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La rhétorique, une liberté française


En à peine dix ans, l’oralité a pris en France une place prépondérante. Les concours d’éloquence se multiplient. Les conférences TED ont le vent en poupe. Les formations à la prise de parole en public sont prisées par les entreprises. Depuis 2021, le Grand oral est devenu une épreuve phare du baccalauréat. Savoir convaincre est désormais considéré comme une compétence dont il est capital de faire l’acquisition.

Les formations à la prise de parole en public sont de plus en plus prisées par les entreprises.

Tribune de David Jarousseau, formateur en rhétorique et à la prise de parole en public.

Les méthodes visant à passer maître en la matière sont nombreuses et diverses. Mais il en existe une qui captive chaque jour de nouveaux adeptes : la rhétorique, l’art de convaincre.

La rhétorique, un art élitiste et controversé

Née à Athènes au Ve siècle avant Jésus-Christ, la rhétorique fut d’abord l’art des Sophistes. Ces virtuoses de la plaidoirie séduisirent les foules grâce à leur aptitude à soutenir des idées contraires à l’opinion commune. Ils tirèrent profit de leur talent en enseignant leurs techniques à ceux qui souhaitaient les découvrir… et qui en avaient les moyens financiers.  

Au IIIe siècle avant Jésus-Christ, Aristote écrit Rhétorique. Le philosopheveutdéfinir et encadrer plus strictement cet art en plein essor. A rebours des Sophistes, Aristote conditionne la rhétorique au respect de normes éthiques : telle est la clé pour qu’elle ne devienne pas l’art de manipuler les foules. C’est sur la base d’un serment philosophique, que l’orateur contracte avec lui-même, que la rhétorique prend toute son ampleur.  

Au fil des siècles, la rhétorique est devenue l’apanage des puissants. Religieux, politiques et enseignants sont les dépositaires exclusifs de ce savoir auquel ils substituent l’éthique à leur seule volonté de puissance. Ainsi ont-ils pu pendant des siècles asseoir leur autorité et se maintenir au pouvoir.

La rhétorique, une nouvelle liberté

Auteur de l’essai Le pouvoir rhétorique[1], le politologue Clément Viktorovitch a réussi à démocratiser cet art subtil. Pour la première fois de son histoire, la rhétorique n’est plus le trésor caché des grands de ce monde. Elle est maintenant accessible au plus grand nombre.

Mais si la rhétorique suscite en France un tel engouement, c’est surtout parce qu’elle offre une liberté plus importante que ce à quoi les étudiants et les professionnels sont habitués. Elle autorise l’appel à l’irrationnel – les émotions, la confiance, l’imagination, l’espérance. Or, c’est bien de cela dont les Français, indistinctement de leur âge, ont besoin : une méthode d’amplification de la pensée pour mieux porter leurs convictions.

« Sortir du cadre », « penser autrement », « convaincre pour vaincre » : la rhétorique décuple les forces et augmente le potentiel. En ce sens, elle engage plus spécialement la responsabilité des leaders initiés. Politiques, dirigeants, managers, professeurs : jamais la rhétorique ne doit outrepasser l’intérêt supérieur des personnes sur lesquels ceux-ci exercent leur autorité. En démocratie, la rhétorique est une liberté qui s’arrête là où commence celle des autres.

David Jarousseau
David Jarousseau est formateur en rhétorique et à la prise de parole en public. Il intervient à l’École de guerre, à Sciences Po Paris Executive Education, à l’Université Mohammed VI Polytechnique (Rabat) et au sein d’entreprises.

David Jarousseau

[1] Clément VIKTOROVICTH, Le pouvoir rhétorique, Le Seuil, Paris, 2022

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