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Le Travail : moteur de l’accomplissement de soi ou moyen existentiel ?


La chronique économique de Bernard Chaussegros La question du travail était déjà centrale dans le débat public Chacun est profondément attaché au travail, mais les discours sont subtils : si certains en font une valeur, d’autres s’interrogent sur sa longévité… Mais finalement, les débats restent en surface : plus ou moins...

Entreprendre - Le Travail : moteur de l’accomplissement de soi ou moyen existentiel ?

La chronique économique de Bernard Chaussegros

La question du travail était déjà centrale dans le débat public

Chacun est profondément attaché au travail, mais les discours sont subtils : si certains en font une valeur, d’autres s’interrogent sur sa longévité… Mais finalement, les débats restent en surface : plus ou moins d’heures de travail par semaine, sous quelle forme, pour quelle rémunération ? Et si l’on se demandait plutôt quelle place a aujourd’hui le travail dans nos sociétés occidentales, et cela va de soi, en France ? Immédiatement, les enjeux apparaissent plus nombreux, et les crispations aussi.

Valeur travail ou valeur du travail

Ériger le travail en tant que valeur de société, c’est confondre le travail et le résultat, c’est s’attacher au moyen et non à la finalité. Les uns diront que le travail permet de s’épanouir, les autres suggéreront qu’il permet de se libérer et de s’émanciper de sa condition, les derniers affirmerons qu’il permet de changer la société et la nature. Ainsi, le travail ne peut-il donc être une valeur, mais il a une valeur : il est indispensable pour vivre. C’est pour cela que nous sommes tous des travailleurs, et ce pour une raison simple : nous sommes tous consommateurs, et il convient de constater que consommation et travail sont des activités indispensables et indissociables.

Mais force est de constatée qu’un changement générationnel s’est opéré dans la façon de considérer ou de percevoir le travail. Avant-guerre, il était considéré comme un réel ascenseur social. Après-guerre, il se positionne différemment tel qu’un élément du bien-être. On oublierait presque aujourd’hui que ces changements se cristallisent jusque dans la perception que l’on a de l’utilité-même du travail. Il ne faut pas oublier qu’il est un élément pivot de sa vie, un rouage essentiel. Au-delà du bienêtre, si un individu n’a pas de travail, il ne se réalise pas et ne trouvera pas la considération dont il a besoin.

L’individu doit être considéré comme un véritable « actif » de l’entreprise et par conséquent, doit faire partie « intégrante » de la vision stratégique. Pour optimiser « cette valeur », il est indispensable de créer un environnement propice à l’épanouissement, au dépassement de soi, afin de créer de la performance et de la « dynamique de groupe ». Bien-être et épanouissement des collaborateurs, tout doit être fait pour que chaque activité puisse être une source de plaisir et de développement personnel. Placé dans un espace de confiance, il cesse d’être un poste de travail anonyme, mais devient un acteur du succès collectif. Il s’identifie au groupe et à sa réussite, il est impliqué et concerné. L’individu au travail a un certain nombre d’attentes qu’il doit obtenir afin d’atteindre un bon équilibre psychologique : connaître la nature et l’objectif du travail réalisé, obtenir une reconnaissance sociale, avoir de l’autonomie dans le travail, se voir déléguer un pouvoir de décision à son niveau d’implication, disposer d’une variété dans les tâches effectuées, d’une perspective d’évolution et bénéficier du respect de ses pairs.

L’investissement d’une entreprise pour le bien-être de ses collaborateurs ne doit donc pas être considéré comme un poste de coût, mais comme un investissement long terme. « Un collaborateur heureux sera un collaborateur fidèle et performant ».

Replacer l’humain au centre des préoccupations

Il convient, tout d’abord, de permettre le nécessaire équilibre entre vie privée et vie professionnelle, afin de respecter les priorités de chacun (focus sur les collaboratrices qui, malgré de réelles avancées ces dernières années, doivent le plus souvent gérer leurs contraintes familiales).

