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L’art de s’associer, par Laurent Windenberger


Laurent Windenberger a dirigé Babymoov, PME clermontoise spécialisée dans le matériel de puériculture, durant 25 ans avec ses deux autres associés. Une aventure qu’il a racontée dans un livre, "L'art de s'associer" (éditions Vuibert), paru en 2024. Désormais à la tête d’un fonds de capital-risque, le chef d’entreprise auvergnat nous livre ses secrets pour entreprendre à plusieurs.

Laurent Windenberger

Lorsqu’ils décident de s’associer, quelles erreurs courantes commettent les entrepreneurs ?

Laurent Windenberger. La principale erreur est de croire que tout va bien se passer parce qu’on est amis et qu’on se connaît bien. Penser qu’une bonne idée ou le fait d’être complémentaires suffira à créer une bonne entente et un bon fonctionnement est une illusion. Lorsque vous vous associez, vous n’échappez pas aux montagnes russes de la vie d’entreprise et aux conflits. Mieux vaut donc être aligné sur la vision, les valeurs, la répartition des rôles et l’ambition.

Vous parlez de l’importance des valeurs communes entre associés. Comment peut-on s’assurer que ces valeurs sont alignées avant de démarrer une collaboration ?

En faisant ce que j’appelle un « voyage de noces ». Cela consiste à partir au vert durant deux ou trois jours pour échanger de manière informelle sur la vision, les valeurs et les sources de motivation. En un mot, créer du « off » pour parler vrai et bâtir une confiance mutuelle.

Les conflits liés aux parts sociales ou aux rémunérations sont fréquents. Comment éviter ces tensions ?

Mettez tout sur la table ! Chacun peut parler de ses envies et de ses besoins. Il faut ensuite évoquer le cadre budgétaire de l’entreprise et définir une solution équilibrée. Tout doit être abordé : rémunération, frais, temps de travail et congés. Un écrit actualisé chaque année favorise aussi la transparence et la confiance.

Beaucoup d’entrepreneurs négligent le pacte d’associés. Pourquoi est-il si important ?

Ils sont, en effet, nombreux à le négliger. Le pacte est pourtant essentiel. C’est au moment où l’entente est au beau fixe, c’est-à-dire au début de l’association, qu’on doit imaginer le pire : la fin de l’entreprise, la mésentente ou le décès. D’autant plus que le fait de tout cadrer en amont est rassurant pour la suite.

En cas de désaccord majeur, quelles protections juridiques aident à préserver l’entreprise ?

Il n’y en a pas. C’est notamment le problème des start-up. Une mésentente entre associés peut mettre en danger l’entreprise. Là encore, si le pacte est bien ficelé et s’il est bienveillant pour l’entreprise – et pas seulement pour les associés –, il permet d’éviter le pire. Parfois, un profond désaccord peut nécessiter l’intervention d’un médiateur ou d’un DG de transition.

Quelles sont les qualités essentielles pour devenir un bon associé ?

L’optimisme, la capacité à se remettre en cause, à mettre son ego de côté, et la conviction qu’à plusieurs, on est plus forts.

Que conseilleriez-vous aux entrepreneurs qui cherchent un associé mais ne savent pas comment trouver la personne idéale ?

La complémentarité des appétences est fondamentale. Il faut que chacun ressente du plaisir dans son quotidien. Le « match » parfait n’existe pas et c’est tant mieux. Il faut rencontrer du monde, échanger, partager votre vision. Au bout d’un moment, on trouve assez naturellement la personne avec qui se lancer dans l’aventure.

Les conflits entre associés sont souvent inévitables. Quels outils ou pratiques recommandez-vous pour les gérer de manière constructive ?

Ne pas trop attendre. Il faut veiller à structurer un emploi du temps incluant des réunions entre associés au cours desquelles on peut se dire les choses. J’appelle cela le comité de direction. Il a lieu idéalement tous les 15 jours. Ainsi, le conflit est traité et une décision en découle. D’une situation souvent subjective, on arrive à trouver une solution objective. En un mot, parlez-vous, mais au bon moment.

Comment éviter que des divergences professionnelles ne dégénèrent en tensions personnelles ?

Les journées d’alignement, à raison de deux par an, permettent à la fois de s’accorder sur la stratégie d’entreprise et son déploiement. C’est un bon moyen de faire baisser les tensions.

Votre modèle de présidence tournante a intrigué de nombreux observateurs. Quels sont ses avantages et ses inconvénients ?

Les aspects négatifs sont la paperasse et les contrats au démarrage. Chez Babymoov, une fois que la machine a été mise en route, tout le monde s’est habitué au fonctionnement. Le grand avantage de ce modèle tenait à l’équilibre du pouvoir. Cette forme d’équité nous motivait à donner le meilleur de nous-même pour mériter ce statut de président.

Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs pour maintenir une association dynamique et solide sur le long terme ?

Il faut allier compétence, appétence et confiance. Mais surtout, à l’image d’un couple, entretenez votre association : partez en voyage ensemble pour voir des clients, des fournisseurs, un salon professionnel ou une conférence inspirante. Prenez du bon temps et célébrez les bonnes nouvelles.

Un autre conseil que je donnerais aux entrepreneurs serait de s’entourer d’un advisory board (comité consultatif dont l’objectif est de conseiller les dirigeants de l’entreprise, ndlr) composé de personnes indépendantes, compétentes et capables de challenger la direction et sa vision stratégique.

Que pensez-vous des plateformes mettant en relation des associés potentiels ? Sont-elles efficaces pour créer des partenariats solides ?

C’est très intéressant, surtout à notre époque où la majorité des créations d’entreprises impliquent plusieurs associés. Mais il faut bien prendre conscience qu’il ne s’agit que de mise en relation. Pour le reste, c’est toujours l’humain, associé à des outils et des bonnes pratiques, qui crée l’alchimie gagnante.

Avez-vous déjà vécu un conflit majeur chez Babymoov ?

En 2015, une entreprise chinoise a voulu nous racheter à prix d’or et l’un d’entre nous a refusé. Ce désaccord a déclenché une véritable tempête. Nous avions sous-estimé l’impact de cette situation au niveau personnel. Pourquoi ? Parce que nous n’avions pas assez pris le temps de dialoguer. Nous avons donc remis le dialogue au centre et réfléchi à l’intérêt suprême de ce qui nous liait, à savoir l’entreprise.

Votre expérience personnelle chez Babymoov a-t-elle été la source principale d’inspiration dans l’écriture de votre ouvrage ?

Bien entendu. Vingt-cinq ans de vraie vie d’associés, ce n’est pas rien comme expérience. Mais nous voulions aussi proposer d’autres expériences. Raison pour laquelle il y a huit témoignages dans notre ouvrage, dont celui d’Augustin de la marque Michel & Augustin.

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