Alors que les gros éditeurs engrangent des millions d’euros, 1.000 marchands de journaux ferment chaque année. Sans une profonde réforme, c’est la survie économique de nombreux éditeurs qui est en question.
Réformer la distribution de la presse, c’était l’une des promesses de François Hollande. Lui qui, paraît-il, rêvait enfant d’être marchand de journaux, s’affirmait en 2015 «très attentif à la situation des marchands de journaux qui contribuent pleinement à l’information de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire», affirmant même «qu’une réforme relative à la distribution de la presse était en cours de préparation».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la réforme se fait attendre alors que trois marchands de journaux ferment chaque jour et que ceux qui résistent souffrent. Certes, des mesures positives ont été prises, comme l’augmentation de la rémunération des diffuseurs, mais elles ne résolvent pas les problèmes de fond.
Un système né en 1947
La distribution des journaux en France repose sur un système original, mis en place par la loi Bichet au lendemain de la Libération, avec l’ambition d’assurer la libre diffusion et le pluralisme de la presse. Avec succès, puisque notre pays est l’un des plus dynamiques, avec plus de 3.000 titres et 25.000 points de vente.
Les éditeurs adhèrent à une coopérative qui assure la mutualisation des coûts et organise les moyens de distribution. L’éditeur qui adhère à une coopérative ne peut vendre au numéro ses titres en dehors du réseau de vente agréé des marchands de journaux.
Trois coopératives d’éditeurs sont aujourd’hui réunies dans deux sociétés de messageries : Presstalis, qui assure 75% de la vente au numéro (quotidiens et publications) et MLP (Messageries Lyonnaises de Presse), qui assure 25% (publications uniquement). Les messageries s’appuient sur un réseau de dépositaires (grossistes) pour distribuer leurs titres auprès des marchands de journaux.
Pierre Bloch, porte-parole de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP), qui défend les intérêts des marchands de journaux, ne remet pourtant pas en cause ce système : «Non seulement il est toujours adapté mais c’est le seul à même de garantir la pluralité, fondement de la démocratie.
Les concepteurs de la Loi Bichet ne s’y étaient pas trompé. Leur seul défaut, mais on ne peut pas leur reprocher, est de n’avoir pas deviné l’avenir. Ce sont leurs successeurs qui se sont reposés sur leurs lauriers au lieu d’adapter le système qui sont responsables de la situation. C’est aux politiques de modifier le cadre mais il ne semble ni en avoir les moyens ni le courage !».
Transformation numérique
Pierre Bloch pointe la responsabilité des gros éditeurs : «Ce n’est pas le système qui est en cause, mais sa gestion. Les éditeurs sont les gestionnaires de ce système qu’ils refusent de financer. En le concurrençant par l’abonnement, ils le rendent déficitaire et demandent à l’État de combler le trou qu’ils creusent. Le partage de la valeur ajoutée n’est pas la qualité première des éditeurs. Dans les bonnes années, ils ont engrangé des marges colossales sans prévoir l’avenir, le profit étant plus important que l’investissement».
Les éditeurs, confrontés à une mutation profonde des attentes du lectorat et la transformation numérique, n’ont pas accordé à la diffusion kiosque l’importance qu’elle devrait avoir. Les gros éditeurs cherchent à avoir la plus forte audience agrégée pour maximiser les ressources publicitaires. Ils misent sur des abonnements à prix cassés, concurrençant la vente au numéro et sur le numérique, au prix d’erreurs stratégiques, par exemple en proposant sur Internet le même contenu que sur le papier, mais gratuitement !
Des aides inadaptées
On ne peut pas reprocher aux pouvoirs publics de ne pas soutenir la presse. Les aides directes ou indirectes (TVA à taux réduit, tarifs postaux préférentiels…) sont même en augmentation. Mais elles profitent surtout aux très gros éditeurs, qui en sont très largement les premiers bénéficiaires. Pour Pierre Bloch, «il est impératif de réorienter les aides vers les marchands.
Il convient également de ne pas fausser la concurrence entre réseaux de distribution avec les aides, comme c’est le cas depuis plusieurs années. Le portage bénéficie de 57 M€ de subventions sans conditions alors 7 M€ sont débloqués pour ceux des 25.000 points de vente qui investissent dans leur modernisation sous réserve de validation de dossier». Et il faudrait également que les aides portent davantage sur la commercialisation et la mise en avant des titres que sur la logistique.
Sortir de l’impasse
Face à cette situation, Pierre Bloch estime qu’une réforme structurelle est nécessaire. «La direction du conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), qui assure le contrôle de la distribution de la presse en France, doit être partagée de manière égale entre les acteurs commerciaux de la filière, les éditeurs et les marchands».
Ce qui permettrait de mettre en place des actions concrètes : «Il faut organiser la formation des marchands, basée sur un référentiel métiers, mettre fin à la concurrence de l’abonnement destructrice du système coopératif, définir de nouveaux contrats commerciaux en remplacement de l’empilage actuel de mandats aux intérêts divergents, mettre fin aux discriminations de rémunération…».
Ce ne sont pas les solutions qui manquent. Mais peut-être la volonté et le courage de mettre fin à un système qui profite très largement à quelques gros acteurs et qui met en danger non seulement les marchands mais toute la presse dans son ensemble.