Il y a aussi beaucoup de créateurs d’affaires qui accomplissent de merveilleux succès en ne se plaçant que sur des créneaux déjà occupés et « en ne cherchant simplement qu’à faire mieux leur métier que leurs concurrents établis », comme l’avait conseillé une fois, dans le magazine Entreprendre, un certain Jean-Claude Decaux. Le roi de l’abribus, qui a eu l’idée de son invention un jour en se prenant une averse en attendant un car sur une petite route de la Somme, est bien placé pour savoir de quoi il en retourne ! Son groupe JCDecaux, fondé en 1964, toujours détenu par ses trois fils à hauteur de 65,4 % du capital, réalise 3,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et est devenu leader mondial de la communication extérieure.
Être sensible aux signaux faibles, c’est à cette aune que l’on mesure l’intuition et la vision d’un entrepreneur inventif au moment de lancer son nouveau produit. Marc Simoncini, créateur de Meetic et des vélos Angell et patron du fonds Daphni, rappelle souvent qu’un créateur se doit « de chercher à répondre à un besoin ou à un problème non résolu dans la société par les gens ou les organisations ». Pourquoi pas ! Idem en matière de ressources humaines, les grands chefs d’entreprises s’avèrent souvent être ceux qui sont les plus aptes à détecter les attentes, les insatisfactions et les messages renvoyés par clients, fournisseurs ou propres salariés. Raison pour laquelle on remarque que beaucoup de ces patrons à l’écoute ne rechignent pas à faire régulièrement le tour de leurs boutiques, bureaux ou ateliers.
Bernard Arnault, l’incroyable fondateur de LVMH (86,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et dont on louera et s’apercevra du génie quand il ne sera plus là), lorsqu’il était actionnaire de Carrefour, prenait soin de se rendre tous les samedis dans un de ses hypermarchés. Il le fait encore régulièrement dans ses boutiques. Il a d’ailleurs raconté avoir pu mesurer l’impact de la marque Dior le jour où, débarquant à New York, un taxi lui parle du Français le plus connu aux États-Unis. Arnault pensait qu’il allait lui parler de Charles de Gaulle, et il lui a cité Christian Dior.
Plus modestement, le Breton Louis Le Duff, fondateur du groupe Le Duff (Bridor, Del Arte, avec 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires) ne perd jamais une occasion de prendre un café dans une de ses Brioche Dorée ou une pizza chez Del Arte. Le créateur incroyable de Moulinex, Jean Mantelet, qui a inventé le presse-purée en observant son épouse cuisiner, prenait parfois l’habitude de s’habiller en vêtements ouvriers pour aller écouter ce qui se disait en usines. L’émission télévisée Patron Incognito sur M6 est d’ailleurs basée sur ce même principe.
L’ancien patron d’une chaîne de châteaux hôtels (Les Hôtels Particuliers), Philippe Savry, longtemps propriétaire de l’Abbaye des Vaux de Cernay (aujourd’hui relancée par Laurent de Gourcuff, Paris Society), m’a raconté (c’est authentique) que le dimanche après-midi, il se déguisait en jardinier pour écouter ce que disaient ses clients, au travers des allées de buis, en quittant ses établissements.
LCI diffusait récemment un documentaire sur le Maréchal Leclerc. Écoutons ce qu’en dit un de ses compagnons d’armes de l’époque : « On ne pouvait que lui faire confiance. Car il était toujours avec nous à l’avant-garde du combat, prenant tous les risques, et en plus il avait du génie et de la chance… Et il empruntait toujours les itinéraires impossibles, où on ne l’attendait pas, il arrivait à tromper l’ennemi. C’est comme cela qu’on a repris Baccarat, en prenant un chemin impossible ! »
Les chefs d’entreprise ne sont pas tous des héros comme le Maréchal Leclerc. Mais ils n’ont pas le droit de ne pas être en première ligne sur le terrain et surtout en prise directe avec les évolutions de leurs marchés ou de leurs collaborateurs.
« Les hommes intelligents sont très sensibles au bruit. »
Gombrowicz
Robert Lafont
