Par Camille Pluntz, Docteur en Sciences de Gestion (Marketing)
Ce sera le sujet de discussion des dîners mondains du week-end du 6 mai. C’est une prédiction de l’ordre de la certitude. Charles III et son couronnement apparaîtront inévitablement quelque part entre les petits fours et les desserts. « Avez-vous vu ? » ; « Qui a regardé ? » ; « Mais pourquoi ? » ; « Oh ! Non ! Quand même pas ! ».
Personnellement, j’ai déjà été amenée à avoir cette conversation avec mon conjoint après avoir inscrit « Roi Charles III » dans mon agenda du samedi 6, tel un rendez-vous galant coincé entre le cours de fitness de 9h et le passage au pressing de 15h. Alors oui, je peux vous le dire : la meilleure des raisons (i.e. celle qui fait smart) est d’expliquer que le couronnement du roi Charles III représente une excellente leçon de gestion d’une marque de luxe. Il s’agit d’un évènement pédagogique en matière de marketing, et donc, un évènement absolument immanquable.
Charles III : une marque de luxe ?
Pour vendre cette idée, il est primordial de débarrasser votre auditoire de la notion de marque-produit. Cette idée à travers laquelle, pour qu’il y ait une marque, il faut qu’il y ait un produit. Car si tel était le cas (tenez-vous prêt) votre auditoire remarquera que le roi Charles III ferait une excellente marque de produits pour le jardinage, d’homéopathie ou de tisane. A ces observations, proposez qu’une marque serait plutôt un nom évoquant un ensemble d’idées, auquel le consommateur se raccroche de façon à distinguer ce nom d’autres noms concurrents. Il y aura unanimité. Sur le marché des monarques, Charles est en effet assez distinctif.
« Charles, une marque, d’accord. Mais de luxe ? ». Apprenez à le prononcer, parce qu’à ce stade, il faudra le dégainer : Ernst Kantorowicz et sa théorie des deux corps du Roi (1957). Avec cette théorie sur les dynamiques de succession, cet académique polonais nous apprend que toute dynastie vit (et survit) grâce aux deux corps que possède chaque monarque régnant. Charles III aurait donc un corps physique et mortel, alimenté par une personnalité, un tempérament, des goûts, une histoire d’amour… un corps sujet à des démarches d’auto-marketing depuis 73 ans pour nous montrer sa compatibilité avec… le second corps, le corps immortel, celui qui porte et transporte ce qui fait le cœur de la monarchie, d’un roi au suivant. N’hésitez pas à cet instant à parler avec éloquence de l’âme, des valeurs ou de l’idéal qu’incarne la monarchie britannique. Car c’est l’essence même de ce second corps. Or, cette dualité, on la retrouve exactement telle quelle au sein des marques de luxe. D’excellentes recherches en marketing l’ont montré. Toute marque de luxe possède l’âme immortelle d’un fondateur ; et elle doit gérer la pérennité et la transmission de celle-ci via des individus de passage (comme le sont les directeurs artistiques, par exemple). Chez Chanel, il y a avant tout l’âme de Coco Chanel qui a été portée par Karl Lagerfeld jusqu’à son décès en 2019, et qui est maintenant portée par Virginie Viard. Entre marque d’un souverain monarchique et marque de luxe, les ressorts de fonctionnement sont identiques.
Le couronnement, quel outil marketing pour Charles III ?
A cette étape du raisonnement, vous n’avez pas encore pleinement justifié pourquoi vous avez fébrilement allumé la télévision, ce samedi 6 au matin, ni pourquoi durant les semaines qui l’ont précédé, les magazines mondains se sont entassés chez vous. La raison renvoie à la complexité de la gestion des deux corps de toute marque de luxe comme celle de Charles III. Il y a ici deux écoles : ceux qui préconisent que l’homme et l’âme de la marque doivent rester éloignés pour sécuriser cette dernière, surtout en cas de tumulte médiatique. Ce qui expliquerait pourquoi Dior a préféré se séparer de John Galliano pris au milieu d’un scandale en 2011 ; tout comme la monarchie britannique s’est séparée en 1936 d’Édouard VIII du fait de son scandaleux mariage avec Wallis Simpson. Mais il y a ceux qui disent au contraire, que l’homme et la marque doivent se rapprocher au maximum pour que l’homme s’y confonde (et s’y sauve en cas de tracas). Dans le luxe, les défilés de mode célèbrent ce moment de communion entre le directeur artistique et l’ADN de la marque pour laquelle il travaille. Le couronnement, c’est donc cela : un défilé de mode au sens littéral comme au sens figuré. Dans sa dimension symbolique, le couronnement est un rituel permettant à l’âme de la monarchie britannique de se rendre visible ; mais surtout, ce rituel permet à Charles de se laisser lui-même, pour devenir quelque chose de beaucoup plus grand, une marque de luxe immortelle. Et je vous le demande qui ne voudrait pas assister à cela ?
Camille Pluntz
Docteur en Sciences de Gestion (Marketing)