L’économie et ses mouvements sont d’ores et déjà numérisés. De ce côté, la monnaie numérique de banque centrale n’apportera rien de nouveau. En revanche, il est probable qu’une fois en circulation, cette dernière conduise vers une division inédite du système financier occidental. Cette fragmentation de l’unité de mesure financière de référence présenterait le potentiel bénéfice de réduire le volume monétaire global – multiplié par quatre entre les années 1980 et nos jours. Par ailleurs, la contrepartie plausible se traduirait par une instabilité durable ainsi qu’une volatilité sans précédent des principales devises classiques.
Il ne s’agit pas d’une innovation locale. Les principales banques centrales de ce monde montrent depuis le début des années 2020, une idée déterminée s’accroissant au fil des mois, préludant à la mise en circulation d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC). La FED, qui est la banque centrale la plus puissante, pour ne pas dire la seule véritable banque centrale du système financier résultant des accords de Bretton Woods, a récemment déclenché des réactions épidermiques auprès de nombreux représentants du Parti conservateur des USA, en annonçant préparer la mise en service d’un dollar numérique.
Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), déclarait durant ce printemps 2023, que les banques centrales majeures concouraient aux élaborations respectives et avancées de monnaies numériques de banque centrale.
La BCE a d’ailleurs mandaté plusieurs sociétés, dont Amazon, pour structurer un euro numérique.
Sur son site Internet officiel, la Banque centrale européenne (BCE) apporte des réponses aux questions fréquemment posées sur l’euro numérique.
“Un euro numérique remplacera-t-il les espèces ?” ; à cette question, la BCE répond : “Non, un euro numérique viendrait en complément des espèces (les billets et pièces), sans les remplacer. Les espèces resteront disponibles dans la zone euro. Un euro numérique existerait parallèlement aux espèces, pour répondre à la demande croissante des consommateurs, qui souhaitent disposer de moyens de paiement électroniques rapides et sûrs”.
Il convient d’éclairer la réponse – en effet, il semble être ici omis que les paiements effectués en recourant à une carte bancaire représentent déjà un complément dématérialisé des espèces : nul besoin d’avoir créé un euro numérique pour que ceux-là puissent être accomplis.
Lorsqu’un transfert d’argent est provoqué par l’utilisation d’une carte bancaire, ou encore par la validation sur Internet d’un virement bancaire, de véritables euros sont numériquement acheminés d’un compte vers un autre. De ce point de vue, l’euro numérique ne présente aucune utilité supplémentaire.
Le 3 mai de cette année, durant un entretien filmé pour TV5Monde, Jacques de Larosière, qui occupa successivement les postes de directeur du trésor, directeur général du Fond monétaire international, gouverneur de la Banque de France, président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, réagit spontanément lorsque je le dirigeai vers le sujet de l’euro numérique : “Ils font ça parce qu’ils ont peur de la concurrence des cryptomonnaies. Et la peur de la concurrence n’est jamais bonne conseillère. Il faut réfléchir aux raisons qui font qu’il y a un transfert de l’intérêt des citoyens vers les cryptomonnaies”.
Sur son site internet, la BCE indique que l’euro numérique serait de la monnaie de banque centrale, et que, de facto, contrairement aux crypto-actifs, celui-ci serait garanti par une banque centrale.
Cependant, il apparaît assez évident qu’un nombre considérable des personnes qui investissent dans les cryptomonnaies, réunit des citoyens dont la démarche consiste principalement à diversifier les placements financiers, en s’éloignant notamment des circuits traditionnels. Il y a donc fort peu à parier pour que les banques centrales parviennent à séduire ce public-là, en l’incitant simplement à placer de l’argent en monnaie numérique de banque centrale (MNBC) plutôt qu’en cryptomonnaie.
Par conséquent, à ce jour, l’apport de l’introduction dans le système financier de l’euro numérique, comme des autres monnaies numériques de banque centrale, demeure indéfinissable. À moins que la monnaie numérique de banque centrale ait pour principale vocation de devenir au fil des ans, une monnaie dont les États feraient usage lors de leurs échanges financiers avec les concitoyens.
Dans ce cas, il est plausible d’envisager que les États décident de libeller certains versements, comme ceux correspondant par exemple aux prestations sociales ou aux chèques exceptionnels, en euro numérique, afin de favoriser le démarrage de celui-ci.
Toujours est-il que la mise sur le marché des monnaies numériques de banque centrale devra être effectuée avec la plus grande prudence, afin de ne pas conduire vers une sclérose de l’économie mondiale.
Comme le précise subtilement et à juste titre la BCE, les crypto-actifs ne sont pas des monnaies. Par ce qui en découle, en étant introduites et garanties par les banques centrales, les MNBC représenteront les premières véritables crypto-monnaies.
C’est ainsi que la monnaie numérique de banque centrale pourrait diviser le système financier.
Tom Benoit