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Les secrets de Georges Blanc, troisième meilleur Chef du monde


Nouvelle consécration pour le triple étoilé de la Bresse, son célèbre établissement de Vonnas vient d’être nommé troisième au classement de la liste des meilleurs restaurants au monde. Une bonne occasion d’en savoir plus sur celui qui porte haut dans le monde les couleurs de la gastronomie française.

Georges Blanc

Cette référence mondiale de la gastronomie, triplement étoilé depuis 1981, a obtenu la note encore jamais décernée de 19,5/20 sur le Gault et Millau en 1985. Toujours aussi actif, le récent octogénaire vient de s’envoler pour Singapour afin d’honorer son activité de consultant de Singapore Airlines, un contrat renouvelé chaque année depuis 26 ans.

Georges Blanc, vous, le triplement étoilé depuis plus de quarante ans, pouvez-vous dire ce qui fait la spécificité d’un restaurant étoilé ?

Georges Blanc : Pour les étoiles, c’est évidemment la cuisine qui doit être d’une très haute qualité. Aujourd’hui, nous sommes trois fois plus nombreux qu’il y a quarante ans pour deux fois moins de couverts, dans l’ensemble, le niveau s’est considérablement élevé. Pour y parvenir, des changements ont eu lieu, ainsi lorsque j’ai eu mes trois étoiles, nous étions 10 en cuisine, nous sommes aujourd’hui plus de 30 avec une capacité moindre en nombre de couverts. Cette réduction de la capacité vient aussi du fait que la cuisine est moins immuable qu’auparavant, moins répétitive dans un certain sens, avec des créations de nouveautés à chaque saison.

Sur les tables étoilées, la différence vient surtout du fait qu’il s’agit d’une cuisine émotionnelle, ce qui est d’autant plus important que nombre de clients viennent chez nous pour une occasion spéciale, un événement heureux. Cette émotion surgit d’une belle assiette, avec un magnifique dressage, mais c’est évidemment la dégustation qui prime. À Vonnas, nous avons effectué un très gros travail sur la typicité des sauces. La grande différence est que tout se fait au dernier moment, fini l’époque des bains-marie, l’exigence pour la profondeur de goût est toujours présente, mais elle s’accompagne d’un besoin d’extrême fraîcheur.

À 80 ans, je n’ai pas rendu les armes, car je suis un passionné et un marchand de bonheur comme tous les chefs. Je me nourris des échanges que j’ai avec chaque table de mon restaurant, je recueille tous les commentaires avec gourmandise. Quel que soit son métier, pour exister, il faut connaître les attentes des clients et savoir y répondre.

Comment passe-t-on d’un 2 à 3 étoiles ?

Georges Blanc : Je dirai que la différence majeure de niveau entre une deux et trois étoiles se situe au niveau de ce que l’on ressent. De l’émotion et de la sensibilité du cuisinier dans ce qu’il fait. Et, même lorsque l’on est trois étoiles depuis des années, il convient de toujours poursuivre sur la voie du progrès, aller au fond des choses afin de surprendre et d’émouvoir.

Chez nous, j’ai voulu créer une expérience globale, avec un choix en termes d’hébergement, de services, tout commence dès l’arrivée dans le village. Le client doit vivre une expérience gourmande, mais pas seulement.

Avec 8 restaurants ayant chacun leur personnalité et leur prix, plusieurs hôtels, sans oublier la vigne, la création de 350 emplois, quel est votre objectif aujourd’hui ?

Georges Blanc : J’ai décidé de me consacrer à 90% à l’univers bien rodé de l’étoilé à Vonnas, j’ai d’ailleurs vendu récemment mes deux brasseries lyonnaises. Je suis de l’ancienne génération, j’ai connu les commandes au téléphone, les fourneaux à charbon, le bateau lavoir. J’ai commencé en 1964, je ne tire pas de gloire de mes 43 ans de 3 étoiles, mais c’est une statistique qui prouve que je suis un marathonien. Les générations familiales qui m’ont précédé ont passé quelques 30 années dans le métier, pour moi, cela fait 60 ans… Pour évoluer et réussir dans ce métier, il faut bien entendu être cuisinier, mais cela ne veut pas dire que l’on soit aussi bon restaurateur.

Nous faisons 22 millions d’euros sur cette activité, cela signifie que chaque jour environ 1000 personnes dépensent 80 euros ici. L’Ancienne Auberge fait en moyenne 300 couverts. C’est une activité très spécifique, où il y a pourtant des problèmes de recrutement, alors que l’on peut évoluer très loin dans ce métier. Aujourd’hui mon fils aîné est avec moi, Florent Maréchau dirige la cuisine, il a commencé chez moi comme commis au garde-manger, c’est un passionné comme moi. Sans passion, il n’y a pas d’élévation. Il est essentiel de trouver son épanouissement dans son travail.

Quel est le projet actuel ?

Georges Blanc : Aujourd’hui, nous sommes en plein travaux dans notre hôtel 4 étoiles qui abrite des événements, ainsi que le restaurant la Terrasse des Étangs. Nous investissons 2,5 millions d’euros au château d’Epeyssoles. Je dois remercier Raymond Loewy, un client de mes parents. Ce maître de l’esthétique industrielle m’a appris que la fidélisation partait du rêve présent dans l’assiette et se consolidait grâce à un lieu unique, un environnement spécial. Voici comment j’ai eu l’idée du village, en cherchant à créer un lieu harmonieux, avec une lumière particulière en journée comme en soirée. Nous avons racheté maison après maison, une trentaine au total que nous avons rénovée.

Quels sont les vins qui vous passionnent aujourd’hui ?

Georges Blanc : Le vin est l’une de mes grandes passions, j’avais passé le concours des sommeliers en France en 1979 où j’étais arrivé 3ème. Il paraît que le succès d’une vie inclut de planter une vigne et d’écrire un livre. J’ai planté ma vigne et écrit plusieurs ouvrages. Ma préférence en ce domaine reste assez classique, mais il est bien normal de chercher à évoluer quel que soit le domaine. Je suis un enfant de la Bourgogne, ma préférence va aux vins typés syrah et chardonnay. Mes vignes ne sont pas cultivées en bio, mais en biodynamie.

La question de la carrière ne s’est jamais posée pour vous, la restauration était une affaire de famille ?

Georges Blanc : J’étais un enfant docile avec des parents très affairés, mon père était cafetier-limonadier-maire, j’ai repris l’affaire familiale à l’âge de 25 ans. Cependant, au départ, je rêvais d’aventure et d’aviation, j’ai d’ailleurs passé mon brevet de pilote. Je voulais alors m’orienter vers une école de l’air, mais la visite médicale a mis fin à cette idée, car je suis daltonien, ce que je considère comme une chance aujourd’hui. Mes parents ont été rassurés, j’ai intégré l’école hôtelière de Thonon, d’où je suis sorti major de promotion. Depuis, je vis ma passion à fond.

Propos recueillis par Anne Florin

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