Jusqu’où iront Frédéric Biousse et Guillaume Fouché, fondateurs en 2017 du groupe hôtelier
les Domaines de Fontenille ? Ils viennent de reprendre le Manoir du Sphinx, à Perros-Guirec, et
créent de nouveaux établissements de prestige à partir de lieux patrimoniaux à rénover, et ont
créé un modèle unique en son genre. Le groupe qui propose onze établissements pour l’instant
vient de signer un partenariat avec la banque des Territoires.
Comment avancez-vous pour vous développer aussi vite ?
Frédéric Biousse : L’aventure est partie d’une histoire d’amour avec une maison, qui a fini par devenir notre premier établissement et connaît depuis un joli succès. Lorsque nous avons développé Fontenille, nous nous sommes rendus compte que nous étions différents, car nous sommes sur des biens atypiques par rapport à la norme hôtelière. Dans notre ADN, il y a un attachement très fort à la terre ; nous sommes issus de familles d’agriculteurs et avons une forte motivation pour mettre en valeur de belles endormies. Notre ambition est d’avoir une vision différente de l’existant du meilleur de l’Europe, et cela commence par des endroits où nous avons envie d’aller ou de résider. Nous investissons uniquement dans des bâtiments qui nous plaisent. Autre élément différenciant, Guillaume Fouché est historien d’art, en charge de toute la décoration, de l’ambiance de chaque maison, cet aspect n’est pas délégué à un designer externe.
Autre spécificité des Domaines de Fontenille, nous avons montré que nous savions rentabiliser un hôtel de 20 chambres même si cela est plus difficile. Notre travail est une succession de coups de cœur qui a fini par former les Domaines de Fontenille. Lorsque nous avons trouvé un lieu, nous étudions bien entendu des données plus pratiques, les transports, le recrutement, la concurrence, la rentabilité potentielle. Ensuite, nous devenons propriétaires du lieu ; nous finançons généralement environ 50 % des investissements nécessaires, même si nous avons également quelques contrats de management. La clientèle est venue vers nous rapidement ; elle est très fidèle et nous suit de destination en destination, ce qui contribue à remplir nos nouvelles Maisons.
Est-il facile de trouver ces lieux ?
Nous en dénichons un certain nombre par nos voyages, nous contactons les agents immobiliers locaux. Maintenant que nous sommes connus, nous recevons aussi des propositions en direct. Un post Instagram peut engendrer une cinquantaine de demandes ; après étude, cela peut mener à deux lieux à visiter. La Caisse des Dépôts et Consignations nous flèchent aussi des projets. Récemment, c’est un maire de la Riviera qui nous a contacté pour un projet à volet agricole. Il est clair que l’emplacement reste un point clé. Notre concept permet de trouver des endroits exceptionnels sans pour autant avoir les moyens d’un LVMH (Cheval Blanc).
Vous venez de signer un partenariat avec la banque des Territoires qui a entraîné un premier achat commun, le Manoir du Sphinx, en Bretagne. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La Banque des Territoires nous a choisi, car, comme propriétaires, nous investissons à très long terme. Nous avons aussi la caractéristique de ne pas nous effrayer si le projet a une forte dimension agricole, au contraire. Nous tenons aux bonnes relations avec les administrations et les mairies, ce qui est indispensable lorsque l’on a des dossiers compliqués qui demandent, par exemple, une modification du droit du sol. Les grandes chaînes hôtelières délaissent souvent ce type de projets. La Banque des Territoires, et à travers elle la Caisse des Dépôts et Consignations, a une mission de sauvegarde et de redynamisation du patrimoine de ces zones et en cela, nous représentons un partenaire qui travaille sur les mêmes valeurs. Nous avons signé ce partenariat fin novembre, mais avons attendu d’avoir une première opération pour l’annoncer.
Le Manoir du Sphinx (qui changera probablement de nom) à Perros-Guirec (22) a été cette occasion. Il s’agit d’un hôtel manoir posé sur l’eau, sur une côte sauvage, un établissement familial dont les chambres donnent toutes sur la mer. La façon dont l’affaire s’est faite est assez typique de notre mode de fonctionnement. Nous avons appris que les propriétaires réfléchissaient à céder, nous les avons appelés en direct et avons créé une vraie relation avec ces trois personnes. Ils ont donné leur accord, nous avons pris les clés une fois leur saison terminée. L’ouverture est prévue en mars 2025.
