La chronique économique de Bernard Chaussegros
Stocks au plus bas, production nucléaire réduite, demande stimulée par la reprise économique de la Chine, flux d’approvisionnement rigoureusement maitrisés par la Russie… L’heure est à la hausse du prix du gaz. En France, cela se traduit pour les consommateurs par une hausse des tarifs réglementés d’Engie : +10% le 1er juillet et +5% le 1er Août. Dans le reste du monde, la montée des prix contraint certains pays, notamment les États-Unis et plusieurs pays d’Asie, à se rediriger petit à petit vers le charbon. Loin d’être un indicateur très favorable pour l’environnement, la situation ne risque pas de s’améliorer. En effet, en équivalent énergétique pour la production d’électricité, le pétrole tend à devenir moins cher que le gaz. Dans cette situation, un recours croissant au charbon ou au pétrole dans la production d’électricité est à envisager. Environnement, entreprises et consommateurs sont dans le viseur.
L’augmentation des prix du gaz n’est pas un phénomène isolé. On observe en effet une hausse du prix des matières premières depuis le début de la reprise économique engagée à l’été 2020. Elle fait suite à la chute des prix au premier semestre 2020 à cause de l’arrêt des économies provoqué par le confinement mondial. La relance est vigoureuse dans certaines régions du monde et l’offre répond difficilement à la demande. Pour ne citer que quelques matières premières, les prix du cuivre ont progressé de plus 60% sur un an au 10 août et les prix du lithium de 150%.
Pour le moment, les plus gros efforts sont réalisés par les entreprises pour protéger les consommateurs de la hausse des prix. La donne risque néanmoins de changer si le phénomène s’inscrit dans le temps long. A court terme, des contraintes de nature géopolitiques ou technologiques pourraient peser sur l’offre. A long terme, bien que certains experts alertent sur notre entrée dans un supercycle, le risque d’une hausse des prix généralisée semble peu probable. Une hausse structurelle des prix de certaines matières et, de fait, de certains produits est toutefois certaine. Selon une récente étude publiée par l’IFPEN, la consommation de terres rares pourrait être multipliée par 10 d’ici 2050 sur la base d’un scénario conforme à une hausse des températures limitée à 2°C.
Les facteurs explicatifs de la hausse du prix des matières premières
Dans un contexte de relance économique rapide permise par l’interventionnisme des banques centrales et l’action des états, les cours des matières premières se sont envolés.
En parallèle du redémarrage progressif des moyens de productions stoppés pendant le confinement, les consommateurs des pays développés ont modifié leurs habitudes. Ils se sont davantage tournés vers l’achat de biens de consommation faisant ainsi croitre la demande en matières premières nécessaires à leur fabrication. En outre, la Chine et les États-Unis, à travers la mise en place de leurs plans d’infrastructures gigantesques aux allures de plan de relance économique de pays en développement, ont également stimulé la hausse des prix.
Les montants engagés sont colossaux. Les sénateurs démocrates et républicains se sont accordés en début de semaine sur une proposition de 1.200 milliards de dollars d’investissements pour revitaliser les infrastructures du pays de l’oncle Sam.
Toutefois, la hausse conjoncturelle de certaines matières premières cycliques comme les métaux de base ou le bois de construction ne doit pas obstruer un phénomène de hausse structurelle du prix de certaines matières premières, notamment alimenté par les multiples actions en faveur de la transition écologique. Bon nombre de matières premières sont indispensables à la fabrication des infrastructures de production et de moyens de stockage d’énergies renouvelables. Il faut ajouter à cela les besoins en matières premières liés à l’accélération de la digitalisation de nos économies.
Notons enfin que les tensions géopolitiques pèsent sur les exportations et que les évènements météorologiques ont freiné la production de certaines matières premières.
Les entreprises en première ligne, les consommateurs français pour l’instant à l’abri
Les entreprises sont en première ligne et subissent de plein fouet la hausse du prix des matières premières. Leurs performances financières sont fortement impactées. Les entreprises sont ainsi confrontées à une diminution de leur marge brute, particulièrement difficile à absorber dans les secteurs à faible EBITDA comme le BTP. La pression inflationniste s’accompagne en outre d’un allongement des délais de transport ce qui occasionne un allongement des cycles d’exploitation et de fait une augmentation de leur besoin en fonds de roulement.
