Après deux décennies passées à enchainer les victoires sur le court, Roger Federer a tiré sa révérence en ce mois de septembre 2022. On se souviendra bien entendu du champion qu’il était et de ses vingt titres en Grand Chelem, mais également de son image dont la gestion sans faille lui aura permis de devenir une marque à part entière.
Un Suisse blanc comme neige
Chaque génération a été marquée par des sportifs hors-normes, ces champions capables de prouesses telles, que leur nom est devenu indissociable de la discipline où ils ont su briller. A peine retraité, Roger Federer est déjà entré au panthéon des plus grands tennismen de l’Histoire, mais là où il se démarque, c’est dans sa capacité à avoir su créer et faire perdurer une image irréprochable. D’autres avant lui ont bénéficié d’une même aura médiatique, mais certains étaient clivant sur le plan sportif à l’image de Michael Jordan et sa tendance au trash-talk, tandis que d’autres sont tombés en disgrâce pour des raisons extra-sportives comme Tiger Woods, déchu de son image de gendre idéal.
Certes, en y réfléchissant un peu il est toujours possible d’émettre quelques critiques à l’encontre de Roger Federer : son omniprésence publicitaire, son discours convenu, ou même le fait qu’il réside à Dubaï, mais rien de suffisant pour entacher une image aussi travaillée qu’efficace, qui correspond précisément à ce que recherchent les entreprises de tous secteurs en quête d’égéries. Ainsi, le Suisse a pu se permettre tout au long de sa carrière, de sélectionner les sponsors correspondant à la fois à son positionnement premium et à ses valeurs. On retrouve logiquement des grands noms synonymes d’excellence comme Rolex, Moët & Chandon et Mercedes-Benz, ou d’autres plus accessibles que sont Barilla et Lindt, mais qui ont pour point commun de posséder une image haut de gamme vis-à-vis de la concurrence.
Certains dénotent davantage, comme Netjets ou le Crédit Suisse, accusé d’investir dans les énergies fossiles courant 2020, et s’attirant par l’occasion les foudres de ceux ayant des préoccupations d’ordre climatique. Toutefois, Federer avait alors déclaré profiter de sa position privilégiée pour aborder ces préoccupations avec ses sponsors, et joué des matchs d’exhibition afin de financer la lutte contre les incendies en Australie, évitant ainsi tout revers médiatique. Un discours cohérent reposant sur une volonté de favoriser des partenaires qualitatifs, plutôt que quantitatifs afin de soigner plus aisément son image, et c’est d’ailleurs peut-être une autre de ses particularités : Roger Federer est le symbole de toute une génération, alors que son image lisse dénote avec ce qui se fait de nos jours, à l’instar des influenceurs parvenant à sortir du lot uniquement à grand renfort de bad buzz, tant le fait d’être clivant est devenu un atout marketing.
La « Federer brand »
Même si Roger Federer était avant tout un sportif, son nom est devenu depuis près d’une décennie une marque à part entière, capable de transmettre des valeurs et surtout, de générer des revenus. Les premiers contrats d’un sportif professionnel sont liés à son activité, et concernent bien souvent des équipementiers, mais plus la notoriété progresse, plus les possibilités sont nombreuses et les revenus intéressants, jusqu’à, pour les meilleurs, même dépasser ceux liés aux performances sportives, et c’est précisément ce qui distingue le champion du sportif de haut niveau.
Ce tour de force financier rare, sans pour autant être unique dans le monde du sport, repose tout d’abord sur un palmarès hors norme permettant d’être reconnu comme un grand nom de sa discipline, même auprès de ceux ne s’y intéressant pas. Autant dire qu’avec ses 103 titres et ses 1251 victoires, c’est mission accomplie depuis bien longtemps pour le Suisse, mais faire de son nom une marque nécessite également un important travail médiatique.
Roger Federer fait là encore partie de ce qui se fait de mieux dans le monde du tennis, avec sa fanbase de plus de 40 millions de followers sur les principaux réseaux sociaux, auprès de laquelle il dispose d’un véritable impact marketing et commercial, bien supérieur à celui de n’importe quelle fédération de tennis, ou même compétition. A titre de comparaison, seuls Nadal, Djokovic, Serena Williams et Naomi Osaka peuvent se vanter de bénéficier d’un tel auditoire dans le monde du tennis.
Ainsi, sans grande surprise, si l’on s’intéresse au classement Forbes des sportifs ayant gagné le plus d’argent en 2022, on remarque que Roger Federer occupe la 7ème position tous sports et pays confondus, et ce, malgré une année blanche durant laquelle il n’a pour ainsi dire presque pas joué.
Ses revenus 2021 étaient pourtant estimés à 90,7 millions de dollars, dont 90 provenant exclusivement de ses contrats de sponsoring, et l’arrêt de sa carrière de joueur ne signifie en aucun cas la fin de sa carrière hors du court. Non content d’avoir signé un contrat avec Uniqlo de l’ordre de 300 millions de dollars allant jusqu’en 2027, Roger Federer suit désormais les pas de Michael Jordan, et propose ses propres sneakers haut de gamme à travers l’équipementier Suisse On Running.
Une success story débutée sur le court à la fin des années 90, qui se poursuit deux décennies plus tard dans le marketing et semble bien partie pour durer encore très longtemps. Lui qui a été le meilleur joueur de tennis, saura-t-il devenir le plus grand entrepreneur du sport business ?
Mathieu Sauvajot
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