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Le mouvement pour le renversement du régime en Iran dépassera-t-il ses cent jours ?


Tribune d’Afchine Alavi* Trois mois après le début du soulèvement en Iran et à la veille de ses cent jours, le pays vit ses moments les plus cruciaux. La détermination de son peuple pour conquérir sa liberté ne montre aucun signe de faiblesse malgré une sévère répression et plusieurs condamnations...

Photo: Frank Rumpenhorst/DPA/ABACAPRESS.COM

Tribune d’Afchine Alavi*

Trois mois après le début du soulèvement en Iran et à la veille de ses cent jours, le pays vit ses moments les plus cruciaux. La détermination de son peuple pour conquérir sa liberté ne montre aucun signe de faiblesse malgré une sévère répression et plusieurs condamnations et mises à mort.

Des hésitations ont pu être signalé à la veille des exécutions sur la capacité du mouvement à se poursuivre, certains cercles d’intérêt remettant en doute les chances du mouvement en arguant qu’il n’y a pas d’organisation pour remplacer le régime d’Ali Khamenei.

Selon eux le mouvement n’est pas en mesure de fédérer l’opposition au régime en vue de son renversement et par conséquent il y aurait lieu de douter sur les chances d’une victoire. Un argument servant parfois à justifier l’inaction des gouvernements occidentaux qui hésitent à rompre les ponts avec la théocratie et reconnaître le droit du peuple iranien à une résistance légitime face à la violence du régime. Une inaction qui est dû aussi au fait que certains diplomates étrangers ne saisissent pas réellement ce qui se passe en profondeur en Iran, longtemps influencés par un cercle restreint de spécialistes qui observent la société iranienne du prisme des factions du pouvoir iranien avec qui ils ont parfois tissé des liens fraternels. La fréquentation de certains journalistes aussi se limitant aux milieux super branchés à Téhéran mais déconnectés du quotidien de l’Iranien ordinaire et ses revendications. Conséquence : les chancelleries sont déboussolés face à ce qui se passe aujourd’hui en Iran.  

Donneurs de leçons

Pourtant, libéré des écrans de fumée, le soulèvement en Iran a jusqu’à présent établi certaines réalités fondamentales. Il a d’abord prouvé que les idées véhiculées par certains centres de réflexion, pour qui le régime était doté d’une base populaire, étaient fausses. Rappelons l’époque où les pseudos spécialistes de l’Iran se relayaient sur les chaînes de radios et de télévisions en France pour affirmer haut et fort que le régime est populaire et que les Iraniens « nationalistes » ne sont pas prêts à se tourner contre leur propre régime ! Drôle d’argument tiré d’une définition curieuse du nationalisme ou du patriotisme !  Combien de fois n’avons-nous pas entendu les donneurs de leçons affirmer aussi que la situation iranienne n’est pas une situation révolutionnaire et le peuple ne veut pas d’une autre révolution. 

Maintenant que la situation a évolué sur le terrain, le parallélisme fait avec le mouvement révolutionnaire qui a entrainé la chute de la dictature du Chah, se répand dans ces milieux qui nous ont habitués à des analyses superficielles. Par conséquent le rêve de manifestations de masse qui pousserait le guide suprême des mollahs à abdiquer ou quitter le pays, comme ce fut pour le dernier monarque d’Iran, enfonce certains dans une grande illusion.

Khamenei ne baissera pas les bras

Le régime du Chah était sous emprise américaine, la politique des droits de l’homme de l’administration Carter l’a désarmé. Perdant ses instruments de répression, le Chah n’avait plus d’autre issue que de dégager face à la colère populaire. Le régime actuel est bien différent de la dictature du chah, il s’agit d’une dictature religieuse intégriste dont la survie est liée à la répression et à l’exportation de crise à savoir le terrorisme et le fondamentalisme vers le reste du monde. Il a toutefois longuement bénéficié de la complaisance des gouvernements américains, mais aussi européens, qui préfèrent le maintien du statuquo à tout changement et ont longtemps espéré changer le comportement du régime en lui offrant des paquets d’incitations. Erreur de calcul, les puissances étrangères n’ont pas d’impact pour le faire évoluer ou réformer, encore moins le faire renoncer à la répression.

