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Laurent Alexandre : « Aujourd’hui, un cadre qui ne se met pas à l’IA est un futur chômeur ! »

C’est un médecin du futur ; chirurgien -urologue, énarque, entrepreneur ou essayiste, il est un peu indéfinissable. Cofondateur de Doctissimo, cet esprit brillant et visionnaire nous livre, à 64 ans, ses intuitions fulgurantes sur l’intelligence artificielle.

Laurent Alexandre

Avant d’aborder le sujet de l’IA, quelle est votre définition de l’intelligence ?

Dr Laurent Alexandre : L’intelligence est ce qui permet de prendre le pouvoir, technologique, politique, scientifique, financier, religieux. Elle est toujours à la base de pouvoir. Il ne faut pas mélanger la séduction ou la gentillesse avec l’intelligence. Des médecins juifs avaient examiné des dirigeants nazis à Nuremberg, et conclu qu’ils étaient très intelligents, ce qui n’empêchait pas leur cruauté.

Vous semblez parier sur les fortes évolutions de la technologie, mais à une sorte de surplace de l’intelligence humaine, pourquoi ?

Oui, parce que l’intelligence humaine n’évolue pas, ne progresse pas, on donne des diplômes universitaires à plus d’étudiants en baissant le niveau tandis que les capacités de l’IA doublent tous les cinq mois. Une IA dotée de conscience cherchera forcément à prendre le pouvoir, il ne s’agit pas ici d’un simple robot domestique. Nous n’en sommes plus là, il n’y a ni agenda ni objectifs précis, le débat n’est pas tranché, car personne à ce jour n’est capable de fournir un pronostic.

En tant qu’observateur, jamais la discordance entre experts n’a été aussi forte qu’aujourd’hui. Les convictions sont pourtant là, Geoffrey Hinton dans le Financial Times du 19 février dernier est ainsi convaincu qu’il y a 10% de chance que l’humanité soit exterminée de la planète d’ici à vingt ans ; Larry Page pense qu’il faut laisser la place à l’IA, qui sera le successeur de notre espèce dans une noosphère sans intelligence humaine ; Elon Musk quant à lui a choisi la voie de l’homme augmenté avec Neuralink. L’hétérogénéité des opinions est extrême, ce qui complique la mise en place d’une stratégie pour l’avenir de l’humanité.

Face à l’impossibilité de prédire l’avenir, c’est l’hypothèse de la noosphère qui vous a séduite ?

Ce qui m’intéresse est d’assister à la réalisation de la noosphère de Teilhard de Chardin, le mariage de l’homme et de la machine. À un niveau très basique, les visioconférences sont de petites particules de noosphère. Comment donc trouver un équilibre avec ces machines, comment éviter la marginalisation des humains, leur hybridation, faut-il accepter les implants du cerveau Neuralink ? Personnellement, j’attendrai qu’Elon Musk implante ses enfants, plutôt que d’implanter les miens ! Certains prédisent que l’être humain le plus intelligent sur Terre sera dépassé par l’IA dès fin 2025, d’autres penchent pour 2033 maximum. Il devient indispensable de réfléchir à ce phénomène pour éviter une « gilet-jaunisation » de la société où l’écart irait croissant entre des élites capables d’utiliser l’IA et les autres couches de la population qui ne maitriseraient pas cet outil.

Les prévisions démographiques se sont souvent avérées fausses par le passé, pourquoi croire à celles d’aujourd’hui ?

La surcharge démographique est un sujet du passé, dans la plupart des pays, le nombre d’enfants par femme est en chute libre, à l’exception de l’Asie du Sud et l’Afrique noire. La Corée du Sud en est l’exemple, le Brésil, le Vietnam vont bientôt rejoindre la Chine, la Russie, l’Europe hors immigration. Si cela se confirme, la population mondiale va s’effondrer au siècle prochain, passant à 2 milliards après un pic de 10 milliards. Il est exact que vivre longtemps incite à faire moins d’enfants, mais lors de la glaciation, des populations entières ont disparu. Lors de la peste du XIVe siècle, 45% des Européens sont morts, il y a eu 50 millions de morts par gastro-entérite quand les Européens sont arrivés en Amérique. Des précédents existent.

Vous critiquez le système d’éducation actuel et ses résultats, quelles sont vos idées sur le sujet puisque vous êtes d’avis que l’intelligence est essentiellement génétique ?