Il faut, ensuite, que l’organisation du travail reste agile et que soient évitées les excès de KPI, chiffres, modes opératoires et process. Une mesure de la performance au travail inadaptée ou des indicateurs omniprésents deviennent rapidement source de mal-être et de non-sens pour l’individu. De même, les organisations trop pyramidales ou trop neuronales peuvent rapidement être génératrices de souffrance.

On parle de plus en plus de QVT : Qualité de Vie au Travail, et ce pour redonner de l’envie et du plaisir, et du sens au travail. Que chaque salarié sache pourquoi il est important et en quoi il contribue à la réussite de l’entreprise. Il est indispensable que chacun trouve du plaisir et du sens dans les tâches qu’il a à effectuer. Il faut que cela aille de concert avec une bonne gestion et un accompagnement dans le développement des compétences. La volonté d’évolution de chacun doit être entendue. Accéder à des formations en interne contribue au développement personnel et professionnel des salariés. La majorité des Français considèrent que leur travail les enrichit.

La reconnaissance et le management complètent les axes incontournables pour valoriser le travail. En effet, une fois que les besoins physiologiques et sécuritaires sont assurés, l’individu éprouve des besoins d’appartenance et d’estime.

Dépassés par un monde agile, immédiat et digital, les modèles mis en place aujourd’hui sont obsolètes. Il serait opportun de gérer différemment la dimension humaine et de changer de prisme, notamment en réétudiant, dans le pilotage de l’entreprise, les conditions de travail, ainsi que la place des femmes, celle des jeunes et des séniors.

La pandémie de COVID-19 ou le bouleversement du monde du travail

La crise sanitaire a évidemment engendré et accéléré, pour les entreprises du monde entier, des effets dévastateurs et spectaculaires sur l’emploi, les moyens de subsistance, le bien-être des travailleurs et de leurs familles, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises, cœur économique de notre pays.

A l’inverse, 850 000 entreprises ont été créées en 2020, soit 35 000 de plus qu’en 2019. Il s’agit d’une augmentation de près de 4%. C’est un record.

Il est important de souligner que cette hausse est particulièrement visible pour les entreprises individuelles qui ont augmenté de plus de 6%. Sans doute, une volonté de changement de « vie » couplé à des activités « tournées vers le digital » En effet, certaines entreprises ont réussi à tirer parti d’Internet pour maintenir leurs activités, ouvrant la voie à des innovations passionnantes dans le monde du travail.

Travailler en 2050 : pour qui, pour quoi, et comment ?

Imaginez le monde en 2050 ! Sur 10 milliards d’humains, 6,7 sont actifs, la numérisation a atteint un niveau jamais vu, on assite à l’effondrement de l’accès aux ressources rares et à l’apogée du réchauffement climatique. De quels talents et compétences aura besoin l’humanité pour évoluer dans un tel contexte ?

Le directeur général adjoint de l’Institut Mines Télécom anticipe que 5 catégories de travailleurs animeront le monde en 2050 :

  • Ceux qui s’occuperont de la Terre, dans tous les sens du terme : agriculteurs, spécialistes de l’eau, de l’environnement, régulateurs pour permettre que la Terre vive…
  • Ceux qui produiront ce dont nous avons besoin : agroalimentaire, industrie, services…
  • Ceux qui s’occuperont des autres : médical, psychologie, éducation, social…
  • Ceux qui produiront des connaissances : recherche, innovation…
  • Ceux qui se préoccuperont de préparer le futur de l’Humanité : création, exploration, spatial…

Ces catégories existent déjà mais seront à l’avenir plus marquées alors que deux scenarii se profilent : soit l’humanité entre dans une période de guerres et de violences liées au réchauffement climatique et à l’effondrement de l’accès aux ressources rares, soit nous réussirons à anticiper et à prendre en compte les problématiques globales au niveau du vaisseau Terre, en nous organisant au niveau mondial.

