Quel bilan tirez-vous de l’évolution de l’écosystème start-up depuis une décennie ?
Maya Noël. Le bilan est très positif. Les start-up sont désormais un vrai pan de l’économie. Elles ont contribué à la création d’environ 1,3 million d’emplois directs et indirects, soit un emploi sur 25, dont deux tiers en région. L’écosystème a créé 200 000 emplois au cours des douze derniers mois. Les start-up sont désormais 15 000 en France. Au niveau européen, la France occupe toujours la première place en matière d’attractivité.
La France est-elle, pour autant, devenue une « start-up nation » ?
Chacun a sa définition de la « start-up nation »… C’est une expression fourre-tout qui a été récupérée par certaines personnalités politiques. Les start-up sont des entreprises privées qui ne répondent pas à un agenda politique.
Vous mettez la French Tech dans le même sac ?
La Mission French Tech est un service de l’État. Une confusion s’est installée entre l’écosystème tech et la French Tech… Les start-up, qui ne se limitent pas à un secteur en particulier, sont parfois perçues comme un écosystème déconnecté de l’économie réelle. Ce n’est pas le cas. Tout ce qu’elles demandent, c’est d’être rattachées au reste de l’économie, de pouvoir grandir et de passer à l’échelle.
L’avenir de l’écosystème français se joue-t-il au niveau européen ?
Oui. L’Europe représente un marché de 450 millions de personnes. Mais il faut aussi mettre en place une préférence automatique à l’achat de solutions européennes pour sortir de notre dépendance aux acteurs américains.
Faire émerger des licornes doit-il être l’alpha et l’oméga de la stratégie française en matière d’innovation ?
Le concept de licorne a été tronqué. Devenir une licorne n’est pas une finalité, ce n’est qu’une étape par laquelle il faut passer pour devenir un géant. Toutes les start-up n’atteindront pas ce statut, mais elles créeront de la valeur et des technologies qui pourront être rachetées par d’autres entreprises.
Que manque-t-il à l’écosystème tech français pour passer un cap ?
Le principal défi aujourd’hui est l’accès des start-up aux marchés privés et publics. Le marché français est trop fragmenté et complexe pour elles, avec des appels d’offres souvent inadaptés à leurs besoins. Les start-up n’ont bien souvent pas les critères financiers ou extra-financiers demandés. De leur côté, les grands groupes publics et privés ont encore du mal à faire appel à de l’innovation « made in France » ou « made in Europe ». Il faudra peut-être mettre en place des règlements, des lois ou des incitations à l’échelle.
Quel regard portez-vous sur le soutien de Bpifrance à l’écosystème ?
L’argent public investi dans l’innovation a permis un véritable effet de levier sur les capitaux privés. Des initiatives comme Tibi (programme visant à stimuler le financement des entreprises technologiques, ndlr) ont attiré des milliards d’euros d’argent privé.
Pour les tours de table de plusieurs centaines de millions d’euros, les investisseurs étrangers sont encore indispensables…
Il y a un manque de liquidité en France et en Europe sur ce genre d’investissement. Nous devons créer un marché des capitaux européens pour mieux accompagner nos entreprises après une série D et lors de la phase de pre-IPO (avant l’introduction en bourse, ndlr).
Les groupes américains ont racheté de nombreuses start-up françaises. La France est-elle devenue un incubateur pour les entreprises et les fonds américains ?
C’est un peu exagéré… Les choses ont évolué. Nous ne sommes pas un incubateur, nous créons des entreprises matures. Il y a quelques années, une start-up devait aller à l’étranger pour lever un million d’euros. Aujourd’hui, l’écosystème est capable de monter beaucoup plus haut dans les tours de table. Mais il faut de la continuité. C’est dommage de financer la R&D en France pour qu’au final l’entreprise trouve son marché aux États-Unis et soit rachetée par un concurrent américain.