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Le Président et l’infra-nucléaire


Quelle que soit la dimension intérieure des prises de position  récentes du Président de la République sur la question de la guerre et de la paix - dues à de mauvais sondages et à des perspectives, à ce stade, préoccupantes pour les élections européennes du 9 juin prochain -, les déclarations réitérées sur « les troupes au sol » en Ukraine et la réflexion envisagée, à un stade ultérieur, sur la « mutualisation » à l’échelle de l’Europe des armements nucléaires français, veulent sans doute aussi s’inscrire dans une logique de dissuasion.

Entreprendre - Le Président et l’infra-nucléaire

Par Patrick Pascal, ancien ambassadeur et président du Groupe ALSTOM à Moscou pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. Il est également le fondateur et le président de « Perspectives Europe-Monde ». 

Alors que l’Ukraine éprouve, semble-t-il, des difficultés à tenir sa ligne de front face à la Russie et que l’aide américaine renouvelée n’inversera pas nécessairement le cours des choses, le Président de la République a pu vouloir signifier que la France n’entendait pas rester inerte et ainsi prévenir un éventuel effondrement de Kiev. Le message est à l’évidence adressé à la Russie, mais aussi aux partenaires européens avec en toile de fond le réexamen de l’architecture de sécurité sur le continent. La logique des propos est celle de la dissuasion, ici conventionnelle, mais avec en filigrane l’armement nucléaire français.

Au cours de la guerre froide, le nucléaire a paradoxalement garanti une certaine stabilité du système international. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Alors que le nucléaire avait assuré la paix, à l’exception notable de la crise des fusées de Cuba de 1962 où le monde fut au bord du gouffre, il permet et même favorise aujourd’hui la guerre. Une puissance nucléaire majeure s’appuie sur un arsenal redondant – par des déclarations voilées ou plus explicites – pour affronter un État non doté.

Ce cas de figure pourrait bien devenir un modèle de référence et l’on serait alors bel et bien entré dans l’ère de « l’infra-nucléaire », c’est-à-dire dans une période d’érosion de la dissuasion classique. À titre d’exemple, les armes nucléaires emportées par les Rafale français – qui sont des armes pré-stratégiques « d’ultime avertissement » – deviendraient-elles à terme des armes tactiques d’emploi potentiel sur le champ de bataille ?

Il ne s’agit pas véritablement d’ouvrir ici un débat mais plutôt, à ce stade, d’une bien modeste contribution qui est plus une réaction épidermique.

Le débat est sans doute quelque peu prématuré tant que les États-Unis garantissent à de nombreux pays européens un “parapluie” nucléaire. On peut même penser d’ailleurs que – même en cas de victoire de Trump – ils ne quitteront pas l’OTAN qui leur offre bien des avantages.

Avoir à nouveau des armes nucléaires tactiques, signifierait pour la France l’acceptation théorique d’une guerre nucléaire limitée sur le continent européen.

Si l’on considère que son nucléaire stratégique serait alors de facto “découplé” en quelque sorte de ses autres moyens nucléaires, cela signifierait un changement majeur de sa doctrine. Le général de Gaulle, sauf erreur, avait eu en son temps une réflexion comparable à propos des armes tactiques américaines en Europe qu’il avait considérées comme des armes de découplage.

Au fond, peut-on croire  à la possibilité du recours à l’arme nucléaire sur le continent européen ? Notre nucléaire n’est-il finalement pas réservé à  la menace que pourraient faire peser de nouvelles puissances nucléaires, jugées a priori irrationnelles ?

Patrick Pascal

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