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Laurent Tapie relance les automobiles Delage, et on va en entendre parler !


Surréaliste la discussion avec Laurent Tapie. J’ai en face de moi un Tapie ouvert, plein d’énergie et rempli de projets. Cela colle assez bien avec son père. Même si sa relance des automobiles Delage est un vrai investissement, tant industriel que commercial ou technologique, qui lui est propre et qu'i'il ne doit qu’à lui-même.

Entreprendre - Laurent Tapie relance les automobiles Delage, et on va en entendre parler !

Pas d’empressement inutile, Laurent a retenu la leçon, point n’est besoin d’en rajouter. Les faits suffisent. Son stage chez McKinsey lui a appris qu’au de l’intuition, mieux vaut bâtir un projet sur de la méthode, de la rigueur, et un minimum d’organisation. On est loin des élans parfois improvisés du père, Et de me rappeler avoir croisé Noëlle Bellone, bras droit de l’époque, au moment de la reprise de Wonder. Celle-ci, tout juste propulsée présidente de la célèbre entreprise de piles, me dit: « tu te rends compte, on a la conférence de presse demain devant tous les journalistes, et je suis nommée du jour au lendemain sans avoir eu le temps de savoir ce qu’on va faire. »

L’appétit du fauve, la fulgurance de l’instant. La leçon a porté. À 49 ans, Laurent semble avoir les qualités du père sans en avoir les défauts, et cet appétit insatiable qui lui a fait parfois flirter avec la ligne jaune. Laurent Tapie a plus l’esprit scientifique. Il a fait une école de commerce, ESCP Paris, il aurait pu faire une école d’ingénieurs, comme celle que son père n’a jamais faite contrairement à la légende. Il me l’a confirmé.

À table, dans ce restaurant huppé du faubourg Saint-Germain, le Marco Polo rue Saint-Sulpice à Paris, où, étrange coïncidence, le sénateur marseillais Jean-Noël Guerini est assis juste en face de nous, le fils de celui qui a été patron le plus célèbre de France passe du temps à m’expliquer la technique, les moteurs, les turbines, la propulsion. Pas facile à suivre, Laurent est un fou de voitures, et l’interlocuteur peut parfois laisser échapper certaines subtilités techniques. Et puis cette confidence : « On peut le dire maintenant; avec mon père, on a fait des pointes de vitesse sur l’autoroute parfois à plus de 350 km/heure, mais c’est dingue, avec lui, je n’avais jamais peur ! »

Il me montre même les captures photo du compteur kilométrique comme pour prouver. Pourtant, je ne lui demandais rien. À mes côtés, notre ami Thomas Binet, l’animateur de l’émission Osez Entreprendre sur Sud Radio me regarde, l’air médusé… Cette absence de peur, cette force d’oser, c’est peut-être précisément ce qui caractérise le mieux cette énergie en perpétuelle mouvement de Tapie aux yeux du plus grand nombre. Ce n’est du reste pas tout à fait un hasard si c’est en sport de compétition que Tapie a réalisé ses plus beaux résultats (OM, Bernard Hinault…).

À un moment, comme pour justifier, Laurent interrompt : « j’ai créé toutes mes boîtes de zéro, et ça compte plus que si j’avais hérité. Même si avec Adidas, mon père était en voie de réaliser le grand chelem. Tu te rends compte, on serait leader mondial aujourd’hui, et la boîte vaudrait au moins 30 milliards. Mais, c’est la politique qui a tout fait exploser. D’abord, parce que tous les énarques de gauche comme de droite étaient d’accords sur un point : ne pas le laisser monter d’avantage. Les deux seuls qui l’ont vraiment poussé; c’est Mitterrand et Bérégovoy. Mitterrand parce qu’il avait compris tout le bénéfice qu’il pouvait en tirer. Et Béré parce que, comme lui, il venait du peuple! ».