Une révolution contre les mollahs ne surviendra pas forcément selon le schéma vécu contre la dictature du Chah. En l’espèce nous sommes face à un régime fasciste soucieux de ne pas commettre les mêmes erreurs du Chah à la fin de son règne. N’en doutons pas, Khamenei ne baissera pas les bras et réprimera jusqu’au dernier souffle de son dernier pasdaran.

Trois mois de manifestations courageuses

Au même titre que l’effondrement automatique du régime des mollahs est une chimère, la question de l’inexistence d’organisation dans ce soulèvement est un faux problème qui ne reflète pas la réalité du terrain, qui tend à confirmer un important degré d’organisation et de coordination du mouvement actuel, assurant la remarquable longévité du processus révolutionnaire en cours.

Trois mois de manifestations courageuses – en raison de la répression – et incessantes sont venus confirmer, comme on l’a vu dans les slogans, que les Iraniens rejettent toutes les formes de dictature, les régimes actuels et passés. Il a également été confirmé que les programmes balistiques et nucléaires du régime et son expansionnisme dans la région visent à dissimuler son impasse dans sa confrontation majeure contre le peuple iranien qui cherche à le renverser. Les aventures sanglantes et coûteuses du régime dans la région sont rejetées radicalement par la population. Les manifestants brûlent et détruisent les symboles du régime, à commencer les statues et effigies à la gloire du général des Pasdaran Ghassem Soleimani –  qui rappelons-le, plus d’un « spécialiste » de l’Iran dans les médias français, européens ou américains, nous ont dépeint ce terroriste cruel comme un héros national. C’est utile parfois de rafraîchir les mémoires à ce propos. 

Soutenir le peuple iranien

Ce qui est important à retenir est que même si le régime arrivait à maitriser le mouvement en augmentant l’intensité de la répression, l’Iran a été bouleversé durablement et plus rien de sera jamais comme avant. Le pouvoir à recours à milles ruses pour atténuer la volonté des Iraniens de renverser de régime et convertir la révolution en une contestation moins dangereuse, propager des slogans qui désunissent le peuple, répandre des revendications qui font oublier l’objectif principal à savoir la fin de la dictature des mollahs. Mais ses efforts n’ont plus aucune chance d’aboutir face à des Iraniens vigilants.

En l’état actuel des choses et à défaut de pouvoir influencer sur le besoin de répression du régime, la communauté internationale n’a qu’une voie efficace pour agir positivement et corriger les erreurs passé en soutenant à fond le droit légitime du peuple iranien à renverser ce régime.

La faute politique au niveau international serait de vouloir dicter au peuple iranien ce qu’il doit faire, au mieux chercher à accompagner le mouvement sans s’y mouiller ou l’influencer dans le sens contraire aux intérêts du peuple, au lieu de suivre la volonté de ce dernier qui ferait son chemin au prix de grands sacrifices.

Le régime craint que le mouvement se renforce davantage, sachant fort bien que cela le fera tomber. C’est pourquoi il cherche à inciter les gens à manifester silencieusement au lieu de le combattre, à faire croire qu’en l’absence de manifestation monstre, il restera en place. Il veut faire croire que ce mouvement est le fruit d’un simple malentendu et juste d’une bavure. Certains à l’intérieur comme à l’étranger peuvent tomber dans ce piège.

Le véritable obstacle au mouvement serait d’agir dans la direction voulue par le régime pour dévier le cours des évènements. Les alliés de la dictature sont ceux à l’intérieur qui placent leurs propres intérêts avant celui visant le renversement du régime, voulant surfer sur le sang des manifestants. Ses alliés à l’extérieur sont aussi ceux des pays qui refuseront de reconnaitre le droit du peuple iranien à renverser ce régime. 

