Il s’agit des fonds créés ou rejoints par des entreprises non financières dans le but de financer des entreprises prometteuses et innovantes. En 2021, 30% du capital risque en France sont des fonds de capital-risque industriel (contre 22% en 2019)[1]. Les montants levés en présence d’un capital risque industriel (CRI) s’élève à 1,04 md€ en 2020, contre 814 m€ en 2019.
Cette augmentation a été favorisée par un dispositif[2] qui a assoupli la fiscalité des grands groupes industriels afin de promouvoir les investissements dans les jeunes entreprises innovantes. Ce dispositif permet aux grands groupes d’amortir sur 5 ans le montant de leurs prises de participation au capital de start-up et de bénéficier, par conséquent, d’une réduction d’impôt.
En raison de l’engouement des entreprises françaises pour les opérations de capital risque industriel ces dernières années, nous nous interrogeons si la formation des administrateurs dirigeants ne serait pas un déterminant de cet investissement dans l’innovation à travers le capital risque industriel.
Les grandes écoles élites sont une spécificité française en termes de formation. Elles sont placées sous le patronage de l’Etat, très impliqué dans l’économie. Les écoles les plus prestigieuses ont été créées durant la seconde moitié du XVIIIe siècle et avaient pour mission de former les grands corps d’Etat des ingénieurs chargés du développement économique et industriel en France.
Le gouvernement français accorde une grande importante aux activités de l’innovation. La France progresse à la 11ème place des pays les plus innovants au monde en 2023[3] (contre la 12ème place en 2020).
Cela nous emmène à poser la question suivante :
La formation des élites administratives influence-t-elle le développement de l’innovation ?
La spécificité de la France en matière de formation des dirigeants par le biais de grandes écoles est au cœur de nombreux débats sur la sphère publique. La plupart des élites économiques sont issues d’un nombre restreint d’écoles prestigieuses comme HEC, ENA, Polytechnique, Ecole des mines. Plusieurs personnes s’interrogent sur le contenu de la formation initiale des élites. On reproche aux élites de ne pas avoir une vision réaliste de la société et du monde. On reproche également au gouvernement français d’utiliser telles écoles comme des instruments au service d’un monde élitiste cloisonné (Van Appelghem et al.,2017[4]). On réclame l’ouverture de telles écoles à une population plus large. Indépendamment de ces reproches, nos résultats suggèrent que le passage des managers par ces écoles apporte des avantages à l’économie française.
Le passage des managers par les grandes écoles prestigieuses
Cet article s’appuie sur le travail de recherche de Souad BRINETTE, Ramzi BENKRAIEM et Sabrina KHEMIRI “Does directors’ educational background influence financing innovation through corporate venture capital investments? Evidence from France[5]”, à paraître dans la revue Finance Research Letters[6] (2024).
Notre étude est menée sur un échantillon composé de toutes les entreprises françaises du SBF 120 qui ont mené une stratégie de capital risque industriel entre 2000 et 2018.
Cette recherche met en exergue l’effet de l’école par laquelle sont passés les managers sur la décision de s’engager dans des stratégies de CRI.
Les résultats indiquent que le passage des managers par l’une des grandes écoles prestigieuses (telles que HEC, l’ESC Paris, l’ENA, Polytechnique, l’école nationale des ponts et chaussées, l’école normale supérieure, l’école des mines) influence positivement la décision de mener des stratégies de CRI.
L’explication probable est que le système français des grandes écoles au sein desquelles sont formés les dirigeants des grandes entreprises accorde une place importante à l’innovation.
Ces résultats montrent les avantages qu’apportent de telles écoles à l’économie française et mettent en valeur le rôle de la formation des dirigeants issus des écoles prestigieuses dans les activités d’innovation.
Grâce à leur processus rigoureux de sélection et de prestige, les grandes écoles attestent de la qualité de leurs profils de diplômés en tant que potentiels prometteurs pour les entreprises. Les futurs diplômés de ces écoles acquièrent un capital social et relationnel au cours de leurs études et rejoignent le groupe des élites dirigeantes des entreprises « l’Inner Circle ».
L’élite dirigeante française doit faire preuve d’une bonne image et d’une bonne réputation. Les dirigeants doivent dépasser cette vision à court terme de maximisation de leurs propres intérêts.
Ce n’est pas alors un choix de s’engager dans des opérations de capital risque industriel, jugées comme risquées ! C’est aussi une obligation pour maintenir l’image véhiculée par les écoles d’élites.
Des femmes dans les conseils d’administration
Les résultats montrent le rôle des femmes dirigeantes dans le financement des jeunes entreprises innovantes. Des femmes dans les conseils d’administration avec une expérience en management sont plus favorable à l’innovation.
Indépendamment de l’institution (école élite, école de commerce ou université), les femmes ayant une formation en management prennent davantage de risque comparé à leurs homologues masculins. Leur présence dans les conseils d’administration représente un coup de pouce aux opérations de capital risque industriel.
Ces résultats montrent que dans les domaines de l’économie, des affaires et des finances, les femmes ne sont pas moins confiantes que les hommes. Elles encourent des risques en investissant dans des stratégies de CRI.
Les administrateurs hommes semblent être défavorables aux activités de CRI. Seuls ceux ayant une formation en école d’élites exercent une influence positive sur la décision d’initier des activités de CRI.
Un autre résultat étonnant de notre étude concerne les femmes dirigeantes ayant une formation d’ingénieurs.
Nos résultats attestent que ces femmes ingénieures de formation ont un effet négatif et significatif sur cette stratégie d’innovation. Cela rejoint les propos de Liu (2018), « L’ingénieur n’est pas une figure héroïque comme a pu l’être l’inventeur ou le savant ».
Cela nous laisse penser aussi la formation des ingénieurs en France négligent les aspects économiques de l’entreprise. Elle est plutôt fondée sur les sciences exactes ou naturelles.
Cet article contribue à l’enrichissement du débat sur le système élitaire français.
Souad BRINETTE
EDC Paris Business School, OCRE, France
Ramzi BENKRAIEM
Audencia Business School, France
Sabrina KHEMIRI
Université Paris-Saclay, Univ Evry, IMT-BS, LITEM, 91025, Evry-Courcouronnes, France
[1] https://web-assets.bcg.com/f3/57/c743c09d4c3593c29d950291dc5b/les-grandes-entreprises-des-rapprochements-capitalistiques-avec-les-startups.pdf
[2] http://www.redressement-productif.gouv.fr, le 13 novembre 2013
[3] https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo-pub-2000-2023-en-main-report-global-innovation-index-2023-16th-edition.pdf
[4] VANAPPELGHEM, C.., BLUM, V., NGUYEN, P. (2017), La proximité entre dirigeant et administrateurs peut-elle favoriser la performance de l’entreprise?,Finance Contrôle Stratégie, 20-4. DOI: 10.4000/fcs.2013
[5] https://authors.elsevier.com/c/1iK5k5VD4Kr32Z
[6] https://www.sciencedirect.com/journal/finance-research-letters