Les chiens ne font pas des chats.
On se souvient de l’ambition des projets de Bernard Tapie. Qu’il s’agisse de battre le record de la traversée de l’Atlantique en monocoque, de faire de l’OM le premier club de football français Champion d’Europe, ou de redresser le n.1 mondial du sport au bord de la faillite (Adidas) ; « l’homme aux mille vies » était avant tout un homme de défis.
Aujourd’hui son fils Laurent, qui a repris il y a quelques années la mythique marque automobile française Delage, affiche ses propres ambitions : construire un véritable « village français » sur la plus grande île chinoise, Hainan, située à l’extrême sud de la Chine.
Vous avez signé il y a quelques semaines un accord avec le CCPIT (Conseil Chinois pour la Promotion du Commerce International) et la Chambre de Commerce de Hainan. Parlez-nous de cet accord.
Cet accord matérialise les discussions engagées depuis plusieurs mois avec de hauts responsables chinois pour créer un premier « Village Delage ». Le concept est de construire en Chine un véritable « village à la française », symbole de l’excellence et du savoir-vivre français. L’architecture sera française, Jean-Michel Wilmotte ayant accepté de faire le design de certaines parties du village. La gastronomie française sera à l’honneur, plusieurs grands chefs étoilés français m’ayant déjà donné leur accord pour venir y faire des « tournées ».
Et les plus grandes marques de luxe françaises (et autres), seront présentes : je suis très fier d’avoir réussi à obtenir les lettres le confirmant de la part des trois leaders mondiaux du secteur du luxe (LVMH, Kering, et Richemont). Le thème central du village sera la passion automobile, avec un circuit automobile dédié, un musée automobile, et de nombreuses activités liées à l’automobile. Mais au-delà de l’automobile nous souhaitons faire de ce lieu un « hub touristique » qui attire le plus grand nombre.
Comment vous est venue cette idée de « Village Delage » ?
Je suis un passionné d’automobile depuis toujours, et depuis l’âge de 20 ans je participe régulièrement à des sorties sur circuit. Mais j’ai toujours été frustré que ce soit un plaisir essentiellement solitaire : comme la plupart des femmes, la mienne n’aime pas venir à ces sorties car elle s’y ennuie. Et rien n’est prévu non plus pour les enfants.
Il y a trois ans j’étais invité par un ami à Roland Garros, avec un accès au « Village Roland Garros », accessible sur invitation uniquement, et qui réunit, au centre des infrastructures du tournoi, les stands des plus grandes marques de luxe. Enfin partout où je me déplace à l’étranger, je constate que la France fait toujours rêver (au moins il nous reste cela) ! Tous ces éléments se sont assemblés dans mon esprit et ont abouti à ce concept : un village « à la française », où l’on puisse venir en famille, offrant de nombreuses activités, majoritairement tournées autour de la passion automobile (circuit, musée) mais pas uniquement, avec à la fois des parties ouvertes au public et qui plaisent à tous (hommes, femmes et enfants), et des parties privées réservées aux propriétaires des villas et aux membres du « Club Delage ».
Pourquoi le choix de la Chine et de Hainan ?
Parce qu’il y avait une forte convergence d’intérêts. De notre côté, pour l’importance du marché chinois, 2ème puissance économique mondiale (en passe de devenir la 1ère d’ici quelques années), avec une classe moyenne qui est maintenant très nombreuse et qui a les moyens de voyager, et l’existence d’une élite fortunée, clientèle de Delage.
Du côté chinois, il y a une véritable volonté d’ouverture du pays (en témoigne par exemple la possibilité d’y voyager désormais sans visa pour les Français), et une volonté de promouvoir le tourisme. Le gouvernement chinois cherche aussi des initiatives pour que l’élite locale fortunée dépense en Chine et pas seulement à l’étranger. Et Hainan s’est imposée des deux côtés comme un choix logique car c’est une île très attractive sur le plan touristique. De la taille de la Corse et de la Sardaigne réunies, elle est située à l’extrême sud du pays. Avec ses forêts tropicales, son volcan, et ses plages ; elle présente un climat et une végétation proches de ceux de l’Ile Maurice. A la pointe sud se situe la plus grande marina de yachting de Chine, qui ambitionne de devenir la plus grande du monde. Le tourisme y a quasiment doublé en 2023 par rapport en 2022. Les grandes marques de l’hôtellerie de luxe ne s’y trompent d’ailleurs pas : elles s’y sont quasiment toutes récemment installées (Ritz-Carlton, Four Seasons, Park Hyatt, Shangri-La, Mandarin Oriental, Banyan Tree, St-Régis, JW Marriott, etc…).