Face à cette situation, les entreprises réagissent tant bien que mal en mettant en place des stratégies de couverture des prix sur le marché ou de renégociation des contrats en direct avec leurs fournisseurs pour tenter de conserver leurs marges.
L’heure est également à l’optimisation de la gestion de l’approvisionnement : constitution de stocks, recherche d’alternatives aux matières premières traditionnellement utilisées, changement de fournisseurs etc. Sur le court terme, toutes les initiatives sont bonnes pour se prémunir de l’inflation et des risques de pénuries. Néanmoins, dans un contexte d’explosion de la demande, la constitution de stocks n’est parfois plus possible. La vigilance est de mise.
Les états industrialisés s’inquiètent pour leurs entreprises et tentent ainsi de faire pencher la balance en faveur d’une baisse des prix. La Chine libère ainsi depuis peu ses stocks stratégiques et menace de sévir contre les spéculateurs pour soutenir ses millions d’usines et de chantiers de construction.
Dernière solution pour les entreprises, augmenter les prix en jouant de leur « pricing power » qui se définit comme la capacité d’une entreprise à augmenter ses prix, sans que cela n’ait d’incidence particulière sur la demande. Les industriels de l’agro-alimentaire comme Coca-Cola, Unilever ou Procter&Gamble ont dû s’y résoudre aux Etats-Unis afin de conserver leurs marges.
Néanmoins, ce n’est pas encore le cas en France où la faiblesse de la demande dissuade les entreprises d’utiliser le pouvoir de répercuter en aval les hausses de coûts en amont. Mais pour combien de temps encore ?
En ce qui concerne les matières premières directement achetées par les consommateurs comme le gaz, l’essence ainsi que les matériaux de construction, la hausse des prix se fait sentir. A titre d’exemple, en un an, les prix des carburants (SP95 ,SP98, gazole) ont augmenté de plus de 15%. L’augmentation est loin d’être indolore pour les ménages les plus modestes. L’effet post-confinement ne va pas pour autant les dissuader de partir en vacances. Il ne reste plus qu’à espérer que l’hiver soit doux…
Un nouveau supercycle ?
En décembre, la banque américaine Goldman Sachs était la première à annoncer l’entrée dans un nouveau supercyle. En guise de rappel, un supercycle se définit comme une période de progression forte des prix des matières premières supérieur à la moyenne de long terme sur une durée d’au moins 10 ans. Néanmoins, les experts du secteur rappellent que la hausse des prix ne concernerait que certaines matières premières. Les économistes anticipent une décélération de la croissance à l’horizon 2022-2023 ce qui ne concorderait pas avec l’hypothèse d’un supercycle, la hausse des prix étant conjoncturelle pour la majorité des matières premières. Philippe Chalmin, historien et économiste libéral français, spécialiste des marchés de matières premières, rappelle d’ailleurs à juste titre qu’ « À prévision sanitaires, géopolitique et climatique inchangées, les prix devraient rester élevés mais sans hausse structurelle ». Il conclut ainsi que « l’analyse d’un supercycle n’est pas justifiée ».
Parmi les matières premières concernées par une hausse des prix structurelles nous retrouveront bien évidemment celles nécessaires à la transition écologique (fabrication d’infrastructures de production d’énergies renouvelables, de moyens de stockage d’électricité etc.) ainsi que celles utilisées pour la fabrication de produits technologiques dans un contexte d’accélération de la digitalisation de l’économie.
D’ici la fin de l’année, la tendance haussière devrait se poursuivre. Cela n’empêchera pas la volatilité de s’inviter, dans une moindre mesure, sur les marchés. En effet, dépendant d’investisseurs qui doutent, des états et de groupements comme l’OPEP+, ils ne sont pas à l’abri de phénomènes de correction à la baisse.
Et l’inflation ?