Si l’intelligence n’était pas en grande partie génétique, étant donné qu’une grande partie des élèves ont de mauvais résultats à présent, cela signifierait que les enseignants sont incompétents. L’école ne parvient pas à réduire les différences intellectuelles, nous vivons dans une société à deux vitesses comme Harari l’a souligné. La seule étude qui avait conclu que le déterminisme n’existait pas a été publiée sous la présidence de Bush fils. Ses auteurs sont aujourd’hui en pénitencier d’État pour « félonie » et avoir trafiqué les résultats. Il n’existe pas de recette magique pour transformer des élèves peu innovants ou peu intelligents en élèves performants. 100 milliards de dollars ont été investis dans le monde pour réduire la mortalité du cancer du sein, en matière d’éducation, cela est loin d’être le cas, les résultats sont donc forcément différents.

La robotique dotée d’IA va engendrer des robots ouvriers dotés de l’intelligence d’un polytechnicien, la compétitivité de l’ouvrier humain sera évidemment problématique, les métiers manuels ne sont pas protégés, idem pour les cols bleus. Et, les métiers où l’empathie est nécessaire sont aussi concernés. Une étude parue dans la revue médicale Jama démontrait que l’IA était deux fois plus empathique que les médecins. Que dire de ces chiffres récents qui mettent en avant que l’IA est capable de faire 60% de bons diagnostics contre 32% réalisés par des médecins. Pire encore, le taux baisse à 52% si l’on joint les forces de l’homme et de l’IA. Dans ce cas, l’homme est « anti-complémentaire » de l’IA. Je ne pense pas comme Elon Musk que le travail va disparaitre. Cependant, il faut sérieusement réfléchir à la reconfiguration du travail, car aucun métier n’est protégé.

Dans ce cas, pourquoi pas le revenu universel ?

L’idée d’Elon Musk et de Sam Altmam du revenu universel est un cauchemar politique, l’idée d’une petite élite contrôlant les IA, avec un peuple qui n’a plus rien à dire, est cauchemardesque, nous sommes à Métropolis. Cette perspective est déprimante. Il vaut mieux l’intelligence universelle que le revenu universel.

Votre livre est pessimiste sur l’avenir des humains, pourtant l’humanité a prouvé sa capacité d’adaptation, même si cela est un mouvement très lent. Or l’IA est encore très jeune, pourquoi d’ores et déjà condamner l’humanité ?

Je ne suis pas Larry Page, je crois en l’homme, j’espère qu’il ne sera pas supplanté. Réfléchir à notre cohabitation, éviter que trop de personnes ne soient dépassés par l’IA est décisif, sous peine de mener à des processus révolutionnaires ou à une dépendance comme dans le film « Her ». D’ailleurs, la version O de GPT4 est vraiment impressionnante, il est troublant d’avoir une discussion avec ce logiciel.

À votre avis, le transhumanisme n’est plus une option, mais une obligation ?

Le débat actuel se situe entre le transhumanisme qui veut augmenter l’homme et le posthumanisme d’Altman qui affirme dans la revue du MIT « Je suis convaincu que mon cerveau sera téléchargé dans le cloud ». Aujourd’hui, un cadre qui ne se met pas à l’IA est un futur chômeur et un entrepreneur qui ne se met pas à l’IA est un futur failli, j’en suis absolument convaincu. Il sera impossible de tenir sans utiliser l’IA. Si vous faites en trois heures ce que GPT 4 en trois secondes, que va-t-il se passer à votre avis ?

On en revient à la question de l’éducation…

Je serai plutôt un dictateur en matière d’éducation. Ne pas avoir de culture générale, ne pas savoir rédiger, tout cela est suicidaire pour les enfants, il faut les faire travailler afin qu’ils acquièrent une maitrise de l’écrit et parviennent à bien piloter les outils modernes. La formation et la culture générale sont les meilleures défenses face à l’IA. J’adhère totalement à ce que disait le général de Gaulle en 1934, « Derrière Alexandre, il y a toujours Aristote ». Le sens, la vision précèdent l’action. Et comme parent, nous devrions tous être des Philippe de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand qui fit appel à Aristote pour éduquer son fils.

Propos recueillis par Anne Florin

Lire aussi le dernier ouvrage de Laurent Alexandre : ChatGPT va nous rendre immortels (éditions JC Lattès)


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