Par Emmanuel Stanislas, fondateur de Clémentine, cabinet de recrutement du digital et de l’IT
Le secteur digital semble traverser la crise sanitaire et les perturbations qui l’accompagnent avec plus de facilité que d’autres secteurs, plus durement affectés. Pour autant, ses managers ne sont pas épargnés par les questionnements associés à ce début d’année 2021. Ont-ils des raisons spécifiques de céder à la mélancolie ?
Le début d’année est une période clé pour le management, à la fois symboliquement et opérationnellement. Dans de nombreuses entreprises, il correspond à une période d’entretiens individuels annuels, de renouvellement des objectifs, de redéfinition des missions de chacun et des priorités de l’organisation. Or l’année 2021 s’annonce teintée d’incertitude et marquée, dès avant son commencement par une clôture inhabituelle (due pour l’essentiel aux mesures sanitaires toujours en place) qui ne facilite en rien la tâche des managers.
Un début d’année sous le signe du « blue monday » ?
Rien d’étonnant à ce que nombre d’entre-eux éprouvent aujourd’hui une forme de mélancolie (voire d’angoisse) à l’heure des vœux d’entreprise — des vœux que toute organisation qui se respecte accompagne de discours positifs (communication des meilleurs résultats, annonce des perspectives de croissance, etc.).
Aujourd’hui ces discours s’accommodent mal d’un contexte Covid aussi dramatique sur le plan humain et sociétal. Les professionnels du recrutement l’observent : il se manifeste chez les candidats managers du digital un effet blue monday[1] qui invite à poser les bonnes questions. Comment en effet bien commencer l’année au cœur d’un épisode de crise sanitaire qui ne se termine pas ? Quelle attitude adopter vis à vis des équipes et quel discours leur tenir ? Quels leviers de motivation exploiter ? Jusqu’où exercer sa vigilance et engager sa responsabilité ?
Un secteur au cœur de tous les enjeux
Les professionnels du digital ont été tout au long de l’année 2020 à la fois acteurs et témoins privilégiés des bouleversements liés à la crise Covid dans l’organisation du travail. Ils ont de fait, autant de raisons de se montrer optimistes que de raisons d’éprouver des doutes ! Les outils digitaux ont permis la continuité d’activités et de services, accordant de ce fait au secteur un poids considérable dans les existences ; les confinements successifs ont entraîné un surcroît d’échanges dématérialisés et accéléré les ultimes étapes de la transformation digitale.
Si les effets ont été positifs en termes d’opportunités pour les « pure players » du secteur, des perturbations en termes d’organisation (et de résultats) y ont aussi été rencontrées, avec le lot de difficultés qu’elles apportent au management. Le passage au télétravail, total ou partiel a accentué la redéfinition des rapports managériaux, avec une autonomisation des collaborateurs toujours plus grande et sa contrepartie : un isolement inédit. Penser que tous les professionnels du digital l’ont bien vécu serait une erreur.
De nouvelles problématiques de recrutement… et de fidélisation
N’oublions pas que le monde digital a beaucoup misé sur la qualité d’un environnement de travail différent et attractif pour fidéliser les talents : agencement design de bureaux-appartements, activités proposées sur place, présence d’un Chief happiness officer, etc. Or, la crise sanitaire rebat les cartes autant qu’elle instille le doute chez les professionnels dont les métiers sont en tension : départs subis ou consentis, passage à la concurrence, reconversions dues à une perte de confiance ou à un sentiment d’isolement faute de bureaux joyeux, etc.
Alors que les plus chanceuses des entreprises entrevoient de nouvelles possibilités de développement (ou amorcent des virages indispensables), leurs profils les plus convoités se montrent plus difficiles à retenir. Des mouvements qui, en temps normal seraient passés inaperçus, se chargent alors d’interprétations multiples aux yeux du management. Le départ de profils seniors ou de jeunes recrues fréquemment chassées peut être vécu difficilement.
Pourquoi untel est-il passé à la concurrence ? Pourquoi maintenant ? Le télétravail étendu est-il responsable d’un étiolement des liens ? De quoi tel ou tel départ est-il le signe ? Mon attitude est-elle en jeu ?
Quelle attitude managériale privilégier ?
Les évolutions récentes des méthodes du management, toutes positives qu’elles soient, comportent aussi une contrepartie rendue manifeste en ce début d’année : une tendance à faire peser sur la figure managériale le poids d’attentes diffuses. Il lui appartient certes, de motiver les équipes, de les retenir lorsque nécessaire et d’entretenir le sentiment d’appartenance à l’entreprise ; mais cette dimension de son rôle est rendue plus complexe par la crise traversée.
On ne peut pas actuellement attendre des managers qu’ils multiplient les discours assurés sur un avenir radieux sans apparaître caricaturaux (ou entraîner la défiance) ; le risque existe qu’ils aient dans six ou douze mois des comptes à rendre sur l’écart entre le projeté et le réel constaté et y perdent toute crédibilité.
L’attitude positive à adopter en ces temps troublés doit être plus sobre et pragmatique : rappeler les capacités et atouts de l’équipe et de chacun ; souligner la façon dont on aura fait mieux que des concurrents moins bien préparés ; évoquer les différents scenarii envisagés – une attitude qui invite à se projeter dans l’avenir, à le préparer avec confiance et résolution, en agissant plutôt qu’en subissant ; mais aussi, en anticipant le retour à une socialisation plus intense !
[1] – Le blue monday est le nom donné depuis 2005 au jour « calculé » ( sans fondement scientifique) comme le plus déprimant de l’année et qui serait le troisième lundi de janvier) – condensé d’une quantité de sentiments négatifs associés à l’hiver (météo peu clémente, fin des fêtes, fin des bonnes résolutions, retour des difficultés, etc.)