Par Marie-Anne Morin, Cofondatrice et Directrice Générale de FlexO
Le coworking, tantôt adulé, tantôt décrié, semble pris dans des vents contraires. Eté 2019, la saga WeWork faisait la Une de la presse économique avec son entrée en bourse manquée qui révélait des pertes équivalentes à son chiffre d’affaires. Depuis, la crise sanitaire de la Covid-19 est passée par là, avec la découverte massive du télétravail et les professionnels s’interrogent : les espaces de coworking, qui promettaient de révolutionner les habitudes de travail, sont-ils en réalité amenés à disparaitre rapidement ?
Un peu d’histoire
Le mot coworking fait partie intégrante du vocabulaire de l’immobilier tertiaire, et s’y est imposé comme le modèle « flexible », par opposition au bail commercial. Si ces espaces ne représentent pour l’instant que 2% des surfaces de bureaux en France, les projections des spécialistes du secteur annoncent 15 à 20% de surfaces flexibles dans les 10 ans à venir. Et les transactions de ces deux dernières années le confirment, puisqu’à Paris la part des prises à bail par des acteurs dits de coworking atteint 30% du marché ! Le mot « coworking » a été popularisé en 1999 par Bernie De Koven pour expliquer l’essor du travail collaboratif. On considère généralement le C-Base de Berlin comme le tout premier espace de coworking. C’est cependant dans la Silicon Valley que ces nouveaux espaces de travail prennent véritablement de l’ampleur. La tendance est lancée. À partir des années 2005, le coworking se développe partout dans le monde, à commencer par les capitales. À Paris, la Cantine ouvre ses portes en 2008, suivie par des dizaines d’autres espaces plus originaux les uns que les autres.
Sans trop jouer sur les mots, centre d’affaires ou coworking ?
Nous l’avons bien compris, les premiers espaces de coworking étaient véritablement dédiés à la collaboration et plutôt axés sur l’univers du développement informatique. Mais à partir de 2008, le secteur voit arriver de nouveaux acteurs, avec notamment le Hollandais Spaces (2008) et l’Américain WeWork (2010), affichant leurs ambitions de développement sur le plan international, et avec une force de communication sans précédent sur ce marché. Avec eux, le coworking se démocratise considérablement et se transforme, en intégrant la location de bureaux dédiés, tout comme le faisaient depuis 20 ans déjà les centres d’affaires.
En effet, si les acteurs historiques comme HQ Global Workplaces (1962, racheté en 2005 par Regus IWG), Multiburo (1988), Regus (1989), Buro Club (1992) ou bien d’autres ont dû se réinventer en termes de design et de communication, le concept était quant à lui déjà bien présent.
Et si l’on considère qu’aujourd’hui, 75% des sites dits de « coworking » proposent en réalité des bureaux privatifs, fermés, sur plus de 80% de leur surface, la différence est minime pour l’utilisateur.
Et le télétravail dans tout ça ?
Mars 2020, la France, tout comme la plupart des pays, confine sa population. Des millions de salariés Français, essentiellement des cadres et apparentés, ont alors expérimenté le télétravail à temps complet. Un passage forcé pour certains, une réelle opportunité et une découverte pour d’autres. Il a en tout cas imposé aux chefs d’entreprises des pratiques qu’ils pensaient impossibles quelques semaines auparavant.
La France reste cependant très en retard dans la pratique du travail à domicile par rapport aux pays scandinaves et anglo-saxons. Avant le confinement, seuls 7 % des salariés français pratiquaient le télétravail selon une enquête du Forum Vies Mobiles. « Cela fait des années voire des décennies que l’on parle de télétravail, explique Sylvie Landriève, co-directeur du Forum. En réalité, sa pratique en France avance très peu, et cela malgré des assouplissements législatifs ces dernières années. Il y a une réelle réticence d’une partie des entreprises et des managers à ne pas avoir de contrôle visuel de leurs salariés ».
Aujourd’hui, les dirigeants savent que leurs équipes peuvent travailler ailleurs qu’au « bureau », au siège de l’entreprise. Mais pour la majorité des salariés, le rêve du télétravail s’est évanoui face à la réalité des appartements trop petits, des enfants trop bruyants, des connexions trop lentes, et surtout de l’absence de lien social. Selon un sondage réalisé par les Echos en mai 2020, seuls 11% des salariés interrogés souhaitaient travailler à distance 4 ou 5 jours par semaine. Et les spécialistes de BNPPRE confirment : « Pour 80% des répondants, les bureaux servent à se parler » (étude BNPPR post covid)
L’avenir sera flexible ou ne sera pas
Dans cette même étude, BNPPRE nous indique que suite à la crise de la Covid-19, 60% des entreprises envisagent de renégocier leur bail et leur loyer et que 36% vont réduire leur surface. En outre, 78% des entreprises vont changer leur politique en matière de télétravail.
Alors si les entreprises comme les salariés s’entendent sur un travail partiellement à distance, mais pas forcément à domicile ? Si l’on ajoute qu’aujourd’hui le principal souhait des travailleurs est de revenir vers des lieux de convivialité et de rencontre, mais dans le respect des normes et des protocoles sanitaires ? Si au demeurant les entreprises ébranlées par un manque de visibilité et parfois de trésorerie cherchent à minimiser les investissements et les engagements longs ? Alors la solution passera nécessairement par des espaces de travail flexibles.
Bien sûr, la vision des grandes tables communautaires semble un peu dépassée dans le contexte sanitaire actuel ou la distanciation sociale et la désinfection sont de mise. Mais comme décrit plus haut ses espaces communautaires ne représentent en réalité qu’une petite partie des mètres carrés de ces lieux d’échanges. Au demeurant, ces nouvelles normes imposent des contraintes supplémentaires aux services généraux des entreprises (ou au dirigeant sur des structures de taille plus modeste), contraintes qu’il est fort confortable de déléguer à un professionnel de l’espace de travail.
En conclusion, il nous faut remettre les données récentes dans une perspective plus large. Depuis plus de 30 ans les habitudes et les outils de travail évoluent. La digitalisation des outils permet une mobilité toujours plus grande des salariés. Aujourd’hui les gens ne « vont » plus « au travail », ils « travaillent » ! Alors au-delà des erreurs de gestion de certains acteurs, au-delà de la crise sanitaire, oui, les espaces flexibles ont plus que jamais leur place dans le paysage de l’immobilier tertiaires. Les entrées au capital des coworkers ces dernières années, et tout récemment encore, de groupes internationaux comme Accord, BNP Paribas, ou KKR pour ne citer qu’eux, et la multiplication des espaces et des acteurs, confirment cette tendance de fond.
Tiers-lieux, centres d’affaires, coworking, flex’office, chaque acteur apporte ses particularités et sa spécificité, mais tous ont un objectif commun : répondre aux demandes de fond des entreprises et des utilisateurs, et s’adapter aux évolutions actuelles. Ce développement a encore de beaux jours devant lui !
Sources :
Infographie : les dates clefs de l’histoire du coworking
Sondage Les Echos, réalisé les 13 et 14 mai 2020 auprès d’un échantillon de 1.015 personnes selon la méthode des quotas.
BNPPRE, étude du 17 juin 2020