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La pépite française Swile à l’assaut d’Edenred et de Sodexo


Avec 13% de parts de marché et 15 000 clients, il est la nouvelle terreur du secteur des titres restaurant. Swile, c’est l’histoire d’un succès ultra rapide qui ne s’est pas construit par hasard, et d’un trentenaire, Loïc Soubeyrand, à la tête de cette licorne française qui vient de lever pas moins de 200 millions de dollars cette année.

Entreprendre - La pépite française Swile à l’assaut d’Edenred et de Sodexo

Avec 13% de parts de marché et 15 000 clients, il est la nouvelle terreur du secteur des titres restaurant. Swile, c’est l’histoire d’un succès ultra rapide qui ne s’est pas construit par hasard, et d’un trentenaire, Loïc Soubeyrand, à la tête de cette licorne française qui vient de lever pas moins de 200 millions de dollars cette année.

A ses débuts, après quelques expériences, Loïc Soubeyrand fonde à Montpellier « Teads », une régie publicitaire fondée sur une innovation, l’inread. A l’époque, cette trouvaille aide les éditeurs de presse qui produisent des contenus non vidéo à les monétiser grâce à une publicité non intrusive sur internet. L’entreprise devient rapidement leader de ce marché, se transforme en scale-up et vend son concept dans une trentaine de pays. Le chiffre d’affaires atteint 250 millions d’euros et emploie 600 personnes lorsque Teads est vendu à Altice pour 300 millions d’euros. Loïc Soubeyrand a alors 30 ans.

Un parcours sans faute

Trois mois plus tard, il lance « Lunchr », une plateforme numérique de prise de commandes de déjeuners sur place ou à emporter qui va vite évoluer de par l’intégration des tickets restaurant. La carte Lunchr se transforme si rapidement qu’elle provoque le changement de nom de l’entreprise qui devient « Swile ». Les services se multiplient et plusieurs levées de fonds permettent d’aller de l’avant. Il avait fallu 9 mois à Loïc Soubeyrand pour lever 200 000 euros pour Teads, il lui faut moins de 3 mois pour lever les premiers 2,5 millions lors du lancement de Lunchr.

De levée en levée

En 2018, Swile lève 11 millions auprès des fonds Daphni et Idinvest Partners, 30 millions en 2019 avec l’entrée de Kima Ventures (fonds Xavier Niel), 70 millions d’euros en juin 2020, et… 200 millions de dollars cette année. Une licorne est née. Le volume d’affaires de Swile s’élève à 850 millions d’euros en 2021 pour 520 employés, dont 1/4 se situe à Montpellier, 1/4 à Paris, 1/4 à Sao Paulo et 1/4 en télétravail. Swile a 13% de part de marché face aux leaders que sont Edenred, Natixis, Up ou Sodexo (condamnés il y a deux ans pour entente).

Une hyper-croissance responsable

Avez-vous déjà été tenté par un parcours classique de salarié ?

Loïc Soubeyrand : Non, jamais. L’occasion ne s’est jamais présentée, car dès mes études, je passais plus de temps à mettre en place des projets plutôt que d’aller en cours, même si j’ai eu mon diplôme. J’ai fait un Bac S Informatique et des études de gestion, mais je suis un généraliste, j’adore autant le produit que les chiffres et le business.

Y avait-il des entrepreneurs dans votre famille ?

L.S. : Pas du tout, je suis le « mouton noir » ! 100% de ma famille est dans la santé, mes parents sont médecins, urgentiste et gynécologue, mon frère kiné, ma sœur sage-femme, mes oncle, tante, marraine, tout le monde est dans ce milieu. Je suis limite en rejet de ce monde-là, et l’idée ne m’a jamais effleuré de l’intégrer.

Pourquoi être passé de la publicité au titre-restaurant ? C’est le digital qui vous plaît, le lancement, l’innovation, peu importe le secteur ?

L.S. : Pour moi, il y a deux choses importantes. Mon premier moteur pour relancer une société sitôt après avoir cédé Teads, était de mettre la culture d’entreprise au centre de tout, comme point de départ d’un succès collectif. Avec Teads, nous avons connu une hyper-croissance rapide, et en tant que primo entrepreneurs, nous avons fait beaucoup d’erreurs sur les sujets de la culture et du recrutement. Je m’étais dit qu’il fallait mettre à profit ces frictions passées pour faire cette fois-ci de l’hyper-croissance responsable et heureuse. Et pour y parvenir, j’étais prêt à entrer dans n’importe quelle industrie à partir du moment où il y avait du digital. Le second moteur, c’est qu’il y a beaucoup à faire pour digitaliser les industries en proposant la meilleure expérience possible.

Aviez-vous déjà la mutation de Swile en tête lors des débuts de Lunchr ?

