Je m'abonne

Les Café Joyeux, pour changer notre regard sur les personnes handicapées


Ils aident à la réinsertion des handicapés tout en pourvoyant leurs besoins en emplois, la meilleure des manières de montrer sur le terrain que de tels profils sont loin d’être inopérants. Plus qu’une marque, une véritable mission d’intérêt public, économique et social, et avec le sourire. Déjà 25 Café Joyeux ouverts, dont le plus prestigieux sur les Champs-Élysées, à Paris.

Screenshot

Yann Bucaille-Lanrezac a 55 ans, l’homme a un parcours pour le moins varié, et la recherche spirituelle tout comme les valeurs chrétiennes font partie de sa vie. Imaginez un peu, à 19 ans, il part en Inde pour construire une école, il revient faire ses études et s’adonne à sa passion, la mer, en bon Parisien qu’il est. Le voici champion de France étudiant en course croisière à voile, ce qui le mène tout droit dans l’équipage de Marc Pajot lors de la Coupe de l’America à San Diego.

Vivre ses passions ne l’empêche pas de décrocher son diplôme de l’EM Lyon, car dans la vie, il faut aussi travailler. Il entre dans l’entreprise Emeraude, qui appartient à son père, dans le secteur des polymères. À 30 ans, il lui rachète l’entreprise. Le voici entrepreneur à part entière, il diversifie l’activité, les énergies nouvelles ont le vent en poupe et notre homme crée Emeraude Energy dans le photovoltaïque, avec succès. Il poursuit sa vie d’homme d’affaires, mais donne un brusque coup d’arrêt lorsque son épouse tombe malade pendant un temps. L’aspect financier étant assuré, nouveau coup de barre vers d’autres activités et d’autres lieux. Finie la vie parisienne, cap sur la Bretagne avec les quatre enfants.

À 40 ans, il quitte la direction d’Emeraude pour travailler sur des projets solidaires avec son épouse, Lydwine. Le fonds Emeraude Solidaire voit le jour grâce à ces deux cofondateurs, suivi de Emeraude Voile Solidaire, Emeraude Reforest. La boucle est bouclée. Et, au passage, il investit dans l’hôtellerie, notamment dans le port d’attache du couple, Dinard, avec le Castebrac Hôtel et Spa.

Et Café Joyeux dans tout ça ?

C’était il y a 7 ans, après deux ans de travail de préparation, le premier Café Joyeux ouvre ses portes à Rennes avec une façade très jaune, facile à repérer. Sa spécificité ? Le bistrot-café emploie des personnes handicapées mentalement ou souffrant de troubles cognitifs à hauteur de 70 % des effectifs. L’histoire a démarré et va s’accélérer. L’année suivante, un bateau « Café Joyeux » fait la Route du Rhum et termine 1er de sa catégorie, ce qui est de bon augure. Deux cafés, trois, un lancement de Café Joyeux en grain, en capsule ou moulu, ainsi qu’une gamme de thés, l’affaire est vraiment lancée. Aujourd’hui, 24 établissements café-restaurant ont essaimé dans les grandes villes de France, mais aussi au Portugal, à Bruxelles et même… à New York.

Tout cela est merveilleux, magnifique, mais pas si simple évidemment. Il s’agit de prendre les « équipiers joyeux » en stage d’un ou deux mois afin de valider le fait qu’ils disposent ou sont susceptibles d’acquérir les compétences nécessaires. S’ils peuvent effectivement occuper l’un des postes proposés, un CDI est mis en place. L’apprentissage commence pour des métiers classiques d’accueil, de caisse, en cuisine ou de service en salle. Les contrats sont aménagés, de 17 à 35 heures par semaine, et un encadrement formé est présent pour entourer ces équipes. Ces salariés peuvent en effet être joyeux, car malheureusement le taux de chômage des trisomiques et autistes est largement supérieur à la moyenne en France. À tel point que moins de 1 % de handicapés mentaux travaillent dans des entreprises classiques, en milieu dit « ordinaire ».

Déco signée par Sarah Poniatowski (Maison Sarah Lavoine)

Si le cœur du concept est ailleurs, les détails n’en sont pas moins soignés pour autant. Ainsi, la décoration des cafés a été conçue par Sarah Poniatowski, créatrice de Maison Sarah Lavoine. En cuisine, tout est fait maison et de saison, et c’est Thierry Marx en personne qui vient fournir ses conseils pour la carte des cafés devenus des cafés-restaurants. Quant aux bénéfices, ils sont réinvestis en totalité dans l’entreprise.

Innovation marketing

Yann Bucaille est un entrepreneur. Le but du jeu reste bel et bien de gagner de l’argent ou du moins d’être à l’équilibre afin que l’initiative prenne de l’ampleur. Il n’est pas question de subventions publiques pour tenir l’entreprise à bout de bras. Pour parvenir à ce but, Café Joyeux a mis en place des opérations marketing via des actions de collaboration avec de grandes marques. Les guimauves chocolatées Valrhona-Café Joyeux, un comptoir joyeux chez Canal+, une opération spéciale avec Veepee, référencement par Carrefour, capsules solidaires de vêtements noir et jaune avec Le Coq Sportif, l’étui jaune de capsules à la marque de Café Joyeux chez Nespresso, dont une partie des ventes est reversée pour contribuer à de nouvelles embauches…

Critiques

Les critiques n’ont pas manqué comme toujours, et encore plus particulièrement lorsque l’on évolue dans des milieux complexes, tels que celui du handicap, où les suspicions sont fréquentes. Le couple d’entrepreneurs a cependant prouvé depuis bien longtemps être proche de l’univers solidaire, en étant dans l’action et l’entrepreneuriat.
Catholiques, fortunés, propriétaires entre autres d’un hôtel de luxe à Dinard, et de plus, contribuant financièrement via des dotations à des associations généralement catholiques, le couple est effectivement une cible de la part de ceux qui ne partagent pas ce type de convictions. À chacun les siennes, concrètement, le modèle du Café Joyeux est clairement inclusif, il prouve également qu’employer une majorité de personnes handicapées (184 à ce jour) ne signifie pas obligatoirement dépendre des deniers publics.

Les salariés handicapés sont à même de travailler dans un cadre classique. Ils contribuent comme dans n’importe quelle entreprise à la rendre viable et en capacité d’investir pour de nouvelles ouvertures, qui signifient la création de nouveaux emplois et opportunités pour d’autres personnes en situation de handicap. Un cercle vertueux qui peut en inspirer d’autres.

Anne Florin

À voir aussi