Par Simone Wapler, auteure de « Money, monnaie, monnaies » chez JDH EDITIONS.
En raison de la hausse des taux, certains s’inquiètent d’une récession, d’un krach sur les marchés financiers ou encore d’une nouvelle crise bancaire. En réalité, le danger suprême est une crise monétaire généralisée.
La plupart des banques centrales sont en train de relever leurs taux directeurs, c’est à dire le prix de l’argent qui n’existe pas encore. Pour rappel, dans notre système monétaire et financier moderne, les crédits font les dépôts et non plus l’inverse.
Les banques ne prêtent pas les dépôts – l’épargne constituée – elles prêtent bien plus : elles prêtent de l’argent créé par leur banque centrale. Pour avoir ce privilège, elles s’acquittent d’un intérêt sur l’argent magique qui est le taux directeur.
Ce système s’est généralisé depuis que toutes les monnaies sont fiduciaires, c’est-à-dire adossées à rien d’autre qu’à la confiance.
Officiellement, les banques centrales relèvent aujourd’hui les taux pour lutter contre l’inflation.
Les banques centrales luttent contre ce qu’elles ont créé
Parler d’inflation pour désigner la hausse des prix de la vie courante permet aux autorités de noyer le poisson et de se disculper. Mais l’inflation est l’augmentation artificielle d’offre de monnaie (de crédit) et l’inflation actuelle est l’œuvre des banques centrales.
Les banques centrales luttent donc contre ce qu’elles ont délibérément créée. Libre à chacun de faire confiance aux pompiers pyromanes.
Ainsi, depuis la crise de 2008, le PIB de la zone euro fluctue autour de 14 500 Mds$[i]. La croissance y est donc quasi nulle. En revanche, dans le même temps, la masse monétaire a été multipliée par deux (et par quatre si on remonte à 2000)[ii].
La multiplication de la monnaie sans contrepartie de richesse, conduit tôt ou tard à une hausse des prix. Ce que Milton Friedman, prix Nobel d’économie en 1976, résuma par :
« L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production. »
Il est facile de faire surgir un euro ou un dollar du néant. Plus facile que d’extraire un baril de pétrole ou 1 m3 de gaz ou même de fabriquer une pizza. Mais à long terme, le crime monétaire sournois finit par se voir.
Hausse des taux et surendettement : un cocktail explosif
Après la Seconde guerre mondiale, débute une forte création monétaire qui s’emballe avec la fin des accords de Bretton Woods en 1971[iii]. Les chocs pétroliers consécutifs font exploser les prix. En 1980 le banquier central américain de l’époque – Paul Volcker –remonte les taux courts à 20%, bien au-delà de l’indice des prix (14%).
Les États-Unis et de nombreux pays rentrent alors en récession et les prix se calment. La hausse de Volcker provoqua la faillite du Mexique (lourdement endetté en dollars) et draina les capitaux européens vers les Etats-Unis.
Volcker avait les moyens de sa politique car il ne faisait pas face à un mur de dettes : en 1980, la dette fédérale américaine se montait à moins de 35% du PIB américain.
Aujourd’hui, Jerome Powell est confronté à une dette qui pèse 135% du PIB. Acquitter 2% d’intérêt sur cette dette nécessiterait de prélever 2,7% du PIB. Pour rester solvables, les Etats-Unis devraient donc afficher une croissance annuelle supérieure à 2,7%. Le dernier chiffre qui vient de tomber se monte à 1,7%.
La dette fédérale américaine est le pivot de tout ce système mondial d’argent factice. Elle est considérée comme le risque zéro. Mais avec plus de 8,3% d’inflation, et un taux d’intérêt de seulement 2,5%, le risque zéro fait perdre de l’argent.
Concours de laideur monétaire
La Banque centrale européenne relève aussi ses taux mais la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la France sont des pays surendettés à la croissance atone.
Ces zombies financiers doivent leur survie au taux d’intérêt négatifs qui prévalaient jusque-là. Aujourd’hui la charge de leurs dettes augmente inexorablement.
Depuis que les taux montent, l’euro a plongé de près de 20% face au dollar ce qui aggrave la hausse des prix des produits importés cotés en dollar (énergie, matières premières).
Au royaume des monnaies fiduciaires, le dollar est donc borgne et l’euro aveugle.
Le crime de faux-monnayage officiel ne paie pas
Lorsque le pouvoir trafique une monnaie (ou le crédit, puisque c’est devenu la même chose), il fausse la concurrence, il altère l’économie, mais il altère aussi la politique ; la hausse des prix suscite la déconsidération du gouvernement, la fuite devant la monnaie ; les troubles sociaux qui s’ensuivent témoignent que la défiance remplace la confiance.
5 000 ans d’histoire montrent que toute crise monétaire se termine en renversement de régime et par un changement de monnaie … Cette fois ne devrait pas être différente.
Simone Wapler
Auteure de « Money, monnaie, monnaies » chez JDH EDITIONS.
[i] Le dollar reste la monnaie des comparaisons internationales.
[ii] Tous les chiffres cités proviennent de l’agrégateur Tradingeconomics.com
[iii] 1971, fin de la convertibilité du dollar en or, dévaluation du dollar et début des chocs pétroliers