promoteurs incontournables du développement économique africain.
L’ambition est donc bien plus importante que le simple succès commercial de nos entreprises puisque cette dynamique économique sera créatrice d’emplois, vecteurs d’espoirs pour les jeunes générations et garantira l’émergence indispensable d’une vraie classe moyenne. C’est à ce prix que la question des migrations pourra enfin s’envisager posément et rationnellement, car la jeunesse dynamique et pleine d’espoirs trouvera enfin chez elle les moyens de s’accomplir, plutôt que de s’endetter auprès de passeurs pour embarquer dans des radeaux de fortunes, avec comme seule issue y mourir ou échouer dans un ghetto insalubre et froid.
La France a encore, grâce à la vaste partie francophone du continent africain, un atout immense à faire valoir. Nos fleurons industriels, à l’affût de tous les relais de croissance, peuvent y trouver un précieux terrain d’expansion. Ils doivent pour cela saisir rapidement les opportunités qui s’y présentent en osant dès maintenant le numérique pour l’Afrique, et en Afrique.
Bernard Chaussegros