La chronique économique de Bernard CHAUSSEGROS
La France a décidé de présenter sa candidature à l’inscription de la « baguette de pain » au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Et pourtant, on constate que la situation des boulangeries est très disparate en fonction de leur emplacement sur le territoire national. Certaines disparaissent, d’autres parviennent à transformer la situation économique actuelle en un puissant levier de croissance.
En cette période de crise sanitaire et de marasme économique, comment s’en sortent réellement les boulangeries françaises ? Certes, elles font partie des rares » privilégiées » à n’avoir jamais fermé depuis le début de la pandémie mondiale car considérées comme commerce de première nécessité. On compte actuellement sur notre territoire environ 32.000 boulangeries artisanales qui emploient 180.000 personnes et qui servent 12 millions de clients par jour.
Le déclin du lien social
Juste après la seconde guerre mondiale, le lien social était construit, dans les quartiers des grandes villes comme dans les plus petits villages, sur les fondations de l’école, de l’église, de la Mairie, du café-tabac et de la boulangerie ! La population se ressoudait après la libération du pays et selon les affinités de chacun, autour de l’instituteur, du curé, du maire, mais aussi du bistrotier et du boulanger.
Au fur et à mesure où le pays s’est enrichi et embourgeoisé, après les trente glorieuses notamment et l’avènement de la pluri-information, le lien social s’est désagrégé. Et petit à petit l’esprit collectif, au même titre que les valeurs fondamentales, s’est détérioré et a progressivement laissé la place à l’individualisme en perdant ses références et ses fondements.
En cette période de pandémie que nous supportons depuis plus d’un an, il devient de plus en plus difficile pour nombre de nos compatriotes, et tout particulièrement les jeunes générations, de trouver des valeurs auxquelles se rattacher, des raisons de raisonner collectivement et non pas égoïstement, de se rappeler notre lien au monde terrestre qui nous entoure et nous a fait, à la nature qui est de plus en plus méprisée et malmenée, voire « assassinée ».
Il ne reste malheureusement plus grand-chose pour beaucoup de nos concitoyens qui permette de se connecter réellement ensemble at avec la nature profonde de l’homme, … si ce n’est … le boulanger ! Car le boulanger est, d’une certaine manière, le dernier lien qui nous unit à la terre, qui nous unit entre nous par la terre et qui peut encore nous rassurer dans cette période de doutes, de troubles et de remises en question. Le boulanger (avec l’aide du meunier) est effectivement le trait d’union entre le champ où le paysan sème et moissonne le blé et notre maison où nous apprécions de savourer notre pain quotidien.
La transmission des valeurs fondamentales
Le constat a été fait de l’état de notre société en cette période troublée que les valeurs essentielles se désagrègent peu à peu depuis des décennies. La crise sanitaire a agi comme un catalyseur et un accélérateur du phénomène.
Toutefois, corrélativement, cette même ambiance délétère a sans doute servi de déclencheur dans l’esprit des françaises et des français qui sont désormais nombreuses et nombreux à rechercher par eux-mêmes des solutions individuelles et collectives à cette crise de conscience et à cette peur de l’inconnu.
Ayant perdu les repères traditionnels et historiques que représentaient les instituteurs, les curés et les maires, nos concitoyens se retournent, outre leurs recherches philosophiques individuelles, vers des exemples objectifs et des vérités palpables. Le pain et celui qui le fabrique, le boulanger, en sont un. Et parallèlement, on assiste progressivement depuis au moins une décennie à un retour vers le respect des bienfaits de « mère nature » en réponse à la folie de la gabegie des ressources de notre monde.
C’est ainsi que se sont largement développées les usages et pratiques en harmonie avec notre environnement. On en a pour preuve l’essor du commerce Bio, et tout particulièrement dans la fabrication de nombreuses qualités de pain, recours à des céréales Bio variées, fabrication au levain naturel et non avec des principes et des adjuvants chimiques, maturation respectueuse de l’environnement.
Le pain devient ainsi le lien entre la terre et l’homme, et le boulanger est ici le fil conducteur de valeurs que l’on croyait perdues.
Les boulangeries aujourd’hui
Leur nombre est en baisse constante, particulièrement dans les communes rurales que l’exode vers les villes et la désertification des campagnes a vidé de la majorité de ses habitants en cinquante ans. Les 55.000 boulangeries artisanales des années 70 (1 pour 790 habitants) ne sont plus que 35.000 aujourd’hui (1 pour 2.000 habitants).
La crise actuelle, toutefois, nous laisse espérer des lendemains plus heureux ! Elle vient amplifier, voire accélérer un mouvement inverse, le goût renouvelé des citadins pour la vie « proche de la nature » et surtout le rejet de ce qui fait la vie citadine, la pollution, la promiscuité le temps perdu en déplacements plus ou moins utiles. Depuis quelques années, en effet, les citadins, retraités et cadres à partir de 35 ans retournent vivre en province et même en campagne. Ils cherchent souvent, et c’est ainsi qu’ils l’expriment, à retrouver leurs racines.
Et la crise sanitaire accélère aujourd’hui grandement ce processus.
Nombreux sont ceux qui, venant de catégories socio-professionnelles très variées mais parfois notoirement aisées, se reconvertissent vers des métiers souvent plus manuels mais qui présentent la caractéristique de s’inscrire dans le cercle vertueux de la tradition.
Leurs motivations sont multiples, donner du sens à leur vie, retrouver le lien avec la nature, réagir aux activités polluantes, lutter pour une société plus respectueuse, réapprendre le monde à leurs enfants « pollués » par les excès des réseaux sociaux.
