Par Leonce-Michel Deprez, entrepreneur et homme politique.
Dans le folklore du piètre débat de l’Assemblée Nationale où la gouaille de certains députés est à la hauteur de leur tenue vestimentaire, personne n’est dupe des intentions des groupes d’opposition. Qu’importe l’intérêt général, sus au gouvernement, on peut le faire tomber ! En surfant sur l’émotion des Français, travailler plus longtemps pour avoir sa retraite, les syndicats en prise avec leur base très revendicative et les partis d’opposition sans conviction, ni propositions sérieuses, hormis de prendre aux riches ou d’augmenter le taux de cotisations des patrons, Marine Lepen et Jean-Luc Mélanchon espèrent secrètement la dissolution de l’assemblée pour rafler la mise.
Alors pourquoi ce gouvernement prend -il le risque de cette réforme ? Beaucoup susurrent comme François Hollande ou Xavier Bertrand, que cela peut attendre, qu’il n’y a pas d’urgence, que le régime est équilibré cette année. Qu’en est-il exactement ? François Bayrou a publié un rapport au nom du Plan fort intéressant que je résume ci-dessous malgré l’aridité des chiffres mais indispensables pour comprendre la logique de la réforme.
Les prestations versées à tous les retraités de France se montent à 345,1millards en 2021 et sont couvertes par 345,8 milliards de recettes provenant de 203 M des cotisations des entreprises privées le solde 142,8 M. étant couvert par l’Etat et des organismes d’Etat à titre soit de patron soit de puissance régalienne. C’est cette somme qu’il faut bien comprendre. L’Etat en tant que patron paie 24 M au titre de la cotisation du régime général, mais aussi une surcotisation de 46 M par rapport au régime général pour couvrir la totalité de la retraite de ses agents en surnombre par rapport aux cotisants, et les spécificités de la fonction publique : militaires, pompiers, fonctionnaires civils, territoriaux, hospitaliers…. dont les règles de départ
à la retraite diffèrent de celles du régime général. Ainsi si on devait faire apparaitre la vraie cotisation de prélèvement sur les fiches de salaires versées, elle ne serait pas de 16.5% mais de 48% (une façon détournée pour l’Etat de minimiser sa masse salariale…).
Rocard ayant introduit la fiscalisation d’une partie des dépenses sociales pour alléger le cout du travail dont dépendent les cotisation retraites, L’Etat verse 46,3 M. en provenance de la CSG aux caisses de retraites et 8 autres taxes, comme par ex une taxe sur l’acheminement du gaz et de l’électricité dont une partie est prélevé pour financer les retraites, spécifiquement la caisse des électriciens et gaziers. Ensuite la caisse d’allocations familiales couvre pour 14,3 milliards le supplément de retraite accordé aux familles de 3 enfants et plus dans le cadre de sa politique nataliste.
Enfin pour compléter les ressources, deux autres subventions viennent financer l’une les exonérations accordées par l’Etat pour les filières et entreprises en difficulté liées soit à une restructuration soit à des évènements exceptionnels par ex la covid (4,8 M.), et l’autre les déficits des fameux régimes spéciaux, Sncf, RATP, pour 7,4 milliards.
Ainsi la difficulté vient que peu de monde est conscient de la diversité des ressources d’origine hors cotisation 41% de la masse des entrées et le Plan estime qu’à travers les ressources publiques 113 milliards sont justifiés soit par le versement normal de la cotisation employeur, soit au titre des compensations accordés par l’Etat dans le cadre de sa politique économique soit au titre des avantages décidés par la Nation dans le cadre de sa politique sociale, familiale, chômage et minima. Ainsi le montant occulté du déficit annuel du régime est évalué à 30 milliards selon le Plan pour couvrir le régime déficitaire de la fonction publique de l’Etat, des collectivités et de l’hôpital, les régimes spéciaux des entreprises publiques et exploitants agricoles. Ainsi, dire que le régime des retraites est équilibré est un demi-mensonge les locuteurs peu scrupuleux n’évoquant que le régime privé et pas celui du public.
Mais alors pourquoi faire une réforme des retraites aujourd’hui au lieu d’attendre la fin du mandat ? La raison est simple, la démographie pour le régime privé ! Aujourd’hui il y a 1,83 cotisants pour 1 retraité. Dans 30 ans, il n’y aura plus que 1,4 pour 1 cotisant. Une vérité hélas incontournable. Donc avec un régime publique en déficit structurel, il va devenir insupportable de cumuler les déficits des deux régimes pour le budget de l’Etat même si on constate une amélioration du ratio pour le régime public qui est actuellement de 0,9 cotisant pour 1 retraité, à partir de 2033. Un déficit accumulé de 1312 milliards sur 25 ans ! Et plus on tarde à faire la réforme plus le déficit cumulé sera important et la France a déjà 3000 milliards de dettes ! Macron n’est pas Chirac. Il s’inspire de Schroeder ; et il est jeune. Il est donc plus sensible au temps long. Il y aura un Macron après-Président….
3 leviers pour corriger le résultat : baisser les pensions, augmenter la durée des carrières, augmenter les cotisations.
Il y a un consensus de toute la classe politique pour ne pas baisser les pensions. Qui endosserait en effet la responsabilité d’une pareille solution sans compter les effets pernicieux d’une baisse du pouvoir de consommation d’un quart de la population française sans compter évidemment la volonté de tous les acteurs politiques de relever le niveau des petites retraites.
Augmenter la durée de cotisation, ce qui est le choix du gouvernement. En effet l’effet du ratio actifs cotisants sur retraité est très puissant. Si l’âge de départ s’établit à 64 ans, c’est 15 à 20 milliards de plus par an de recettes ( le ratio remonte à 1,76)!
Enfin augmenter la cotisation. Il faudrait deux points de plus pour arriver au même résultat. Or le taux de prélèvement est le plus haut d’Europe. Si l’économie va mieux depuis quelques années, c’est précisément parce que la France s’est engagée sur une baisse de prélèvement des charges pesant sur les entreprises. Relever les taux revient à renier toute la politique économique des 2 mandats précédents passés (Hollande inclus) axée sur l’offre.
Mais il reste un dernier levier qui n’est jamais évoqué dans les discours, c’est le taux d’activité. Les prévisionnistes ont en effet calculé sur la durée un seuil de 7% de chômage, considéré en France comme le plein emploi alors qu’il est de 4,5% ailleurs en Europe. Mais pour baisser ce seuil, il y a une seule solution, diminuer la durée d’indemnisation des chômeurs ! Il est curieux que l’on n’ait pas lié la réforme de la retraite à celle du chômage. Un levier puissant de discussion car cela met en contradiction les revendications des opposants à l’allongement de la durée de cotisation des salariés en activité et simultanément à la réduction de la durée d’indemnisation des chômeurs, le beurre et l’argent du beurre ! Accompagner la réforme de la retraite d’une politique de pleine emploi à 4,5 % de taux de chômage, voilà un puissant mobile positif qui peut rassembler des hommes de bonne volonté et un sens à la vie politique…
Car avec un taux de 4,5% de chômage, c’est 1 million de cotisants supplémentaires, correspondant à 10 milliards de cotisations par an ! Compte-tenu de la difficulté de recrutement des entreprises même en ce moment (400 000offres non pourvues en 2021), c’est peut-être là où une solution peut s’esquisser pour remettre les acteurs autour d’une table et prendre en considération l’intérêt général, celui du peuple des salariés et des retraités.
Léonce Deprez