Thomas Pesquet et l’ISS, SpaceX et Starlink d’Elon Musk, tout ceci a contribué à remettre la conquête spatiale sous le feu des projecteurs pour le grand public. Mais l’espace a aussi et surtout retrouvé une place géopolitique inédite depuis la guerre froide.
Intéressons-nous tout d’abord à Starlink, ce système proposant un service Internet haut-débit mondial en reliant plusieurs satellites entre eux (42 000 satellites à terme). Starlink a de lourdes conséquences pour l’observation et la recherche spatiale car les constellations de satellites gênent les travaux des astrophysiciens.
En privilégiant l’orbite basse (entre 328 km et 580 km) pour des questions de temps de réponse, ces constellations entraînent en effet une pollution visuelle préjudiciable pour l’observation et ont d’ailleurs perturbé le télescope Hubble.
En France, deux communes se sont opposées à l’installation d’une « base » Starlink, alors que cela est devenu réalité à Villenave d’Ornon près de Bordeaux. L’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques) s’est contentée d’attribuer « une autorisation d’utilisation de fréquences à la société Starlink, lui permettant de fournir un accès à Internet fixe par satellite ».
L’aventure Starlink est emblématique de la naïveté française et européenne, et le signe que notre législation reste inadaptée à ces questions. Cet exemple est aussi le signe de la privatisation de l’espace et de l’irruption d’acteurs privés plus souples que les institutions et ayant une vision plus claire et affûtée de ce qu’ils veulent faire dans ce domaine.
La guerre en Ukraine a permis à Elon Musk et aux Américains d’apporter une aide non négligeable à Volodymyr Zelensky en encourageant l’utilisation de Starlink. Mais au-delà de la beauté du geste, c’est aussi un bon moyen de se rendre indispensable maintenant et demain via diverses pressions amicales.
Les liens entre Elon Musk et le Pentagone sont par ailleurs anciens, puisque de nombreux lancements de satellites classés « secret défense » ont été effectués par SpaceX. Musk et SpaceX ont par ailleurs dévoilé Starshield, une version militaire de Starlink dont les services pourraient intéresser le Pentagone, la CIA ou la NSA.
L’espace redevient donc un enjeu géostratégique majeur, qu’il s’agisse d’observation, d’espionnage, de communication, ou de retombées scientifiques et technologiques.
L’ambition exprimée par de nombreuses puissances de « coloniser » la Lune ne doit rien au hasard ni à l’ambition philosophique de se dépasser. La Chine s’est lancée dans la course en mobilisant de gros moyens, et le pays a aussi annoncé vouloir lancer une constellation de satellites concurrençant Starlink. Les ressources minières de la Lune, l’objectif de missions futures vers Mars, voire de sa terraformation, et l’incertitude géopolitique symbolisée par la guerre en Ukraine, les luttes d’influence en Afrique ou les tensions sino-américaines au tour de Taïwan invitent également chaque puissance à se doter des moyens de son autonomie militaire et géostratégique.
Dans ce contexte redevenu fortement isolationniste, la France et l’Europe semblent un peu à la peine. L’engouement populaire autour des missions spatiales et du médiatique Thomas Pesquet ne fait pas une politique spatiale ni une stratégie nationale ou européenne.
Néanmoins, le Parlement Européen a dernièrement adopté une proposition de constellation de satellites Internet baptisée IRISS (Infrastructures pour la Résilience, l’Interconnexion et la Sécurité par Satellites) dont on peut aussi légitimement se demander si elle n’intervient pas trop tard.
Il serait intéressant que les ambitions franco-européennes soient plus élevées, même si l’action en la matière ne se décrète pas d’un trait de plume et si l’espace reste un sujet relativement absent du débat public en France. Il est un euphémisme de dire que notre personnel politique n’est globalement pas le mieux armé sur ce sujet.
Symboliquement et stratégiquement, la France et au-delà l’Europe auraient pourtant tout intérêt à se positionner et à ne pas se contenter de regarder décoller la navette ! L’astronaute Patrick Baudry pointe régulièrement du doigt les renoncements français en matière d’espace, de vol supersonique ou de nucléaire, un manque d’ambition et des errements passés qui pourraient se révéler de lourds handicaps demain.
Surtout, cette course vers l’espace et ces considérations géostratégiques prouvent que la route sera longue pour faire de l’espace un horizon commun à l’humanité et un facteur de paix entre les peuples.
L’espace redevient, aujourd’hui plus que jamais, un enjeu géostratégique.
Yannick Boutot