A la tête d’une fortune évaluée à 8 milliards d’euros, le milliardaire tchèque de 47 ans ne cesse d’étendre sa toile en France. De l’énergie à la distribution en passant par les médias et l’édition, l’appétit de Daniel Kretinsky est sans limite. Mais celui qui est considéré comme l’un des industriels les plus puissants d’Europe intrigue. Quelles sont les véritables intentions de « Citizen K » ?
Sa dernière proie est connue de tous les Français : le groupe Fnac-Darty. Après être monté à 25 % du capital à travers son fonds d’investissement de droit luxembourgeois Vesa Equity Investment, Daniel Kretinsky, désormais premier actionnaire, va-t-il prendre le contrôle du géant français de la distribution ? Jusqu’à présent, le magnat tchèque a toujours démenti… S’il changeait d’avis, Kretinsky, qui a fait fortune dans le charbon en Europe de l’Est, devra racheter les parts détenus par le distributeur allemand de produits électroniques Ceconomy. Les bonnes relations entre Kretinsky et le PDG de la Fnac, Enrique Martinez, mais aussi la présence de l’ex PDG de l’entreprise Denis Olivennes, bras droit de Kretinsky et président du conseil de surveillance du groupe de presse CMI France, pourraient fluidifier les négociations…
Il s’est entendu avec Bolloré pour s’offrir Editis
Autre gros dossier pour Kretinsky : Editis. Avec ses filiales prestigieuses (La Découverte, Bordas, Nathan, Plon, Robert Laffont…), le deuxième acteur français de l’édition (éducation, littérature, livre de poche, distribution) était une proie de choix pour le magnat tchèque. Alors que Xavier Niel et Rodolphe Saadé ont préféré jeter l’éponge, Kretinsky s’est engouffré dans la brèche et s’est offert Editis (789 millions M€ de CA, Ndlr). Il aurait d’ailleurs rencontré Vincent Bolloré, président de Vivendi, pour finaliser la vente, selon Le Point.
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Racheté par Vivendi en janvier 2019, le groupe aux 2400 salariés devait être vendu (pour des questions de concurrence) par son propriétaire, Vincent Bolloré, qui s’apprête à racheter Hachette (Grasset, Fayard, Calmann-Lévy, Stock…), filiale de Lagardère. Pour racheter la totalité de l’éditeur, le Tchèque va débourser entre 700 et 800 millions d’euros — Bolloré avait signé un chèque de 829 millions d’euros en 2018.
Obsédé par la presse
Déjà propriétaire de médias en Europe centrale et en France (Marianne, Franc tireur, Elle, Télé7 jours, Public, Usbek & Rica, France Dimanche…) rachetés au fil de l’eau depuis 2018 (il s’est offert Lagardère Active pour 50 millions d’euros) et regroupés dans une entité, CMI France, dirigée par Denis Olivennes, Kretinsky ne semble pas rassasié. Diplômé de l’université de Prague, passé par la faculté de droit de Dijon, l’ancien avocat, fils de prof d’informatique et d’un juge, est devenu l’un des industriels les plus puissants d’Europe — son groupe EPH est le numéro un de l’énergie en Europe centrale. Il est présent dans tous les secteurs (presse écrite, radio, édition, digital, audiovisuel, podcast, distribution, énergies fossiles…) et dans plusieurs pays (République tchèque, France, Slovaquie, Pologne, Roumanie, Allemagne…). Il est actionnaire du Monde depuis 2018. Il a récemment renfloué Libération à hauteur de 14 millions d’euros sans rentrer au capital. Pour le moment…
On le dit également intéressé par Valeurs Actuelles, L’Opinion ou encore Challenges. L’appétit du Tchèque n’est pas mal perçu par l’État français, car Kretinsky est réputé être « Macron compatible ». Le milliardaire bénéficie aussi du réseau et de l’influence d’un certain Etienne Bertier. Véritable homme de l’ombre du magnat de l’énergie, cet ancien dirigeant d’EDF et de la Caisse des dépôts est celui qui a permis à Kretinsky de s’implanter dans le secteur des médias en France.
Kretinsky, qui a longtemps lorgné M6 — il étudie toujours le dossier —, possède également 5 % de TF1 et aurait l’intention d’augmenter sa participation. Il cible également le secteur du podcast avec son entrée au capital de Louie Media, l’un des premiers studios de podcasts en France, à hauteur de 47 %. Sans oublier les chaînes Bsmart, dont il détient 50 % du capital, et PolonyTV (Marianne). Il a même raflé les magazines du groupe Air France ! Bref, son empire médiatique est en passe de devenir tentaculaire. Mais il arrive aussi que le milliardaire tchèque échoue, comme lors de son éviction de la levée de fonds du média en ligne Brut. La raison ? Rodolphe Saadé et Xavier Niel se sont associés pour contrer « Citizen K ».
Cdiscount, Atos…
En dehors des médias, Kretinsky cible aussi le secteur de la distribution. Avant de jeter son dévolu sur Fnac-Darty, le patron de Marianne et ancien banquier avait fait ses emplettes. Via son véhicule d’investissement Vesa Equity Investment, l’homme d’affaires tchèque possède plus de 10 % du capital de Casino (Monoprix, Naturalia, Leader Price…). Et le milliardaire a une idée derrière la tête. Il aimerait que Fnac-Darty rachète le géant du e-commerce Cdiscount, qui appartient à… Casino. La transaction ne s’est pas faite car le PDG de Casino, Jean-Charles Naouri, demandait une somme exorbitante (un milliard d’euros). En parallèle, Kretinsky détient aussi 41 % de Metro et 10,3 % de Foot Locker. Fin 2021, il est sorti du capital de Maisons du Monde dans lequel il était entré en compagnie de Gabriel Naouri, fils de Jean-Charles Naouri. Ce n’est pas fini : le Tchèque envisage de racheter une partie d’Atos. Déjà en train de discuter avec Airfrance pour la cession de certaines filiales (cybersécurité, big data, supercalculateurs), le groupe informatique français pourrait vendre à Kretinsky certaines de ses activités historiques.
Enfin, Kretinsky, grand amateur de ballon rond, a également mis quelques billes dans le football. Propriétaire du Sparta Prague (République Tchèque) depuis 2004, il possède 27 % du club anglais de West Ham. Il se murmure qu’il étudie d’autres dossiers, notamment en France… Saint-Etienne ? Le club est à vendre, et l’un de ses partenaires historiques n’est autre que le groupe Casino, dont Kretinsky détient… 10 % du capital à travers Vesa Equity Investment…
Et s’il rachetait Engie ?
Les ambitions de Daniel Kretinsky sont rendues possibles grâce à son immense patrimoine estimé à plus de 8 milliards d’euros — il a doublé en cinq ans. « Citizen K » a notamment déboursé 43 millions d’euros pour s’offrir le château du Marais dans l’Essonne. Il possède une villa au coeur de Londres et une île privée aux Maldives, selon L’Equipe. En quelques années, il a bâti un véritable empire. Aujourd’hui, EPH, sa principale société, regroupe 70 entreprises à travers neuf pays en Europe, et sa production équivaut à… vingt réacteurs nucléaires. Elle fait partie des dix premiers fournisseurs d’énergie européens et a déjà investi en France, notamment dans des centrales à charbon qu’il a finalement dû fermer. Il se murmure d’ailleurs que l’appétit de Kretinsky pour les médias français trouverait son origine dans sa volonté de faire main basse sur un grand énergéticien français. Le nom d’Engie est souvent évoqué. A suivre…