L.S. : Non, cela s’est construit au fur et à mesure. J’avais la ferme intention de partir dans une aventure foodtech, avec une plateforme de commandes groupées, et l’idée de base, c’était le déjeuner, d’où le nom de Lunchr. Cette idée a été confrontée à la réalité du terrain dès le début, car 70% du paiement des déjeuners se fait en titres restaurant. J’ai compris que j’allais avoir un vrai problème, trouver une solution était une condition sine qua non, sans oublier que plus de 90% du marché des tickets restaurant était encore en papier. Pour donner vie à cette plateforme, il fallait d’abord s’attaquer au moyen de paiement des utilisateurs.

L’offre a beaucoup évolué depuis trois ans, du repas à la cagnotte en ligne, l’association à une carte bancaire, la prime d’intéressement… Dans quelle direction allez-vous ?

L.S. : Je vais essayer de simplifier tout cela : nous nous concentrons sur deux produits phare. La première jambe est la Swile card, une carte employé aujourd’hui dédiée à gérer l’intégralité des avantages salariés et qui sera demain à même de gérer toutes les typologies de dépenses professionnelles (salaires, frais, dépenses communes avec collègues, etc.). Elle est personnalisable, le PIN peut être choisi, etc. La deuxième jambe est notre application dédiée à l’expérience employé pour gérer les outils au quotidien. Cela concerne à la fois les relations avec les collègues, la possibilité de gérer tous les enjeux de célébration, de succès, d’anniversaires professionnels, les cagnottes, les félicitations, tout comme le dépôt des jours de congés, la consultation l’organigramme, etc. On sait qu’il existe en entreprise une quinzaine d’outils aujourd’hui que l’on utilise de façon sporadique, et il est pénible d’être obligé de se reconnecter sur des logiciels différents. Avec cette application, on ne se pose plus la question.

Votre dernière levée de fonds sera-t-elle essentiellement consacrée au développement international ?

L.S. : Oui, c’est l’objectif prioritaire, nous avons un bon début de match en France, et voulons devenir leader d’ici trois ans, mais nous comptons répliquer ce succès à l’international. Il est naturel de capitaliser sur notre expérience dans des pays tels que le Brésil ou le Mexique qui ont manifesté un intérêt historiquement fort sur nos sujets. Nous allons privilégier la croissance externe, comme nous l’avons fait au Brésil pour aller plus vite.

Les avantages salariés font partie de cet écosystème, quelle est votre vision personnelle du management ?

L.S. : Je pense que 100% des boites devraient être « people first » si je peux utiliser cet anglicisme, je suis convaincu qu’il faut accorder une attention absolue aux sujets de culture d’entreprise, et faire en sorte que les collaborateurs soient épanouis. A chaque dirigeant de trouver ses propres leviers. C’est de fait bénéfique pour tout le monde, pour la personne, l’équipe, donc le client, donc l’entreprise. Une fois que l’on s’est dit cela, le gros sujet est d’investir très tôt, très vite sur tous les sujets people (je n’aime pas le terme « ressource humaine », une personne n’est pas une ressource), notamment sur le département qui gère ce sujet, or il s’agit souvent de la dernière roue du carrosse, considérée comme un centre de coût alors que c’est un centre de profit.

Cette modification de paradigme est fondamentale, d’autant que les sociétés mesurent très peu le coût du désengagement des collaborateurs. Le changement est latent, il a subi une accélération avec la pandémie car ces sujets sont devenus essentiels. C’est une bonne chose que les mentalités changent, même si nous n’en sommes qu’au début.

Comment faire avec votre quart de salariés en télétravail à 100% ?

L.S. : Premièrement, il ne faut pas associer le télétravail avec l’arrêt des relations physiques. Il doit y avoir des rituels de rencontre ad minima trimestriels, si possible mensuels. Ce qui signifie que nous faisons le choix d’attribuer des budgets pour rencontrer ces personnes. Deuxièmement, l’entreprise doit s’armer technologiquement pour que le quotidien du télétravailleur soit vécu de manière positive, avec des feed backs réguliers, l’expression de la reconnaissance, des outils tels que des questionnaires. En fait, nous nous appuyons sur la technologie pour maintenir ce lien. Bien entendu, cela repose aussi sur la confiance. Je suis persuadé que quelqu’un qui est un travailleur au bureau va travailler chez lui, les gens ne changent pas du fait du télétravail.

Pour celui qui était déjà en souffrance en présentiel, cela ne va pas s’arranger. Évidemment, il y a des différences en fonction des secteurs, par exemple, la base est faussée pour de nombreux employés qui ne perçoivent leur travail que comme un job alimentaire. A Sao Paulo, nous avons fait un effort énorme sur la culture interne pour que nos clients voient que transformer une culture d’entreprise est compliqué, mais possible.

Êtes-vous un patron présent ?

L.S. : Je suis un patron beaucoup plus centré sur l’interne que l’externe. Je ne veux pas faire de la réussite à tout prix au détriment de l’épanouissement du collectif.

Propos recueillis par Anne Florin

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