Les boulangeries face aux changements comportementaux
Bien évidemment, cette transmission symbolique ne concerne pas l’ensemble de nos concitoyens qui demeurent peu concernés par les valeurs existentielles et qui sont sous emprise de la consommation de « masse ».
Même si nous estimons que le boulanger doit être perçu comme un des maillons fondamentaux du lien social, la situation économique du secteur varie beaucoup selon les régions de France. On a enregistré des baisses de chiffre d’affaires très disparates (entre -20 et -80%). En cette période de pandémie, les commerces implantés en ville dans des quartiers vidés de ses habitants au profit des immeubles de bureau ou des centres commerciaux souffrent réellement beaucoup, et certains ont dû fermer du fait de la lourdeur de leurs charges. Les boulangeries dont l’activité reposait beaucoup sur le snacking (sandwichs, salades, quiches) sont particulièrement touchées.
A l’inverse, globalement, les boulangeries de province et de banlieue s’en tirent actuellement bien mieux que les établissements en zones citadines et de bureaux. Il faut dire que dans de nombreux villages, les bars/tabacs se retrouvant portes closes c’est la boulangerie qui devient le seul vrai lien social, le point névralgique communautaire.
Selon les données de l’INSEE, dans ces mêmes zones citadines, la tendance est tout aussi défavorable pour les boulangeries-pâtisseries avec une baisse moyenne de 35 % du chiffre d’affaires en valeur au cours du premier confinement. En centre-ville, tout particulièrement dans les grandes agglomérations, le secteur global des boulangeries, des pâtisseries et des confiseries, pourtant catégorisé comme « essentiel », est le grand perdant du commerce alimentaire du fait du confinement : en forte chute dès mars 2020, il n’a pas retrouvé ensuite son niveau de février.
Cette évolution négative a pesé sur les achats de pâtisseries et s’explique par plusieurs facteurs qui, de plus, se cumulent : le changement du rythme de vie dû au télétravail, qui leur a fait perdre une grosse part de la clientèle du déjeuner au profit des traiteurs, l’interdiction des rassemblements, l’envie renouvelée de bien des personnes confinées de faire soi-même ses propres pâtisseries et son pain « fait-maison » et, enfin, la diminution plus structurelle de la consommation de pain par les ménages.
Vers l’adaptation du modèle économique
Comment trouver de nouveaux relais de croissance, tout en améliorant son image ? Cette question, nombre de commerces ou artisans se la posent. Mais il est évident que pour développer son activité, la première stratégie à adopter est de capitaliser sur la visibilité digitale pour s’adapter aux usages numériques.
En effet, nous naviguons chaque jour sur des dizaines et centaines de pages Internet. Les boulangers vont donc devoir non pas s’adapter mais s’harmoniser avec ce monde 3.0 et améliorer notamment leur façon de vendre ou de communiquer : monter une boutique en ligne, créé des packs de confinement pour éviter trop de déplacements ou encore proposer un service de click & collect (les clients choisissent le lieu et le créneau de retrait le lendemain de la commande), ainsi que de la livraison via les transporteurs (UberEats, Deliveroo ou K’liveo), sont autant de leviers pour diversifier ses canaux de ventes mais également pour faciliter l’achat par le consommateur.
Appropriation et maillage du territoire
Il est important de rappeler que la baisse de consommation évoquée est une tendance nationale qui ne correspond pas forcément à celle constatée localement. Ainsi, les boulangeries-pâtisseries d’Île-de-France seraient, en moyenne, plus concernées que celles installées en province, par contre les entreprises installées dans les villes, petites ou moyennes, et dans les villages ont mieux résisté aux effets de la crise que celles implantées dans les grandes agglomérations.
Il est évident que le boulanger d’aujourd’hui doit intégrer les nouvelles tendances dans son offre (produits bio, locaux, innovants) sans pour autant oublier sa clientèle traditionnelle. Il doit respecter et véhiculer des valeurs (éthiques, morales…) et être capable de communiquer sur la traçabilité de ses produits. Le secteur de la boulangerie doit continuer à se réinventer, et eut égard à l’exode citadin, il doit accentuer son maillage territorial.
Focus sur un groupe pionnier dans son domaine : le groupe Marie Blachère
Un groupe familial en lien avec son temps
Bernard Blachère a développé cette enseigne de boulangerie en misant sur la qualité des produits et en s’adaptant aux nouveaux modes de consommation. La baguette Marie Blachère a d’ailleurs été élue 3 ans de suite « Meilleure baguette de l’année ». La raison est simple : de bons produits au bon prix. La farine est française, la livraison est elle-même effectuée par des meuniers indépendants et des coopératives au plus près des boulangeries et leurs pains sont fabriqués sur place par leurs 1500 boulangers.
Le réseau compte désormais 600 boulangeries en propre, pour 7000 collaborateurs. Une implantation forte sur le territoire et une animation d’un réel vivier d’emplois local et régional. Le groupe s’appuie sur une politique de formation qui a fait ses preuves en employant notamment plus de 600 apprentis chaque année. Emplois de proximité, emplois territoriaux, partenariats avec des producteurs locaux, le cercle vertueux du circuit court est une appétence particulière de la « franchise » permet de faire rayonner tout un écosystème localement mais aussi à l’échelle nationale. A travers son action, le groupe Marie Blachère, acteur socio-économique majeur de l’hexagone, redonne enfin ses lettres de noblesse à la boulangerie traditionnelle suscitant ainsi de nouvelles et réelles vocations pour ce métier vieux de plusieurs siècles.
Bernard Chaussegros