En dépit d’une indéniable sensibilité aux problématiques environnementales, les investisseurs français, banques comme épargnants, demeurent réticents à souscrire à des produits financiers écoresponsables. À l’exception du Crédit Mutuel et de la Banque Postale, les banques françaises ont des progrès à faire en matière d’investissement vert.
Produits financiers écologiques : les Français approuvent, mais y investissent peu
En matière d’écologie, les Français comptent parmi les peuples les plus soucieux. Selon un sondage IPSOS paru en fin d’année dernière, 93 % d’entre eux considèrent la défense de l’environnement comme un “enjeu important”. Dans le même temps, près de la moitié se disent prêts à changer leurs habitudes quotidiennes, notamment en termes de mobilité. Même logique s’agissant de leurs placements financiers : ils sont environ deux tiers à accorder de l’intérêt aux placements responsables en termes socio-environnementaux, selon un sondage mené par le Forum pour l’investissement responsable, à l’été 2021.
Pour autant, cet intérêt croissant des citoyens hexagonaux pour la “finance verte” peine à se concrétiser dans leurs choix d’investissement. Dans l’ensemble, ils continuent en effet à privilégier des placements plus rentables, diversifiés, et moins risqués. À titre d’exemple, le fonds vert de la plus importante association française d’épargnants, l’AFER, ne représente qu’un dixième de ses encours, évalués à 56 milliards d’euros.
L’exemple encourageant de la Banque Postale et du Crédit Mutuel
À tout le moins, les banques françaises d’investissement ont une forte marge de progression en termes de lutte contre le réchauffement climatique. Les quatre principaux établissements bancaires tricolores – BNP, Société Générale, BPCE et le Crédit Agricole – continuent ainsi d’avoir une empreinte carbone supérieure à celle de l’intégralité du territoire français, selon un rapport publié par la branche française de l’organisation internationale de développement Oxfam, en octobre dernier. Pis, leur impact sur le climat est en augmentation par rapport à 2017, selon la même source. Pour comprendre les causes de ces résultats, il suffit de jeter un rapide coup d’œil à la répartition des crédits accordés par les banques précitées : près de la moitié concerne des entreprises actives dans les secteurs pétrolier et gazier.
Le rapport d’Oxfam France relève néanmoins les efforts faits par deux établissements français, à savoir le Crédit Mutuel et la Banque Postale. Si les deux banques ont récemment décidé d’aligner leurs objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre sur ceux définis dans le cadre des Accords de Paris (2015) et de la feuille de route de l’Agence internationale de l’énergie (2021) – visant la neutralité carbone à horizon 2050 – la Banque Postale a quant à elle décidé, en fin d’année 2021, de ne plus financer l’expansion de l’industrie pétrolière et gazière. L’établissement bancaire développe par ailleurs une gamme de fonds bénéficiant des labels “investissement socialement responsable” (ISR) – soutenu par le ministère de l’Économie et des Finances – et “Finance solidaire” (Finansol). Bien qu’ils ne soient pas sans risque, ces derniers connaissent un certain succès, à l’image du fonds “Actions environnement”, pour lequel la Banque Postale a levé près d’un milliard d’euros.
Un exemple encourageant qui démontre que les investisseurs et les épargnants peuvent souscrire à des produits financiers écoresponsables, à condition de les épauler avec des labels et des objectifs clairs.
Une finance “verte”… en théorie
Pour autant, les contraintes posées par les produits financiers écoresponsables sont encore suffisamment nombreuses pour freiner les velléités d’investissement des épargnants. Elles tiennent d’abord au risque lié à la nature même des actifs verts, très concentrés : les banques peinent à convaincre leurs clients d’investir dans des portefeuilles relevant d’une seule et même thématique. Il est par ailleurs difficile pour un investisseur potentiel de savoir vers quels produits s’orienter, devant la multiplicité des labels existants et pour l’heure, assez méconnus.
De plus, le champ d’action de la finance verte est pour l’heure trop circonscrit pour lui permettre d’agir radicalement sur le changement climatique. De quoi décourager les épargnants les plus motivés. Et pour cause : les trois quarts des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent d’entreprises contrôlées par des États, échappant de facto aux sociétés et fonds d’investissement privés, comme le révélait le quotidien britannique The Economist, l’an passé. Aussi, en l’absence de politiques coercitives à l’échelle mondiale, obligeant les investisseurs à se détourner des produits polluants, le phénomène de la “patate chaude” s’installe : lorsqu’une société financière vertueuse se débarrasse de ses actifs à forte empreinte carbone, ces derniers sont bien souvent rachetés par d’autres société ou fonds spéculatifs moins scrutés par l’opinion publique et les ONG. La route est encore longue pour une finance complètement durable.
Alexandre Bodkine