Tribune. Dans un monde qui commence à percevoir les limites de disponibilité pour certaines matières première (on songe ici au Cuivre), la Supply Chain circulaire émerge comme une solution stratégique pour répondre aux défis de disponibilité des ressources et de maîtrise des impacts environnementaux tout en optimisant la performance économique des entreprises. Ce modèle vient en support à l’intensification de l’usage des produits et des matières, porté par les économies circulaires et de fonctionnalité.
La Supply Chain circulaire vise à permettre le fonctionnement à grande échelle des 10R du circulaire (notamment réutilisation, reconditionnement, réparation, remanufacturing et recyclage) pour réduire drastiquement le besoin en ressources (jusqu’à -80%) tout en favorisant un développement économique local et une rentabilité pérenne. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), la transition vers une économie circulaire pourrait créer 18 millions d’emplois nets d’ici 2030…
Alors que 67 % des entreprises prévoient d’augmenter leurs investissements en circularité d’ici trois ans, il est essentiel d’adopter une méthodologie structurée pour réussir cette transition.
Des entreprises pionnières montrent la voie
De nombreuses entreprises incarnent déjà les bénéfices concrets de la circularité. Des leaders tels que Michelin, Rev Mobilités, Orange et Valused illustrent les avantages d’un modèle collaboratif et durable. Rev Mobilités et Michelin se sont appuyés sur des modèles collaboratifs en confiant à des partenaires locaux des activités comme le retrofit électrique ou le rechapage, tout en veillant à une redistribution équitable de la valeur générée, ce qui permet de faire tenir l’écosystème dans le temps. Orange, pour sa part, optimise le reconditionnement de ses équipements grâce à une amélioration continue de ses box et des solutions ingénieuses, telles que de petits autocollants en lieu et place de polissage manuel pour réduire les coûts de réparation. Epalia encourage le réemploi des palettes avec un système de consigne innovant qui simplifie les flux logistiques tout en incitant à des pratiques durables. Enfin, Valused, acteur majeur de la gestion de pièces détachées automobiles, utilise ses données pour aligner l’offre et la demande dans tout son écosystème. Il propose également des indicateurs précis en matière d’impact environnemental, financier et d’émissions de CO2eq.
Une méthodologie en six piliers pour une Supply Chain circulaire performante
1 – Modèle et partage de la valeur : maximiser l’usage des produits
L’un des fondements de la Supply Chain circulaire s’intéresse aux flux financiers : pour soutenir les nouveaux modèles économiques mettant l’accent sur la fonctionnalité plutôt que sur la simple propriété des biens, il est pertinent d’en partager au maximum les bénéfices le long de la chaîne de valeur. Pour favoriser les modèles économiques comme la location, la maintenance proactive, ou le partage de l’utilisation des produits, les initiatives les plus robustes créent des modèles de rémunération permettant à chacun de capter une partie de la valeur générée à chaque nouvel usage, et donc d’être encouragé à faire perdurer le système. Les parties prenantes de l’écosystème ainsi créé réduisent leur dépendance aux matières premières, offrent à leurs clients des solutions plus durables et se créent une communauté de destin économique favorisant l’adaptabilité et la résilience.
2 – Dimensionnement multi-localité : adapter la Supply Chain aux spécificités locales
Le second pilier s’appuie sur les flux physiques : la transition vers une Supply Chain circulaire nécessite une analyse approfondie des différents critères, tels que les modèles de circularité (location, réparation, recyclage), les volumes et les marchés cibles. Cette analyse permet de dimensionner de manière précise les capacités nécessaires (production, rénovation, stockage, distribution) et surtout leurs zones de chalandise respectives. Certains produits et contextes réglementaires mèneront à des opérations très centralisées quand d’autres nécessiteront de décentraliser tout ou partie des étapes. L’objet est de maîtriser les coûts, mais aussi de prendre en compte les spécificités locales, comme la proximité avec les clients ou les contraintes logistiques, et nécessite donc une adaptation régulière. La collaboration et le partage de données entre les acteurs de la Supply Chain deviennent cruciaux pour le succès de cette approche.