Et il ne faut pas oublier l’émergence des transhumanistes, l’hypothèse où le numérique agit en substitution de l’humain, là où la majorité prêche pour une coévolution, un développement associant les compétences humaines et technologiques.

Va-t-on vers une coévolution de l’humain et de la machine ?

La numérisation à outrance entraîne la perte de compétences dans un métier, ce que Bernard Stigler appelle un « pharmakon » : une chose qui est à la fois un remède et un poison. A force de confier des tâches à la machine, l’humain ne sait plus les réaliser. En outre, il n’a à la fois plus de visée de progression, et ne progresse plus car il ne sait plus faire. L’intelligence artificielle du futur annonce un avenir sombre pour les humains. « Dans quelques décennies, les progrès de l’intelligence seront tels que ça deviendra un problème » avertit Bill Gates, relayant les propos du fondateur de SpaceX et de l’auteur d’Une brève histoire du temps.

La solution ?  Hybrider les compétences métiers avec le numérique ; et mener la coévolution de l’homme et de la machine, de manière à concevoir les méthodes et outils de l’avenir. Il faut ainsi marier les intelligences et la puissance de calculs, opérer une montée en compétences conjointe.

Une initiative à soutenir : « Travailler au Futur »

Parmi d’autres axes de réflexion, le groupe l’Humanité lance un projet innovant qui porte sur les enjeux du travail. Baptisé TaF pour « Travailler au Futur », il se décline en un triptyque interactif : une revue trimestrielle, une plateforme numérique coopérative et la tenue de colloques.

Les enjeux autour du « Travail au Futur » sont immenses et encore trop mal connus, les bouleversements auxquels il fait face sont innombrables et les évolutions à venir pourtant méconnues devront être correctement définies ! L’objectif initial est clair : apporter sa pierre dans cette réflexion et remettre tout cela au centre des débats, pour la définition des actions, la structuration des réflexions et la mise en œuvre des propositions.

Appuyé par une démarche collaborative avec des acteurs historiques, syndicats, associations, élus, mais aussi avec des intellectuels qui ont fait du travail leur sujet de recherche, ce projet au long cours a l’ambition de mettre en exergue de notre évolution sociale les multiples enjeux du travail, qui sont parfois cachés ou oubliés, de les magnifier tout en œuvrant à une nécessaire émancipation de toutes les logiques aliénantes qui nous enferment et nous sclérosent depuis des décennies.

La plateforme numérique www.travailleraufutur.fr a pour vocation de recueillir des contributions de toutes origines et émanant de syndicalistes, de salariés, de paysans ou de cadres, de chercheurs, de responsables de « ressources humaines », d’élus comme d’entrepreneurs, d’y intégrer aussi des dossiers juridiques et des enquêtes.

Cette plateforme interactive réclame la participation de toutes celles et ceux qui veulent s’engager pour un avenir meilleur et désirent s’investir dans cette large réflexion, à partir de leurs propres expériences. Elle doit contribuer à remettre les individus au centre des préoccupations et leur permettre de se réaliser, est une évidence pour un groupe comme L’Humanité, dont le sens commun et l’ADN reposent sur des valeurs qui poussent les individus à trouver leur place dans la société, et pousse les sociétés à trouver de la place pour l’individu. C’est donc dans l’ordre des choses, notamment lorsque cette démarche est collaborative.

L’ensemble de ces travaux trouvera dans les mois qui viennent des traductions dans des colloques ouverts à un large public et dont les actes seront consignés. Chacune et chacun peut désormais prendre connaissance de ce projet innovant, partie prenante du renouveau du groupe l’Humanité.

Le travail, quel que soit sa forme, est une condition nécessaire pour regagner du pouvoir sur nos vies, mais aussi, peut-être, une forme de liberté et d’indépendance.

« Gloire au travail »…

Bernard Chaussegros
Expert près la Cour d’Appel de Paris et les Cours Administratives d’Appel de Paris et Versailles.
Membre du Comité Français de l’Arbitrage

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