Par François de Coincy, entrepreneur et auteur de « Sept idées libérales pour redresser notre économie » (L’Harmattan)
Tribune. Alors que la société Orpea avait le label RSE, bénéficiait de financements « éthiques » et avait mis en place un système qualité, il semble que son comportement était détestable, voire frauduleux. Tout montre que ces labels à la mode n’étaient que du vent, mais ses investisseurs voulant sauver leur mise en rajoutent en voulant en faire une entreprise « à mission », dernier habillage marketing à la mode.
Orpea serait responsable de maltraitance sur des personnes vulnérables et de détournements de fonds publics, alors qu’elle n’a été l’objet d’aucun reproche notable du ministère de la Santé qui est censé contrôler son bon fonctionnement et l’usage des fonds alloués au titre du soutien aux personnes dépendantes.
Victor Castanet décrit un système de management amenant des salariés à avoir honte de ce qu’ils acceptent de faire
Le livre de Victor Castanet décrit comment, par un centralisme bureaucratique, les décisions d’une direction générale peuvent amener les acteurs de l’entreprise à un comportement insupportable sur les personnes qui leur sont confiées au point qu’ils aient honte à la fois de leurs actions et de leur soumission. Comme les directeurs d’établissement n’ont aucun pouvoir et que tout est décidé par quelques personnes au siège, les problèmes ne sont littéralement pas traités, faute de budget ou de personnel accordé, et les dysfonctionnements deviennent la règle.
Le livre montre l’absence de contrôle de l’administration alors que c’est elle qui accorde les autorisations d’exploiter, c’est elle qui doit veiller à ce que le cahier des charges de cette mission de service public soit respecté, c’est elle qui est responsable des allocations qu’elle verse aux Ehpad. L’administration n’intervient pas, (sans doute parce qu’Orpea reste dans la limite des budgets fixés) et rien ne freine l’accroissement des dysfonctionnements puisque les clients, du fait même de leur état de dépendance, ne peuvent protester des mauvais traitements qu’ils subissent.
Victor Castanet explique que la maltraitance résulte d’une part des économies sordides faites sur des produits d’hygiène ou d’alimentation et d’autre part de la tricherie sur des dépenses remboursées par l’Etat. On peut espérer que les enquêtes internes et externes qui vont se mettre en place expliqueront pourquoi une direction a pu s’engager dans une démarche allant contre l’intérêt de ses propres clients. Alors que l’entreprise vise une clientèle plutôt haut de gamme et que ce marché est en fort développement, cette stratégie, contraire à la philosophie affichée, ne pouvait manquer d’aller dans le mur à terme.
Pour éviter de telles dérives, on pourrait mettre en place un « comité des proches »
Si le livre Les Fossoyeurs expose des faits et des interrogations sans en tirer de conclusions pour le futur, il en ressort cependant que le développement des dérives vient d’un rapport de forces totalement déséquilibré entre l’Ehpad et ses résidents. Les personnes dépendantes n’ont pas la capacité de demander au jour le jour le respect de la qualité des soins à laquelle Orpea s’est engagé, et leurs proches, qui viennent occasionnellement, ne sont pas organisés pour obtenir le respect des clauses contractuelles.
En 2019, Hella Kherief avait publié Le scandale des Ehpad, livre excellent tant par la clarté de la description du fonctionnement interne des EHPAD que par la force des témoignages. Elle suggérait notamment de développer la coordination des aidants familiaux pour en faire « une sorte de syndicat familial des résidents ».
Il me semble qu’il faudrait reprendre et développer ce concept en créant dans chaque établissement un comité des « proches » constitué des référents désignés par chaque résident dans un état de dépendance. Ce comité, réuni périodiquement, éventuellement par Internet, nommerait des représentants autorisés à circuler dans l’établissement et reconnus légalement comme des interlocuteurs officiels et de l’Ehpad et des autorités publiques.
Ainsi, plutôt que de créer de nouvelles normes ou d’inventer de nouvelles autorités de contrôle, on disposerait de la solution la plus humaine, mobilisant la responsabilité des proches des personnes dépendantes en leur donnant un statut pour qu’elles aient un réel moyen d’action. Cette organisation, permettant aux proches de vérifier la qualité des soins, devrait être appliquée dans tous les établissements traitants des personnes dépendantes, qu’ils soient privés ou public.
Remettre les acteurs défaillants dans le droit chemin ne suffira pas
Ayant oublié son objet social et son client, Orpea a échoué. Inutile d’en faire une entreprise « à mission » avec des grands mots, il lui suffit de remettre le client au centre du jeu. Pour se relancer Orpea devrait, sans attendre d’y être contrainte, mettre immédiatement en place ces « comités des proches » et établir la concertation qui permettra de corriger radicalement l’insuffisance des soins donnés aux personnes vulnérables. Si à court terme, cela entrainera nécessairement une baisse des résultats, à long terme, ce sera une politique gagnante.
Il faudra toutefois que l’on arrive à régler le problème du financement des besoins croissants de la dépendance, alors que le gouvernement a finalement renoncé fin 2021 à sa loi « Grand âge et autonomie » originellement prévue en 2019. La France devra décider quels moyens elle entend consacrer à la solidarité envers les personnes âgées. Les entreprises privées devront alors ne pas se contenter d’être pour l’Etat un sous-traitant commode pour respecter une enveloppe budgétaire, mais prouver qu’elles apportent globalement le meilleur service.
Chef d’entreprise à la retraite, François de Coincy avait publié en 2020 « Mozart s’est-il contenté de naître ? » renouvelant l’analyse de la théorie économique à partir des idées qu’il a accumulées au cours de sa vie professionnelle sur l’efficacité de la liberté dans le monde économique. Ce premier essai lui a donné une crédibilité lui permettant de publier des articles dans Figaro Vox ou Économie Matin. Il publie en 2022 « Sept idées libérales pour redresser notre économie » chez L’Harmattan afin de nourrir les programmes des candidats à l’élection présidentielle de la France.
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