Il y a le chef dans sa petite cuisine dans un des multiples restaurants français. Et il y a « Le Chef », celui qui s’est positionné sur le secteur de la gastronomie afin d’aller au plus haut en décrochant notamment les fameuses Etoiles Michelin. Mais le sommet donne parfois des vertiges.
Il y a peu de métiers aussi difficiles que celui qui consiste à lancer, puis gérer, un restaurant gastronomique. Au-delà de la recherche des bonnes matières premières, des recettes inventives, le cœur du métier, il y a l’approvisionnement à prévoir au millimètre, les taux d’occupation directement corrélés à la réputation, la question du maintien une fois le sommet atteint, les problèmes de personnel, le respect de normes d’hygiène et sécurité toujours plus exigeantes, et l’on pourrait poursuivre ainsi un bon moment.
Un business prestigieux, mais pas si rentable
D’autant qu’en dépit des prix élevés, le taux de marge n’est pas impressionnant. Ce qui est assez logique étant donné la qualité des matières premières exigée et le nombre de salariés nécessaires pour faire tourner une affaire de ce type. On estime le taux de marge entre 5 et 10% avant impôt, ce qui est relativement faible pour un business aussi complexe et risqué. La haute gastronomie est une affaire de passion bien plus que de rentabilité financière.
Si l’on prend l’exemple du 3 étoiles, l’emplacement et la salle sont déjà des dépenses élevées, même si certains se sont installés à dessein au milieu de nulle part, tels Blanc, Goujon et bien d’autres. Un choix possible si l’on prévoit la possibilité de logement sur place ou à proximité et si la réputation est suffisamment établie pour attirer la clientèle française et internationale jusque chez soi. Mais le restaurant étoilé en tant que tel n’est pas la seule source de rentabilité, heureusement. Le business se trouve souvent un pas à côté si l’on examine les initiatives de ces dernières années.
Le resto d’à côté, le déjeuner à prix cassé
Pour rentabiliser leurs affaires, les chefs d’entreprise du secteur de la gastronomie ont souvent recours à deux filons bien connus. La réputation du chef 3 étoiles agit comme un véritable aimant, mais toutes les bourses ne peuvent se permettre d’accéder à sa table. Bien que… Il est possible de se faire plaisir avec des menus déjeuners permettant un bien meilleur rapport qualité/prix. Même si cela est plus souvent proposé par les 1 et 2 étoiles (chez qui des menus entre 23 et 35 euros sont fréquemment proposés en province), certains proposent cette solution chez les 3 étoiles. Les offres inférieures à 100 euros ont disparu avec la flambée des prix, sauf au Kei de Paris, mais pour une occasion, on retrouve une moyenne se situant plutôt entre 150 et 200 euros. Attrayante pour le client, mais aussi pour le chef qui privilégie un menu, ce qui simplifie d’autant le travail.
L’autre voie choisie est l’ouverture d’un second établissement, et plus si affinités, bénéficiant de la réputation du 3 étoiles tout se positionnant sur le créneau d’une brasserie haut de gamme ou un lieu dit « bistronomique ». Ce que l’on nomme les « petites tables » rencontrent un grand succès auprès du public. Avec un choix plus restreint, un personnel moins nombreux, ils permettent de dégager de meilleurs résultats. Marc Haeberlin, Jean-François Piège, Thierry Marx et bien d’autres ont suivi cette voie. Il y a même les « paniers » tels ceux d’Alain Passard qui propose une sélection des produits du potager, un grand nombre de chefs disposant de leur propre potager, avec une offre plus ou moins exhaustive de fruits et légumes.
L’hôtel
Lorsque cela est possible et tout particulièrement lorsque le restaurant se trouve en zone rurale, la possibilité de loger des clients est un avantage. Les bâtiments sont moins chers à l’achat, ce qui permet d’atteindre plus facilement la rentabilité. Cela permet aussi à la clientèle de consommer les vins qu’ils souhaitent sans peur de reprendre le volant. Or chacun sait que les marges sur les alcools sont plus intéressantes que celles des plats. L’exemple le plus parlant est sans doute celui de Georges Blanc, qui a investi son lieu bressois Vonnas, proposant hôtellerie, épicerie, brasserie, parc, animations…
Les partenariats et associations
Bocuse, Ducasse, ou aujourd’hui Calogreco ont tous opté pour des aventures grand-angles en France et à l’international. Ils sont devenus des créateurs d’entreprise en série, symbole de leur réussite. Mauro Calogreco a été clair, « si vous voulez être millionnaire, mieux vaut trouver un autre emploi. Mirazur a atteint de 8 à 10% de marge pendant environ cinq ans, mais auparavant il a fallu résister à une dizaine d’années de pertes ».
Les chefs sont également sollicités pour créer une cuisine pour des marques, pour de nouvelles enseignes spécifiques, ou pour revisiter de grands classiques plus proches de la rue que de la haute cuisine, tels que les hamburgers par exemple. L’un des exemples les plus frappants fut la réussite de Joël Robuchon et de son idée d’« Ateliers » qu’il a décliné un peu partout dans le monde, des lieux d’ambiance avec une cuisine soignée, mais assez simple par rapport à sa grande restauration de prestige.
Une activité à haut risque
Décrocher la troisième étoile est non seulement une consécration, mais aussi le début d’une recherche de solutions en matière de rentabilité. Cette récompense provoque quasiment instantanément l’intérêt de tous les gastronomes de la planète et se traduit en réservations supplémentaires. Les restaurants n’étant généralement pas extensibles, les prix suivent donc la loi de l’offre et de la demande, avec une forte augmentation du chiffre d’affaires. Quant à la rentabilité, elle n’évolue pas, les investissements étant trop élevés.
La pression ressentie est très forte, d’autant qu’il s’agit de ne pas déchoir. Ceci explique que depuis quelques années, des chefs n’ayant plus à prouver leur excellence décident après des années de stress, non pas de rendre leur tablier, mais de rendre leurs étoiles afin de retrouver la liberté perdue.
Joël Robuchon décida de franchir le pas en pleine gloire, à cause d’une « vie harassante » et d’avoir connu les décès prématurés de chefs tels que Jacques Pic ou Jean Troigros. D’autres ont fait de même, tels que Cyril Lignac, Sébastien Bras, Olivier Roellinger ou Alain Senderens, à l’inverse d’autres qui ont décidé d’aller au bout des possibilités offertes par le classement Michelin, tels qu’Alain Ducasse ou Paul Bocuse.
Claudio Flouvat