Quelle est la typologie de vos cibles ?
Pour la moitié, il s’agit d’hôtels familiaux, indépendants, sans successeurs, que l’on achète, rénove et redéploie pour continuer leur histoire. Par ailleurs, il y a des abbayes, des prieurés détenus par des collectivités, ou le château des grands-parents que la famille veut vendre.
Ce sont des projets à plus long terme. Nous recherchons des lieux en Bretagne sud et nord, l’an dernier, nous avons ouvert un lieu magique à l’Île d’Yeu (85). En Europe, nous allons vers des établissements plus grands. En Italie, nous avons ouvert une ancienne résidence d’archevêque, avec une chapelle consacrée du XIIe siècle dans laquelle on peut célébrer des mariages, un endroit extraordinaire.
Quel est votre positionnement dans l’univers hôtelier ?
Nous construisons un modèle unique via une nouvelle offre, celle d’une prestation haut de gamme sur un prix moyen élevé, avec toujours une offre accessible. Mais ce que les clients apprécient chez nous, c’est que même si ce sont des lieux d’exception, il n’y a rien de guindé ; pas de costume pour le service, le but est que tout soit toujours possible pour nos clients. Par exemple, notre premier domaine du Lubéron reste ouvert à l’année, même si nous perdons de l’argent en saison froide.
Mais cela permet d’embaucher en CDI, un revenu stable pour nos collaborateurs et une motivation pour rester chez nous. Nous avons voulu créer une Marque Héritage Community Driven. Héritage, car ces lieux qui revivent vont nous survivre et une communauté, car les personnes qui viennent chez nous ont une communauté d’intérêts avec nos valeurs. Un exemple est parlant : 80 % de notre CA est réalisé en direct, dont la majeure partie par internet et par téléphone. Booking.com ne représente que 4 % de nos réservations.
Pourquoi devenir une société à mission depuis un an ?
La première raison est qu’avec Guillaume, nous sommes attachés à la terre, à la pérennité du sol. Dès 2013, nous avons lancé des projets de permaculture, d’agroforesterie en France et en Afrique Australe. Ensuite, vu la singularité de notre modèle, nous nous sommes aperçus que nous étions en avance sur ce qu’ont recherché les clients après le Covid. Par le biais de nos statuts, nous nous sommes créés des contraintes afin de les respecter même en grandissant, y compris vis-à-vis de nos salariés envers qui nous nous engageons sur une quote-part de CDI, sur de la promotion interne, un recrutement à moins de 15 km, des fournisseurs à moins de 50, des artisans locaux, nous proposons aux mairies des visites des écoles dans nos potagers…
Cela inclut également des enjeux environnementaux, nous avons déjà des contraintes fortes sur l’énergie et l’eau, y compris pour nos jardins. Cette cristallisation dans les statuts est la clé pour garder nos collaborateurs, elle est un atout également pour les investisseurs. Notre Raison d’être est de créer des moments inoubliables pour le client, d’être généreux avec lui.
Quels sont vos projets pour 2024 ?
Cette année, nous rouvrons l’Île d’Yeu en avril, après l’avoir agrandi ; le Manoir du Sphinx, sur la Côte de Granit rose, est prévu l’an prochain, et nous avons deux projets de développement en France et un en Europe. Notre volonté est d’adopter un rythme de 3 à 4 hôtels par an en France et dans les pays limitrophes. Nous étudions également les grandes villes. Dans l’hôtellerie, nous vivons ce que j’ai vécu dans la mode il y a quelques années. Les tarifs de l’hôtellerie de luxe ont connu une explosion démentielle. Les acteurs du marché du premium disposent donc d’un plus grand terrain de jeu.
Avez-vous une région de prédilection à titre personnel ?
Dans les débuts, nous avions un tropisme vers le Sud-Est, et la région d’Aix-en-Provence. Au fil du temps, Guillaume a investi dans sa maison de famille en Charente et ensemble nous nous sommes installés à Hossegor, dans les Landes, le nouveau Cap Ferret. Nous aimons ce mélange du Sud-Ouest fait de population locale, de simplicité, de familles très aisées, d’étrangers, de surfeurs, où nous avons la chance de nous reposer sur un personnel très loyal et très fier. Nous vivons donc plutôt à présent sur un axe Paris – Angoulême – Hossegor.
Propos recueillis par Anne Florin