Au départ, Éric Vannier se rêvait en diplomate. Amateur de culture étrangère et de destinations lointaines, ce natif d’Issy-les-Moulineaux, issu d’une famille de médecins, fit ses études à Paris puis deux ans aux États-Unis.
En 1983, après la disparition prématurée de ses parents, il récupère en héritage un petit local avec commerce et logement sur le fameux site le plus célèbre de France. Débarquant sur un territoire qu’il ne connaissait que comme vacancier, il découvre que le tourisme n’y est à l’époque que saisonnier, et cantonné d’avril à septembre ! « Si vous débarquiez à Noël, pas moyen de trouver un bistrot ou une crêperie ouverte ! » L’idée est trouvée : « investir pour parvenir à étaler les séjours sur toute la saison avec des établissements ouverts toute l’année ! »
Vannier a beau ne pas avoir d’argent, il s’endette, rachète coup sur coup quatre établissements presque sans négocier le prix. « J’étais tellement convaincu de mon filon. » Il fallait aussi parvenir à attirer une clientèle internationale capable de compléter la demande française. Vannier n’en démord pas et veut convaincre. Et il s’en va lui-même rencontrer les tour-opérateurs à Tokyo pour proposer des séjours de groupes. La mode est lancée, le bouche-à-oreille fonctionne à merveille. Une vraie déferlante. Le nombre de touristes du pays du Soleil-Levant passe de 40 000 en 1974 à 550 000 quarante ans plus tard. Un engouement alimenté aussi par l’arrivée de groupes coréens ou chinois. Destination traditionnelle française, le Mont-Saint-Michel devient une véritable attraction internationale au plan mondial, un site incontournable avec plus de 2,3 millions de visiteurs annuels.
Éric en profite pour continuer d’agrandir son parc hôtelier avec une vingtaine d’établissements aujourd’hui au compteur. En 1988, il rachète in extremis la célèbre Auberge de la Mère Poulard, créée un siècle plus tôt et « qui devait être vendue à des Chinois. Je suis arrivé à temps, mais on ne m’a pas fait de cadeaux sur le prix. J’étais conscient du potentiel de la marque. J’ai ouvert des restaurants à l’étranger. Mais surtout, la bonne idée a été de lancer des biscuits. » (À ne pas confondre avec les Biscuits St-Michel – 460 M€ de CA – du groupe Andros, qui sont fabriqués à Contres dans le Loir-et-Cher.)
Après avoir testé de nombreux mois au préalable ses galettes auprès de sa clientèle, la décision est prise. L’usine sort de terre non loin, à Saint-Étienne-en-Cogles. Les biscuits La Mère Poulard sont vendus aujourd’hui dans 70 pays dans le monde. Une fierté normande que cet Avranchais de cœur a organisée seul et sans cadre export : « J’ai crapahuté moi-même dans le monde entier pour aller à la rencontre des distributeurs. Certains me l’ont reproché. C’était la seule solution. J’ai réalisé aussi peut-être inconsciemment mon rêve d’adolescent de devenir diplomate ! »
Une incroyable réussite pour cet homme simple de 71 ans qui a consacré toute sa vie au Mont-Saint-Michel et à son entreprise, et qui fait vivre aujourd’hui plus de 600 familles. Éric Vannier devrait être aujourd’hui présenté comme un symbole du renouveau économique. Face à l’avocat Jean-Claude Drié, il me raconte : « Quand j’étais maire de ma commune (de 1983 à 2001), les députés du coin n’avaient qu’une peur, que je leur prenne leur place. » Étrange constat de celui qui prend le temps de nager 1 h 30 à la piscine chaque jour, et qui n’est décidément pas homme à plonger dans le découragement. Il nous en faut plein des comme lui !
Robert LAFONT
Fondateur du magazine Entreprendre