Et puis:  » Quand Jospin et Hollande sont arrivés, là ce n’étaient plus la même gauche. Ces deux-là n’étaient pas du tout pro-entrepreneurs. Hollande, quand il est arrivé à l’Elysée, une des premières choses qu’il a faites, c’est de nommer un de ses bras droit pour s’occuper de Sarkozy en prévision des présidentielles prochaines. Et mon père a été aussi dans le viseur, en victime collatérale.. » Sur son père, Laurent Tapie est intarissable. C’est tout à son honneur. On sent chez lui qu’au-delà de l’affection filiale normale, il lui voue presque une admiration sans bornes, comme beaucoup d’entrepreneurs de ce pays. Pas question pour lui de vouloir « tuer le père ».

Au contraire, il s’agit de le faire vivre et perdurer. « Car on a besoin de pousser les entrepreneurs dans un pays parfois teinté d’anti-capitalisme primaire ». C’est dans cet esprit qu’il prépare une sorte de suite à la fameuse émission Ambitions sur TF1 qui poussait tous les Français à devenir entrepreneur. Laurent Tapie est en contact avancé avec une grande chaîne de télé pour relancer un Top Chef de l’entrepreneuriat dont il sera lui-même l’animateur, en précisant qu’il serait ravi de le faire avec le magazine Entreprendre; « celui qui a été le premier à mettre son père en couverture, qui plus est sur son premier numéro en octobre 1984. » (sic). Il n’oublie pas. Nous, non plus.

Laurent Tapie se sent investi de cette mission: « je suis patriote, et on ne s’en sortira que si nos chefs d’entreprises sont mieux considérés. Il y a tellement de choses à entreprendre avec les nouvelles technologies. Mais il faut aussi qu’on arrive à mieux financer de grands projets planétaires. Pour les PME, il y a déjà un truc formidable; c’est le financement participatif. Désormais avec des plateformes comme Tudigo, chacun peut mettre un peu de son épargne sur une jeune pousse. C’est bon pour le pays et aussi pour le rendement financier si on sait choisir… »

Vivement demain ! Cela ne l’empêche pas de consacrer toute son énergie à la relance d’Automobiles Delage, la grande marque française d’automobile de luxe, créée en 1906 et qu’il veut remettre au pinacle. Un magnifique projet ! « Tu te rends compte que dans les années 50, on était encore, nous les Français, les rois de l’automobile de luxe dans le monde. Il y avait Delahaye, Bugatti, Talbot, Hispano-Suiza, et bien sûr Delage avant qu’une taxe imbécile sur les autos de prestige instituée par un gouvernement de la IV République ne mette tout par terre. On le paye encore aujourd’hui! »

« On a ce génie de se mettre une balle dans le pied ». En voulant remettre Delage sur un piédestal mondial, la stratégie consiste à vendre des HyperCars à 2 millions d’euros l’unité : « Je ne suis pas pressé, Volkswagen avec tous ses moyens a mis 8 ans pour arriver à remonter une marque comme Bugatti. J’ai déjà ma petite usine à Magny-Cours dans la Nièvre et on a des brevets technologiques de portée mondiale. » Dans le capital, on retrouve des entrepreneurs incroyables : Xavier Niel, Patrice Lafargue (IDEC), un des cofondateurs de Carmignac ou Georges Cohen (fondateur de Transiciel et président de Panhard Général Défense).

On a beau s’appeler Tapie, cela ne suffit pas. « C’est un nom fantastique dans le milieu des entrepreneurs, c’est un peu plus délicat auprès des financiers… » On le croit sur parole. Il y avait Bernard Tapie qu’on n’est pas prêt d’oublier. Il y a désormais Laurent dont on va se souvenir aussi. Regardez l’entretien qu’il nous a accordé sur EntreprendreTV. Plus vrai que nature ! Cela donne envie d’accélérer. Du Tapie dans le texte.

Robert Lafont

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