Un Front de solidarité national

On peut conclure que dans son quatrième mois ce mouvement a pu s’organiser au-delà de toute espérance. A cet égard, le degré d’organisation et de fédération des forces en présences sur le terrain est loin d’être une lacune. Ecartons donc les faux problèmes et concentrons-nous sur l’essentiel. Qu’en est-il de la question de l’alternative ? L’alternative n’est certainement pas une chose que l’on construit en quelques jours. Elle n’est pas une coalition de forces disparates et contradictoires qui recherchent des objectifs qui se contredisent. L’alternative ne se construit pas en imposant quelques figures de pacotilles où des espèces de Chalabi, purs produits des services étrangers – le mot « pur » étant très inapproprié. Tout cela n’entraineront qu’un désastre que nous avons pu observer en Irak.

Les Iraniens sont résolus à payer le prix fort de la liberté

L’alternative se construira dans le lit de la révolution par le peuple iranien. Faisons lui confiance. L’union et la solidarité des forces vives de la société sont une condition nécessaire au succès de la révolution iranienne pour une république démocratique et laïque. Le cours des évènements ces derniers mois a montré que cette condition est aujourd’hui réunie, le mouvement étant caractérisé par une solidarité remarquable des différents secteurs de la société, les minorités, les femmes, les étudiants, les travailleurs, qui sont dans la rue pour réaliser le changement de régime. Du Baloutchistan au Kurdistan, en passant par Téhéran et les grandes et petites villes iraniennes, une formidable unité dans les actions et les slogans des manifestants permet de mesurer le degré de coordination entre les forces d’un mouvement populaire qui ne faiblit pas malgré la violence du régime.  Le nombre élevé des manifestants tués que nous avons répertoriés – à savoir plus de 700 martyrs, parmi lesquels 65 enfants, -Le CNRI a publié l’identité de plus de 589 manifestants tués- le nombre élevé des arrestations qui s’élève à 32000, montrent que les Iraniens sont résolus à payer le prix fort de la liberté.

Cela fait près de 120 ans qu’ils luttent pour la démocratie (la Révolution constitutionnelle a eu lieu en 1906) et l’expérience a montré que l’époque de la concentration du pouvoir entre les mains d’une personne ou d’une faction restreintes de gens est révolue. C’est la coopération sincère et engagé de toutes les forces démocratiques qui peut garantir la victoire et préserver les acquis. Pour répondre à cette nécessité, le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), a lancé un appel pour l’union de toutes les forces et personnalités démocratiques autour du Front de solidarité national, (2002). Trois principes président à cette indispensable union :

  1. Rechercher le renversement du régime dans son intégralité, avec le rejet de toutes ses factions
  2. L’instauration d’une république démocratique
  3. La séparation de l’Etat et de la religion

La stratégie de la Résistance

L’opposition poursuit une stratégie à plusieurs volets qui repose sur les capacités du peuple iranien et plus particulièrement le réseau social du mouvement des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI) dans le pays. La stratégie des unités de résistance ces dernières années pour briser le mur de la répression et préparer le terrain aux soulèvements a porté ses fruits. Celle-ci repose sur les réalités de la société iranienne et de l’Etat de répression généralisée. Le renversement du pouvoir requière avant tout des militants prêts à affronter le danger et payer le prix de la liberté.

Outre son réseau de Renseignements, les « unités de résistance » sont le pilier du mouvement, permettant d’organiser les forces anti-régime dans les divers secteurs de la société. Ce qui caractérise les membres des unités de résistance c’est qu’ils et elles sont des citoyens qui évoluent dans les divers secteurs de la société : étudiants, ouvriers, infirmières, boutiquiers, salariés, cadre du secteur public mais aussi des jeunes sans-emplois… qui vivent et agissent dans leurs propres environnements. Ils et elles ne vivent pas dans la clandestinité, mais sont présent partout dans la vie courante, et par conséquent peuvent jouer un rôle crucial pour démarrer et devenir des leaders de grands nombres de manifestations dans les quartiers et les cités.

Des slogans de plus en plus radicaux

Le caractère organisé du mouvement est en partie le fruit de plusieurs années d’efforts et de sacrifices des unités de résistance dans les villes iraniennes. Ce faisant, ils ont effectivement encouragé les jeunes à se révolter contre le régime. En observant ces mouvements on peut remarquer que les jeunes Iraniens perpétuent tout en innovant les méthodes de lutte déclenchées par ces unités de résistance et visent les cibles qu’elles ont longtemps désignés.

