Un bouquin sous forme d’entretien que devrait lire toute une génération, et pas seulement celle qui veut entreprendre. Car, au-delà du parcours singulier de l’homme, c’est un hymne à la vie, au progrès et à la création, même lorsqu’il évoque l’affaire Casino et que Xavier Niel se paye le luxe, au passage, d’assassiner un certain Daniel Kretinsky.
Les réponses du fondateur de Free ne s’embarrassent pas de formules creuses, et c’est ce qui les rend si précieuses. Le créateur de Station F donne vraiment des fourmis dans les jambes et des envies de grand large. Rien pourtant ne prédestinait ce gamin de Créteil à devenir ce qu’il est devenu : la plus grande réussite de self-made-man français de ces 20 dernières années. Niel est en ébullition permanente, son cerveau s’intéresse à tout.
Succès contagieux
Passionné d’avenir et de tech, le petit gars de Créteil, qui s’amusait à coder à 15 ans sur son premier PC dans son pavillon de banlieue, prend la vie comme un jeu, avouant que rien ne saurait le combler davantage que de se retrouver chaque jour à son bureau pour faire avancer ses projets. Une boulimie créatrice qui donne des ailes. Le succès est contagieux.
Il a eu pourtant ses échecs, retentissants pour certains. Mais le président du fonds New Wave F ne se décourage pas, même après son passage en taule ! Un esprit positif obsédé par les innovations, qui laisse à penser qu’on peut toujours trouver des solutions à tous les problèmes du moment. Un tourbillon d’actions et d’extrapolations qui fait du bien dans un monde conformiste où tout le monde s’observe et se scrute.
Et où l’on ne parle que de retraite, d’assistanat et de droits. En finir avec les conventions et préjugés, le fondateur de Free en appelle à la libération des esprits et des tempéraments. Cela ne passe pas par le niveau de diplôme ou l’origine, mais par la capacité individuelle à trouver en permanence des solutions et à les mettre en œuvre.
Petite bombe
Dans le monde feutré du capitalisme tricolore, il est singulier de voir qu’avoir un esprit aussi libéré que celui de Xavier Niel ne l’a pas empêché de bâtir la plus belle des réussites entrepreneuriales de ces dernières années : à 57 ans, le fondateur d’Iliad (9,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans les télécoms), Station F, Écoles 42, Hectar, 28 % d’Unibail-Rodamco-Westfield, Kima Ventures, Mediawan, n’est-il pas devenu la neuvième fortune française, au même niveau qu’un François Pinault ? De ce point de vue, le succès de son parcours témoigne que le capitalisme français n’est pas aussi fermé qu’il y paraît. Et c’est peut-être la meilleure nouvelle qui soit.
À la fin de son livre, à ce propos, c’est plus fort que lui, Niel ne peut s’empêcher de lâcher une petite bombe sur l’affaire Casino et de tomber à bras raccourci sur les « magouilles » qui l’auraient empêché, avec ses associés dans Teract, Moez-Alexandre Zouari (Picard), Matthieu Pigasse et Thierry Blandinières (InVivo), de sauver le grand distributeur de Saint-Étienne, présidé par Jean-Charles Naouri. C’est plus fort que lui, Niel passe à table.
En français, dans le texte : « La manière dont s’est déroulé le dossier Casino, c’est exactement la France que je déteste, la France d’un autre temps… Parce que c’est de la magouille de toutes les parties, qui va aboutir au licenciement de 20 000 salariés, et qui va faire de Saint-Étienne une ville sinistrée. Tout ça parce que, à tous les étages, il y a eu de la compromission. T’as un banquier chez Rothschild qui donne le sentiment de travailler à la fois pour Daniel Kretinsky, c’est-à-dire l’acheteur, et pour Casino, le vendeur. Kretinsky joue sa partition, je ne conteste pas ce qu’il a fait, je m’interroge sur les gens qui ont accepté ses initiatives. Il va réussir à retourner un fonds d’investissement, actionnaire de Casino, et grâce à ça, le vote du conseil d’administration va basculer en sa faveur. Il obtient ce résultat en promettant 30 millions d’euros supplémentaires d’indemnisation pour ce fonds… La rumeur dit que Jean-Charles Naouri aurait touché 100 millions d’euros, parce qu’il reste conseiller de l’opération. Ajoute à cela le fait que les acheteurs ont promis au tribunal de commerce et à tous les créanciers que Casino ne serait pas découpée, alors que la société est déjà à la découpe et que tout est vendu à l’encan… C’est la France que je n’aime pas. Une France indifférente à la souffrance des salariés. Ce processus n’aboutit pas à la meilleure offre pour l’entreprise et ses salariés… »
C’est ce Niel franc et sans détours que nous aimons. Celui qui milite aussi, par exemple, pour « la transparence des données utilisées dans les algorithmes des réseaux sociaux ». Une sincérité au fil des pages qui fait du bien et qu’exprime sans fards ce chevalier de la nouvelle économie qui ne ressemble décidément ni à Bernard Tapie ni à Elon Musk, mais bien à lui seul ! Authentique !
« J’aime les entrepreneurs parce qu’ils sont différents, parce qu’ils ont un petit grain, parce que je ne me fais pas chier avec eux. Les gens me voient comme un milliardaire, mais moi, je me vois comme un entrepreneur. » Xavier Niel