Tous les dirigeants ont déjà été ou seront un jour confrontés à une crise. Rencontre avec le serial redresseur d’entreprises Arnaud Marion pour apprendre à gérer toute crise et à se transformer.
Comment peut-on redresser une affaire plombée par les difficultés ?
A.M. : Le retournement des entreprises est le fait de passer d’une situation négative à une situation équilibrée ou positive, de se retrouver sur le chemin du rétablissement. Pour sortir d’une crise, il faut savoir se transformer. La crise est généralement une transformation que l’on n’a pas su voir. Si l’on sait se transformer, alors des crises naissent toujours des solutions.
C’est le terrain qui permet d’exercer cette spécialité ?
A.M. : Des jeunes me disent « j’aimerais faire ce métier », et je ne peux que leur répondre d’aller se confronter à l’opérationnel. Ce travail n’est pas un job de consultant. Je n’ai rien contre ce métier, il y a de nombreux consultants performants, j’ai d’ailleurs travaillé chez Andersen, mais pour ce métier-là, il faut échouer et réussir, et surtout, savoir en analyser les raisons. Personnellement, j’ai décidé de me lancer dans le management de crise il y a vingt ans, en 2001, ce qui était précurseur à l’époque. J’étais dans la banque, et au contact d’avocats avec lesquels je travaillais, je voyais qu’ils proposaient de bonnes stratégies, mais que les clients n’avaient pas la capacité à suivre leurs instructions.
Pour quelles raisons ?
A.M. : le dirigeant et l’actionnaire sont otages d’une situation qu’ils n’ont pas voulue, ou pas voulu voir venir. Et quand on est otage, on ne peut pas être négociateur. Lorsque j’assiste des dirigeants, que je prends leur place pour un temps, je suis dans la rationalité, pas dans l’affect. Il est difficile pour un dirigeant d’apprendre à gérer du négatif. Ils aiment bâtir, développer, faire de la croissance. Il est très compliqué de faire l’inverse de ce que l’on a fait jusqu’alors. Mon intuition est qu’il existe un véritable déni sur la réalité des situations de faiblesse, car on évite ainsi les notions de culpabilité, de responsabilité.
Ce n’est pas un coupable qu’il faut trouver, mais les raisons du problème pour une future action stratégique : Le marché est-il bon ? Les prix assez chers ? Les nouveaux concurrents sont-ils rentables ? Mon deuxième ouvrage porte sur ce sujet : la construction d’une feuille de route pour son entreprise, afin de traiter le problème à la racine et avoir une vision globale de sa chaîne de valeur. La feuille de route doit précéder tout raisonnement sur la rentabilité.
Vous avez travaillé sur de nombreux dossiers, tels Heuliez, Doux-Père Dodu, Hersant Media, Solocal-Pages Jaunes, vous avez même sauvé le système Vélib’ lors des débuts difficiles de Smovengo dans la métropole parisienne. Etes-vous le grand sorcier vaudou des entreprises ?
A.M. : Ce n’est pas de la magie, mais de la méthode à partir de quatre éléments. Deux classiques : la performance et l’arbitrage sur l’allocation des ressources ; et deux à ne pas oublier. D’une part, le rapport à l’innovation, avec le numérique, le « gotomarket », l’expérience utilisateur. Par exemple, la visioconférence existe depuis longtemps, mais pendant la pandémie, Zoom a emporté le marché car la solution est efficace, simple, de bonne qualité, c’est l’expérience client qui leur a permis de prendre une longueur d’avance.
Et d’autre part, les grands enjeux contemporains, tels que climat, biodiversité, dialogue social, partage de la valeur, etc. Un enjeu plus sociétal que social, à intégrer dans le management. Ces quatre couches du millefeuille permettent une vison à 360°.
Mais les dirigeants de PME ont-ils le temps de prendre ce recul nécessaire ?
A.M. : Mes livres ont pour objet de parler aux entrepreneurs, aux dirigeants de PME, d’ETI, aux conseils de direction ou d’administration qui sont les acteurs du changement. Le problème en France est qu’il y a peu d’ETI, les PME restent souvent petites, car elles détestent s’allier et n’aiment pas le changement, la transformation. « On a toujours fait comme ça », on se persuade que le problème est conjoncturel. Ma priorité est de dire aux chefs d’entreprises ce qu’il est possible d’envisager pour faire bouger leur entreprise.
Les entreprises allemandes ou italiennes ont plus tendance à s’allier qu’en France, pourtant j’ai personnellement pu constater que l’on est souvent à la fois concurrent et complémentaire. On préfère tuer des filières, comme la sous-traitance navale autour de Saint Nazaire, décimée du fait de la guerre des prix, tout cela au profit des Italiens et Allemands qui sont allés chercher d’autres solutions.
L’une de vos décisions stratégiques a été d’ouvrir à Londres, pourquoi pas ailleurs ?
A.M. : Je suis allé à Londres, car j’avais des partenaires actionnaires, des fonds anglo-saxons basés à Londres, cela était donc plus simple pour travailler avec eux. En Grande-Bretagne, la mentalité est très pragmatique, on change du jour au lendemain, alors que les procédures sont toujours longues en France, en matière de finance, d’administratif, de juridique… Nous sommes souvent trop centrés sur notre exception, notre différence, or j’ai pu constater que les entreprises qui sont en déclin inexorable sont les plus passéistes, elles ont abandonné toute vision.
2020 et 2021 ont été des années actives, avec la parution de deux ouvrages, et la création de l’Institut des Hautes Etudes en Gestion des Crises (l’IHEGC). Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dernier sujet ?
A.M. : Je suis parti du constat que si les dirigeants formaient leurs employés, ils ne se formaient jamais. L’idée est de bâtir une école de formation dédiée à crise, à la transformation et la négociation, en partant de la vision du chef d’entreprise. L’Institut s’adresse aux dirigeants, professions libérales, leaders d’horizons différents, afin de les aider à conceptualiser les moments de crise pour mener une transformation de l’entreprise. Souvent, on ne parvient plus à évoluer, à se former, car on est pris dans le quotidien, un moment pour gérer des urgences, un moment pour les affaires courantes, un pour la (re)construction de l’entreprise.
Or, quand on est en crise, on est obligé de tout faire en même temps. Je forme via webconférence, avec 12 personnes maximum venant d’horizons divers, ou des comités de direction complets. Il y a un grand intérêt à former un codir quand on veut entamer une procédure de changement. Je fais intervenir au travers de vidéos des experts dans leur domaine de spécialité. J’effectue également des plongées sur des cas pratiques en utilisant mes propres documents pour montrer concrètement ma méthode de travail. Cela se termine par des échanges directs entre participants.
Ils peuvent alors établir leur feuille de route ?
A.M. : C’est le but. En 4 sessions intenses, soit 20 heures, il faut passer de l’intention à la réalisation en comprenant combien la méthode est importante. La vision se veut opérationnelle, afin d’aller vers ce que l’on peut faire, rapidement. Les diagnostics aiguillent sur les solutions en interne, ou pas. Pas de grande phrase, de la méthode systématique. Souvent, l’intention existe, mais derrière, cela ne suit pas. On fait un powerpoint mensuel et il n’y a aucune mesure du résultat des actions dans le temps. Il faut s’astreindre au suivi.
Propos recueillis par Anne Florin