3 – Pilotage de la circularité : mesurer de nouveaux indicateurs
L’un des défis majeurs de la Supply Chain circulaire réside dans la gestion des flux et des ressources. Il est essentiel de définir des indicateurs de circularité adaptés aux spécificités de chaque produit et de chaque modèle économique. Parmi ces indicateurs, on retrouve :
- Nombre de cycles : mesurant l’utilisation d’un produit dans des modèles de fonctionnalité ou de location.
- Taux de retour : qui évalue l’efficience des flux circulaires.
- Qualité des retours : pour optimiser la remise en marché des produits reconditionnés.
- Coût de remise à niveau : pour évaluer la rentabilité des opérations de réparation et de reconditionnement.
- Indicateurs d’impact : comme les émissions de CO2eq, les économies de matières, et le taux de recyclage.
Ces nouveaux indicateurs permettent aux entreprises de piloter leur Supply Chain circulaire avec une vision à long terme, en veillant à optimiser la durabilité des produits tout en garantissant leur rentabilité.
4 – Prévisions et charges : gérer les stocks et les ressources disponibles
Les prévisions doivent désormais inclure non seulement la demande traditionnelle, mais aussi la gestion du « gisement » de ressources disponibles. Pour ce faire, les entreprises doivent développer des outils de prévision précis, s’appuyant sur des données fiables telles que l’« installed base » (nombre de produits actifs) chez les clients. Cela permet d’anticiper les besoins en matériaux et en pièces de rechange, ainsi que les exigences de reconditionnement. En outre, la gestion des capacités doit être ajustée en fonction des contraintes liées aux machines, aux compétences humaines et à la logistique. Cette gestion prévisionnelle est essentielle pour optimiser les stocks et les coûts associés à la gestion des ressources.
5 – Gestion opérationnelle, amélioration continue & data : maximiser l’efficience des flux
La traçabilité et l’optimisation des flux sont au cœur de la Supply Chain circulaire. Un suivi précis des produits tout au long de leur cycle de vie permet de collecter des données essentielles sur leur utilisation, leur reconditionnement, et leur potentiel de réparation. Grâce à des systèmes de suivi (souvent -mais pas systématiquement- via des identifiants uniques), les entreprises peuvent ajuster leurs stratégies en temps réel pour maximiser l’utilisation des ressources et réduire les coûts. De plus, la gestion des données en temps réel permet une meilleure prise de décision, ce qui est crucial pour une gestion efficace de la circularité.
6 – Organisation : une structure dédiée et agile
Enfin, la mise en place d’une organisation spécifique dédiée à la gestion de la Supply Chain circulaire est essentielle. Contrairement aux chaînes linéaires classiques, une organisation circulaire nécessite une approche plus flexible et collaborative. Cette structure permet de mieux gérer les outils, les processus et les rituels nécessaires à la réussite de la circularité. La coordination entre les différentes parties prenantes est également essentielle pour garantir l’efficience des opérations, notamment lorsque des activités sont mutualisées entre les circuits linéaires et circulaires.
Ces six piliers constituent la base d’une Supply Chain circulaire efficace, permettant aux entreprises de répondre aux exigences économiques, écologiques et sociales du futur. L’adoption de ce modèle n’est pas seulement une opportunité de durabilité environnementale, mais aussi un vecteur d’innovation stratégique. Elle permet aux entreprises de réduire leur empreinte écologique, d’optimiser leurs coûts, et de mieux répondre aux attentes des consommateurs, de plus en plus sensibles aux enjeux de durabilité. En plaçant la circularité au cœur de leur stratégie, les entreprises bâtissent une Supply Chain résiliente et compétitive, prête à relever les défis d’un monde en constante évolution.
Anaïs Leblanc, Executive Partner chez Citwell
Yann De Feraudy, Président de France Supply Chain
Source : https://www.francesupplychain.org/publication/supply-chain-circulaire-2/