Par Gérard Teulière, universitaire, ancien diplomate culturel
Tribune. Plusieurs tragédies récentes — une retraitée de Mayenne décédée faute d’avoir pu être prise en charge par les urgences et un adolescent toulousain mort dans des conditions similaires — nous rappellent cruellement, s’il en était besoin, dans quel état d’indigence se trouve le système de santé français, notamment par manque de personnel disponible dans tous les domaines et spécialités.
La pénurie de soignants constitue une situation d’urgence absolue, a fortiori dans un pays à population vieillissante comme le nôtre. La décision de mettre fin au numerus clausus dans les études médicales va dans le sens d’une normalisation des recrutements mais elle ne portera ses fruits qu’à long terme. En outre, parmi les pistes envisagées législativement pour sortir du marasme, la solution qui consisterait à régulariser les praticiens étrangers exerçant déjà dans ces métiers (dits « en tension ») paraît très insuffisante. La question des titres de séjour est en effet corollaire de celle des titres académiques, puisqu’on constate que des infirmiers étrangers résidant déjà sur le territoire français de manière légale (par exemple pour raisons familiales) — se voient refuser de facto la validation de leurs diplômes dès lors que ceux-ci ont été décernés hors de l’Union Européenne.
Au moment où la France connaît une pénurie d’infirmiers généralistes ou de bloc opératoire, de telles dispositions se révèlent bureaucratiques et teintées d’ostracisme. D’une part, il n’est pas assuré que le niveau des études médicales et d’infirmerie soit systématiquement identique et satisfaisant dans tous les pays de l’Union. D’autre part, il est peu probable que beaucoup de soignants européens soient disposés à abandonner leur poste pour s’établir en France en échange d’avantages faibles ou nuls.
Il existe en revanche de nombreux pays, notamment en Asie et en Amérique latine, où les soins infirmiers sont d’excellente qualité, en particulier grâce à des centres de formation reconnus. On doit se garder de chercher à absorber les compétences de pays encore moins bien pourvus que le nôtre, mais il est absurde de rejeter a priori ou par intérêt corporatiste, via des directives généralisantes, les qualifications de soignants en provenance de ces zones (dits PADHUE)[1] qui pourraient apporter leur concours dans le cadre de missions bien encadrées, puis rentrer au pays forts d’une expérience professionnelle, cette forme de coopération jouant les deux sens. Quant à ceux qui résident déjà régulièrement en France pour raisons diverses, notamment familiales, au lieu de les décourager d’exercer en les contraignant à recommencer plusieurs années d’études, un sain pragmatisme devrait conduire à mettre en place une évaluation individualisée — certes rigoureuse et assortie éventuellement d’un complément de formation — mais en dehors même de tout critère d’origine géographique.
Il convient donc, parallèlement à une revalorisation générale de la profession infirmière en France et à l’ouverture de postes, de modifier au plus tôt les textes en vigueur[2] et d’étendre aux personnels infirmiers extra-européens (PADHUE) les procédures d’évaluation et d’autorisation d’exercice (CAE) existant déjà pour les médecins, les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes et les pharmaciens, et d’assouplir par ailleurs globalement ce même dispositif. ●
Gérard TEULIERE
Maître de Conférences honoraire
[1] Praticiens à diplôme hors Union Européenne
[2] En particulier décret du 7 août 2020 portant application de l’article 83 de la loi du 21 décembre 2006, relatif à l’exercice des professions de médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme et pharmacien