Le pari est osé ! C’est à Bréville-sur-Mer, au nord de Granville, dans la Manche, que Thierry Rochas lance la première ferme aquacole mondiale de homards bleus. Son atelier de 1000 m2 est observé de très près par les professionnels de la filière.
L’ÉCLOSERIE QUI RÉUSSIT À FAIRE GRANDIR SES BÉBÉS HOMARDS BLEUS
Les viviers de King Lobsters Normandie sont installés à Bréville-sur-Mer dans la Manche, une initiative unique en son genre dans ce coin-ci du monde. Concrètement, la démarche consiste à acheter aux pêcheurs professionnels des homards femelles portant des œufs, les installer dans les bassins de l’entreprise, les cocooner jusqu’à ce que les œufs éclosent pendant la nuit. Le matin venu, les larves d’à peine un centimètre sont transférées pour être suivies jusqu’à leur adolescence et l’âge adulte.
VOUS TROUVEZ CELA CLASSIQUE ?
Pourtant cela n’a jamais été fait. Autant dire qu’il a fallu de nombreux tests pour parvenir à trouver l’environnement idéal pour ces bébés, dont l’eau de mer doit disposer de toutes les qualités requises pour que la croissance se fasse dans de bonnes conditions et accompagner l’animal jusqu’à la commercialisation en France et à l’étranger. Les ambitions sont grandes pour le dirigeant, Thierry Rochas, totalement confiant quant au potentiel de sa toute nouvelle entreprise.
DU VIN AU HOMARD
Thierry Rochas ne vient pas du milieu de la pêche, mais la gastronomie est plus qu’un hobby. Il travaille longtemps dans le commerce du vin, en France, mais aussi à l’étranger, notamment à Hong Kong où il crée entre autres un restaurant, La Fromagerie, centré autour du couple fromage/vin. De Hong Kong à Cherbourg, il y a un pas que certains ne franchiraient pas. Il avoue d’ailleurs « Le 13 janvier, je fêtais mon départ, 30 degrés dehors à Hong Kong. Le 15 janvier, période COVID, l’arrivée à Cherbourg fut un changement radical. Mais j’avais un projet de rêve, innovant, une première au monde avec de superbes perspectives.
Ce n’est pas si compliqué de bouger, d’entreprendre, il faut aller de l’avant ». En examinant le parcours de ce diplômé de la CCIP Paris, on s’aperçoit que le projet de King Lobsters Normandie a été minutieusement préparé. Thierry Rochas décide de suivre des formations digitales sur des supports créés par HEC ou Harvard University en 2020, l’année de création de King Lobsters Normandie. La vitesse de croisière n’est pas encore atteinte, car il faut compter plus de trois ans pour terminer le cycle complet de croissance du homard.
Les premiers adultes signés King Lobsters Normandie seront prêts en 2025. 20 000 homards bleus devraient être produits en cette saison 2023. Pour y parvenir, il aura fallu des journées et des mois passés à les observer afin d’apprendre comment répondre du mieux possibles à leurs besoins, en leur fournissant une alimentation biologique.
UN MARCHÉ BIEN IDENTIFIÉ
L’idée de Thierry Rochas est de proposer à sa clientèle, notamment asiatique, des homards haut de gamme 100% bio. La saison s’étend de mars à août, et la demande est forte en Asie, ainsi que dans les Émirats. C’est à Hong Kong que l’idée a germé. Les fruits de mer, et les homards en particulier, sont très prisés dans cette région du monde. Or, ces crustacés y sont quasiment tous importés des États-Unis.
Quant à la variété de homard bleu, elle est quasiment inexistante sur le marché. Pourquoi ne pas pallier ce manque tout en proposant de la production française ?Le marché est clairement ciblé, il s’agit de l’export même si la pêche française est loin d’être suffisante pour répondre à la demande du marché national en matière de homard bleu, puisqu’elle ne couvre qu’environ 1/3 des besoins. L’inauguration de la ferme a eu lieu en mars dernier alors que les premiers bébés avaient 9 mois, mais une deuxième ferme est déjà prévue.
En attendant que les bébés grandissent, l’équipe contribue à l’équilibre du bilan financier en commercialisant des homards achetés à la criée, permettant ainsi d’approfondir ses relations avec ses premiers clients. Thierry Rochas travaille également à la mise en place d’un système de franchises auxquelles il vendrait les juvéniles. L’étape d’après est déjà prévue, il y a de la place pour 4 ou 5 fermes, en France d’abord. Ensuite ce sera le tour de l’Asie avec la mise en place d’une levée de fonds importante.
ÊTRE ET RESTER LEADER
Pour 2025, les objectifs sont fixés, il s’agit ni plus ni moins de devenir le premier distributeur de homards d’élevage en Europe, alors que l’entreprise a une capacité pour quelques 100 000 homards par an. À condition évidemment que le financement soit au rendez-vous. À 50 ans, Thierry Rochas veut réussir son come-back en France. Pour ses débuts le fondateur a eu recours au financement participatif, via Tudigo. La levée de fonds est positive, le montant plancher de 580 000 euros ayant été dépassé. Pour tenir, il a aussi fallu avoir recours au love money pour plus de 100 000 euros. Le love money que le créateur qualifie de 3F (family, friends & … fools).
Environ 400 000 euros potentiels ont été ajoutés grâce à la région Normandie pour l’équipement et le bâtiment. L’ensemble doit permettre à l’entreprise de pro-céder à de nouveaux achats d’équipements et renforcer le besoin en fonds de roulement le temps que les homards atteignent la taille adulte. Une seconde levée de fonds est prévue, de l’ordre de 2,4 millions d’euros au total afin de créer la seconde écloserie et garder une longueur d’avance vis-à-vis des concurrents nord-américains et britanniques.
Selon Thierry Rochas, le marché est énorme, mais le succès dépend de l’avance que pourra garder King Lobsters Normandie. Pour cela, il travaille avec son équipe sur une innovation permettant une baisse des coûts d’ici la fin de l’année.
Hervé Morin, le président de la région, suit de très près cette initiative qui pour-rait appeler d’autres lancements.
Claudio Flouvat