Enfin le choix de la Chine est aussi motivé parce qu’il y a une vraie amitié entre nos deux peuples. Rappelons qu’en janvier 1964, la France fut la première des grandes puissances mondiales à reconnaître la Chine de Mao.
Ce projet est donc presque un projet politique ?
Il y a indéniablement une dimension politique et culturelle dans ce projet.
A ce titre, avez-vous impliqué des politiques français ou le gouvernement français ?
J’ai d’abord bénéficié de l’aide, comme beaucoup d’entrepreneurs français, de notre ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, qui est très connu et respecté en Chine. Par son expérience et son relationnel il a facilité notre dialogue. Et il l’a fait, je tiens à le préciser, d’une manière totalement désintéressée et indépendante. Je lui ai proposé qu’il devienne le « Président d’Honneur » du Village lorsqu’il sera construit, mais il m’a répondu qu’il souhaitait continuer à rester parfaitement indépendant et à aider bénévolement les entreprises françaises à s’implanter en Chine (et réciproquement). J’ai trouvé cela tout à son honneur.
Nous célébrons cette année le 60ème anniversaire de l’amitié franco-chinoise, pour laquelle nos deux Présidents vont se rencontrer à deux reprises. Xi Jinping est venu en France en mai dernier ; et Emmanuel Macron se rendra en Chine en novembre. Aussi, j’ai récemment fait part de cet accord au cabinet de notre Ministre de la Culture, Rachida Dati, et nous étions sur le point de voir comment intégrer ce symbole de l’amitié franco-chinoise dans les échanges qui ont lieu cette année entre nos deux pays et entre nos deux Présidents.
Avec les élections législatives qui arrivent, un nouveau gouvernement sera formé, et nous prendrons donc attache avec le prochain Ministre de la Culture.
Quelles sont les prochaines étapes du projet, et le délai de réalisation ?
Les prochaines étapes seront de définir les emplacements précis des différentes parties du Village. Puis d’établir le Business Plan détaillé et enfin de financer la phase initiale des travaux. C’est un projet qui se chiffre au total autour du milliard d’Euros, sur plusieurs phases. Donc même si on sait que la Chine construit de manière extrêmement rapide, il ne me semble pas réaliste d’envisager une ouverture avant 3 voire 4 ans au minimum.
Comptez-vous ouvrir d’autres « Villages Delage » ?
Oui. Nous venons également de signer un accord avec le groupe Nesma, un des plus importants groupes privés d’Arabie Saoudite, présent dans de nombreux secteurs, tels que la construction et l’industrie du transport.
L’objectif est de développer un village Delage en Arabie Saoudite.
La première étape étant de rechercher un site d’implantation. Nous avons déjà visité ensemble plusieurs sites, dont deux prometteurs (un à Riyad, l’autre à Jeddah). Vous savez que c’est un pays qui se transforme et s’ouvre également massivement au tourisme.
Nous avons par ailleurs des discussions avancées dans les Emirats, en Grèce, en Australie, et dans deux états des Etats-Unis.
Et s’agissant de la partie automobile de Delage ? Où en êtes-vous ?
Nous sommes en phase avec nos objectifs initiaux, en dépit de la crise de la covid qui nous a fait perdre une demi-année. Nous sommes dans la phase finale de la mise au point du prototype D12 présenté il y a 2 ans, et l’homologation européenne de la voiture devrait être obtenue avant la fin de l’année. Nous avons présenté la D12 aux Etats-Unis, en Europe et au Moyen-Orient, avec succès puisque nous avons enregistré plusieurs commandes et plusieurs accords de distribution. Et rien qu’avec ces premières commandes nous sommes déjà rentables. Afin de démarrer la production des premières voitures clients, nous sommes en train d’acheter les équipements industriels qui vont être intégrés à notre Manufacture (dont l’extérieur et l’intérieur sont terminés). Les recrutements interviendront à la rentrée, pour l’inauguration de la Manufacture dans la foulée. Et la première voiture client, dont la construction a commencé, sera livrée au dernier trimestre 2024. Enfin, en 2025, notre objectif est de présenter le concept car de notre deuxième modèle, dont le design est déjà finalisé, et qui succèdera à la D12 une fois les 30 exemplaires de cette dernière vendus. Pour le fou d’automobile que je suis, tout cela est absolument passionnant !