Que l’on soit amateur de vin rouge ou non, chacun connaît la couleur assez foncée d’un bon rouge, même si les nuances existent. La vinification peut effectivement influencer très fortement la couleur, comme elle le fait avec les rosés. On entend parfois un client au restaurant demander lors de la commande d’une bouteille de vin rosé : « Il est clair ? », la couleur semblant être synonyme de la qualité recherchée. La mode du « clair » serait-elle en train de s’introduire sur le marché plus traditionnel du vin rouge ?
L’obtention de la couleur
Plusieurs éléments influencent la couleur d’un vin, en particulier la couleur de la peau du grain de raisin et le temps de macération. La grappe peut ainsi être de couleur noire ou rouge violet, et les pigments contenus dans la peau des grains jouent leur rôle. Le cépage est important : un Pinot noir n’aura pas les mêmes caractéristiques de couleur qu’une Syrah.
Traditionnellement, les vins rouges disposent de couleurs déjà définies, allant de la framboise au grenat au début de leur vie, pour évoluer vers le rubis, le pourpre, et parfois pour certains après une quinzaine d’années, une teinte qui tend vers l’orangé.
Gérard Bertrand et Chapoutier en tête
Les lancements de nouveaux produits par Gérard Bertrand et la maison Chapoutier attirent toujours l’attention, le marketing de ces entreprises étant au fait des dernières tendances consommateurs. Pour Gérard Bertrand, le groupe propose dans sa gamme un « Rouge Clair 2023 » de 12,5° dont la robe est en effet à la limite du rosé, qualifiée de « rubis lumineuse », dont les caractéristiques sont la minéralité et le corps léger, élaboré à partir de grenache noir et de syrah.
Chez M. Chapoutier, les cépages et le degré d’alcool sont identiques. L’étiquette précise « CLAIR & frais », facile à déguster, y compris sur des plats épicés. Petite innovation, la mention « frais » de l’étiquette apparaît lorsque le vin est à la bonne température de dégustation.
Une tendance porteuse
Inutile d’être un super connaisseur pour comprendre l’intention des initiateurs de cette nouvelle tendance. La consommation de vin rouge est à la baisse, tandis que le rosé prend une importance considérable, en particulier en France. Les viticulteurs recherchent donc des idées pour retrouver les volumes perdus par la création de ces vins rouges clairs et légers. Tous ces vins se boivent frais comme le rosé, la dégustation se fait entre 8 et 13 degrés étant donné la faible teneur en alcool.
En effet, pour les vins rouges plus charpentés, la dégustation oscille entre 14 et 17°. De nombreux autres viticulteurs se sont lancés dans cette initiative, cherchant à booster leurs ventes. Ainsi, dans le Languedoc, on trouve également des vins assez étonnants comme le « Roug’E’Clair » 2022 produit par le domaine Ledogar dans les Corbières. Les cépages sont du terroir, mourvèdre et carignan, pour un vin cultivé en biologique dont l’étiquette peut surprendre.
Les clarets
Le marketing de ces nouveaux lancements peut, en effet, aussi s’appuyer sur l’histoire bordelaise des clairets, devenus clarets. Les Anglais installés en Aquitaine se sont accoutumés à la consommation du vin. Au XIIe siècle, il s’agissait de clarets, des vins peu fermentés, clairs, exportés vers le royaume britannique pour une consommation immédiate.
Pour revenir à une histoire plus contemporaine, le clairet a refait son apparition dans les années cinquante en Bordelais, grâce à l’obstination d’un grand nom de l’œnologie, Émile Peynaud. Ce dernier a élaboré le Clairet de Quinsac, créant par la même occasion l’appellation officielle « Bordeaux Clairet », pour des vins élaborés à partir de cépages locaux, mais macérés sur une durée très courte, entre 6 et 48 heures seulement.
Plusieurs viticulteurs poursuivent la tradition de production de clairet comme la famille Carteyron qui présente son Château Penin 2023, sa dernière pépite à la robe cerise, à base de 90 % de merlot marié à 10 % de cabernet sauvignon pour mettre en avant son savoir-faire en la matière.
Le côté frais
Les Français boivent moins d’alcool, un fait plutôt positif. Ils apprécient les vins conviviaux, avec une certaine facilité de consommation, pour les boire frais en été. Or, un bon vin rouge haut de gamme ne correspond pas à ce dernier critère. Il est souvent traité avec un certain cérémonial, du respect pour ce breuvage qui a demandé des efforts et du temps pour parvenir à séduire des palais exigeants et connaisseurs.
On sait que le succès du rosé auprès des jeunes et des femmes est notamment venu du fait que ce vin ne demande pas une vraie culture pour être apprécié, même s’il y a un mouvement vers le haut de gamme et la sophistication. Autre élément important pour les plus jeunes, il y a un grand choix de variétés biologiques. Et, personne ne vous regarde d’un air bizarre si l’on décide de rajouter des glaçons.
Comme le dit Michel Chapoutier : « Il faut prendre le vin avec décontraction ». Le rouge clair, et non pas clairet ce qui lui permet de ne pas être uniquement bordelais, veut s’inscrire dans la culture populaire du vin de soif. Cette opportunité n’est pas à négliger, les grandes maisons exportatrices savent que ce type de vin élaboré dans d’autres pays comme l’Italie a déjà séduit les pays anglo-saxons.
Le futur du vin rouge clair
En France, il risque évidemment d’y avoir une certaine confusion entre consommation de rosé et de rouge clair. Les rosés traditionnels du Roussillon, par exemple, que l’on trouve de moins en moins par le succès du rosé « clair », ont une robe foncée qui les rapproche d’un vin rouge sans en avoir les particularités gustatives. Le vin rouge dispose déjà d’une gamme très étendue de possibilités, entre un Corbières brûlant de soleil et un Saumur-Champigny qui sent la campagne. Ce nouveau segment de marché doit encore faire ses preuves.
Le bel avenir du rouge clair
Le danger est que les différentes offres ne finissent par brouiller complètement la vue du marché. Le rouge clair aura-t-il sa chance face au raz de marée du rosé en France ? À moins que le défi ne se gagne plutôt à l’étranger ?
Le marché mondial du vin devrait atteindre une valeur approximative de 737 milliards de dollars d’ici 2032, avec un taux de croissance annuel composé (CAGR) de 6,20 % pendant la période de prévision de 2024-2032 selon Expert Market Research. Dans ce contexte, que représentera la part de marché du rouge clair ?