Plus importante que prévue en juillet dans la zone euro, le taux d’inflation est en hausse. Pas d’inquiétude ! L’amélioration de la productivité et l’absence de plein emploi devrait prendre le dessus et empêcher une résurgence de l’inflation durable. La BCE table sur une stabilisation de l’inflation autour de 2% à horizon 2022.
Quelles conséquences pour nos PME ?
Pénuries, délais d’acheminement et de livraison qui s’allongent, hausse des prix… Depuis quelques mois en France, les matières premières ont la vie dure. Si on vous parle de composants électroniques et de la PS5, ça parle forcément aux jeunes générations ! D’après une enquête réalisée par le Crédit Mutuel Nord Europe, 59 % des entreprises sont impactées par la hausse du prix des matières premières, avec la moitié du temps une impossibilité de répercuter cette hausse sur le prix de vente. Ce phénomène a un impact non négligeable sur la trésorerie des PME !
Les prix des polymères flambent, le coût du pétrole brut connaît une hausse estimée à + 105 % sur une année, entraînant une montée des prix des polymères. Le prix du bois de construction a triplé en un an, impactant durement les chantiers. L’étain, que vous retrouvez pour les circuits électroniques, les composants automobiles ou encore les batteries, voit son prix doublé en 12 mois…
De l’acier au blé en passant par le caoutchouc, le bois, ou le PVC, les prix des matières premières montent en flèche et certains connaissent des pénuries. La cause ? Vous l’avez deviné, la crise du Covid-19, encore et toujours…. Mais encore ?
- Une économie européenne qui a repris plus tardivement que celle des États-Unis et de la Chine, résultat, des stocks qui ont été accaparés.
- En parlant de stocks, ajoutez à ça une réduction des stocks disponibles, du fait de l’arrêt quasi complet de la production au plus fort de la crise.
- Pour finir : le prix du fret (le transport des marchandises), qui a triplé en 4 mois tandis que la demande est plus forte que jamais.
PME françaises : un impact sérieux
Beaucoup de secteurs d’activité sont touchés. Pour les petites et moyennes entreprises françaises, les conséquences peuvent être difficiles à assumer :
- Des commandes qui souffrent de retards, ce qui entraîne un impact sur toute la chaîne de production. Difficile pour le secteur du bâtiment par exemple d’être dans les temps sur les chantiers de construction.
- La marge est sévèrement touchée ! Nous faisons face à des budgets de production qui augmentent tandis que les prix de vente restent les mêmes. La trésorerie des entreprises est en souffrance.
L’industrie du papier et du carton : un secteur en souffrance
La filière papier et carton souffre elle aussi de la crise dans laquelle la pandémie a plongé l’économie mondiale. Le secteur est aujourd’hui d’autant plus chamboulé qu’il était déjà en pleine transformation au moment où le Covid-19 a fait son apparition.
Carton d’emballage, mouchoirs ou encore gobelets, tous ces produits sont faits de pâte à papier vierge ou recyclée, elle même fabriquée à partir de fibres végétales ou de vieux papiers. Des matières dont le prix est très volatil, surtout ces derniers mois. Pour la pâte à papier, en Europe, la hausse a été de 10 à 20 % entre mi-2020 et début 2021, assure un négociant basé à Bruxelles.
En Chine, l’augmentation est plus flagrante encore : la tonne valait 600 dollars en milieu d’année dernière pour une qualité standard de référence, elle flirte désormais avec les 1 000 dollars. Pékin a décidé de ne plus importer de vieux papiers à recycler depuis le 1er janvier. Le pays achète donc directement de la pâte, ou de la pâte recyclée. La demande tire forcément les prix vers le haut.
Pour les vieux papiers, non triés, c’est-à-dire la qualité basse qui sert à fabriquer des emballages ou des cartons, le prix a quasi triplé ces six derniers mois en Allemagne et en Italie. D’où l’inquiétude des professionnels italiens qui constatent des difficultés d’approvisionnement et craignent que les prix montent encore.
La pâte à papier victime des problèmes de fret
Une des explications, c’est la hausse de la demande de carton d’emballage, notamment le carton ondulé, utilisé dans l’expédition de colis et donc très prisé depuis l’explosion des commandes en ligne. Comme pour les autres matières premières, le coût du fret pèse également sur le secteur. Ces derniers mois du fait de l’immobilisation de porte-conteneurs les prix ont fait des bonds : le prix d’un conteneur de 40 pieds qui voyage entre l’Asie et l’Europe est quatre fois plus élevé aujourd’hui qu’en novembre : de 2 000 dollars il est passé à 8 500 dollars.