Les slogans sont de plus en plus radicaux, de moins en moins d’Iraniens sollicitent le régime des mollahs pour leur octroyer des droits. De plus en plus ils exigent le renversement pur et simple de la dictature.  Les autorités ou analystes du régime font remarquer que nombre de slogans lancé dans les manifestations en Iran durant ces trois mois sont en fait des slogans criés pour la première fois par la Résistance iranienne : « A bas Khamenei », « A bas l’oppresseur, que ce soit le chah ou le guide » …

Les unités de résistance sont aujourd’hui une réalité de la société iranienne et la bête noire du régime. Le 19 octobre dernier, dans un document confidentiel des Gardiens de la révolution, un responsable a mis en garde contre « les activités de sabotage des éléments affiliés aux unités de résistance des monafeghines » (hypocrites, terme péjoratif du régime pour désigner les moudjahidine du peuple) et a ordonné de prendre des mesures pour les combattre. Le 31 octobre, l’adjoint de Raïssi pour les affaires juridiques a exprimé également son inquiétude : « les monafeghine (les Moudjahidine du peuple) sont en train de recruter notre jeunesse, et malheureusement nous voyons que certaines personnes prennent leur parti. »

En dépit d’une répression féroce et de nombreuses arrestations dans ses rangs, les unités de résistance n’ont cessé de croitre à la fois en nombre et en efficacité. Franchissant une étape nouvelle de leur développement, elles ont su coordonner leurs forces afin de mener des actions communes et s’adapter à la nouvelle donne sur le terrain. Grace à la multiplication de ses activités, ce réseau, lancé depuis 2014 par l’OMPI, a su répandre une culture de résistance et d’activisme parmi la jeunesse des cités. Son impact était visible dans l’étendue d’actes de résistance tels que la destruction des symboles et des centres du régime au cours des récentes manifestations.

L’action des unités de résistance a franchi une étape nouvelle lorsqu’elles ont réussi à mener des activités offensives simultanées dans les grandes villes et les différents quartiers afin d’empêcher la concentration des forces répressives et diminuer la capacité de nuisance de ces forces. Des rapports fiables confirment que cette tactique a posé de sérieux défis pour le régime et assuré la longévité du mouvement.

La société n’est pas disposée à abdiquer

Le 9 novembre, le ministre iranien du renseignement, Isma’il Khatib, a alerté au sujet des unités de résistance et souligné que le mouvement de protestation avait « un plan sophistiqué visant à saper la concentration des forces » répressives. « Ces rassemblements épars ont été enflammés par un nombre limité d’éléments, avec des mesures ponctuelles, calculées et audacieuses, entièrement organisées et dirigées », a-t-il déclaré. Le 11 novembre, les services du Renseignement des Gardiens de la révolution ont appelé à la vigilance et à recueillir d’avantage d’information sur les activités de l’Ompi et ses unités de résistance sur le terrain.

Reconnaissant l’ampleur du mouvement les autorités ont fait état de l’arrestation de dizaines de « leaders » du soulèvement dans diverses villes. Ils ont affirmé que 50 sont membres des Moudjahidine du peuple.

La situation en Iran a basculé dans un processus révolutionnaire durable qui aboutira à l’inéluctable chute du régime. Celui-ci peut changer de rythme, d’intensité et de tactique, mais rien ne peut plus arrêter le train du changement en marche. La mise à mort des manifestants, loin d’intimider la population, ne fera qu’augmenter la colère et la détermination des jeunes manifestants. Une génération qui a montré qu’elle n’est plus prête à abdiquer sous l’effet de la peur ni se laisser impressionner par l’appareil de répression qui avait réussi jusqu’à présent à imposer le silence à toute une société.

Face à la répression généralisée, nous avons à présent un mouvement de résistance fondé sur l’usure du pouvoir et sur le défi lancé contre lui et son guide suprême dont les forces se délitent au sein de l’establishment religieux. Le face-à-face actuel va très rapidement tendre vers une plus grande offensive des forces révolutionnaires, qui se préparent dors-et-déjà pour la prochaine confrontation majeure.

Afchine Alavi

*Afchine Alavi est membre de la commission des affaires étrangère du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI)

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