Le plus grand producteur de pâte à papier basé au Brésil, le Groupe Suzano, a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme la semaine dernière et prévenu qu’il pourrait y avoir des retards de livraison du fait de la pénurie de moyens de transport adaptés, des retards qui pourraient peser sur la production de papier toilette notamment.
La filière du papier, un secteur en pleine mutation avant même la pandémie
Les tensions actuelles perturbent un peu plus un secteur qui avait déjà dù amorcer plusieurs virages ces dernières années. Le déclin de la demande en papiers graphiques, qui servent à imprimer les journaux notamment, a poussé de nombreux industriels à s’adapter, voire à réduire leur activité. La demande accrue de substituts au plastique alimente, elle, chaque année un peu plus la demande en emballage cartonné, pour ne citer que ces deux exemples.
Focus sur une PME historique de l’imprimerie
L’imprimerie Léonce Deprez est une entreprise familiale créée en 1922 spécialisée aujourd’hui dans l’impression de magazines périodiques et de catalogues. Toute sa production se fait dans un même lieu à proximité de Paris ce qui en fait un acteur de choix par sa qualité, sa réactivité et sa flexibilité plus que jamais nécessaires pour le média papier qui doit choisir son moment pour exister et créer l’évènement.
Léonce-Antoine Deprez, le dirigeant de la société, explique sa stratégie pour faire face à ces mutations sectorielles afin de préserver les emplois mais aussi l’outil industriel.
« Ainsi, nous imprimons, faisons la reliure et même le routage (envois aux abonnés) dans un délai record des brochures de 2 000 à 200 000 exemplaires. Depuis quelques années, avec le label Imprim’Vert, l’ISO 14001, le Bilan Carbone et la certification PEFC, nous mettons l’accent sur l’écologie. Nous pensons que nous avons un rôle à jouer en tant qu’industriel pour réduire notre impact carbone. Mais en plus, l’écologie est pour nous la nouvelle Recherche & Développement dans notre secteur, nous devons mieux produire avec moins d’énergie et de ressources. Aussi faisons prendre conscience à la population que l’industrie des arts graphiques n’est pas moins vertueuse que celle du digital et qu’elle est même parfois, en fonction du message, plus efficace et moins polluante.
Mais pour être plus vertueux, nous devons acheter des matières premières de meilleure qualité et produites plus prêt de notre usine. Cela coûte plus cher mais apporte des économies en termes de consommation. « On n’a pas les moyens d’acheter pas cher ». Cependant, suite au Covid-19 et à la reprise de l’activité, nous subissons une hausse des matières premières sans précédent. Il y a une véritable crise de l’offre : tous les fournisseurs ont réduit leur capacité de production afin de créer la rareté et augmenter leurs prix. Il n’y pas une semaine depuis le mois de mai sans que je ne reçoive une augmentation de prix d’un partenaire : la colle a pris 20%, les palettes en bois 220%, les plaques et les encres 10 % pour l’instant, etc.
Le plus difficile étant la hausse des prix papiers qui représentent 50% de notre prix de vente. Elle atteint parfois 30% depuis le début de l’année. Cette dernière vient en plus s’ajouter à des difficultés d’approvisionnement sans précédent : délais allongés à 3 mois au lieu de 3 semaines et commandes annulées. Enfin, nous avons également des problématiques de recrutement car notre filière n’est plus un secteur attractif. Nous devons donc redoubler d’énergie et de créativité pour recruter de nouveaux talents qui partent trop souvent se casser les dents sur le web. »
Un constat : les effets de la crise COVID ne sont pas encore quantifiables, mais ils auront un impact majeur sur notre économie dans les mois à venir. Le portefeuille des consommateurs risque encore de s’alléger un peu plus.
Espérons que la croissance soit au rendez-vous…
Article co-écrit avec Eloi Joubert, élève HEC