Par Jean-Philippe Delsol, avocat, président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF
A l’origine, l’Union européenne avait vocation à faciliter les échanges et la vitalité économique, donc la prospérité, de ses membres. La concurrence et la liberté de circulation des hommes, des marchandises, des flux financiers et des idées devait favoriser l’innovation. Mais désormais la technocratie européenne n’est guère bonne qu’à innover sur le plan réglementaire.
Elle a inventé le RGPD pour encadrer le traitement des données personnelles. Les normes climatiques et financières se succèdent à un rythme effréné (cf. la prochaine introduction des normes ESRS, un nouvel indicateur du développement durable de l’entreprise). Son Digital Markets Act (DMA) est entré en application le 2 mai 2023 pour limiter la domination économique des grandes plateformes.
Depuis ce 25 août 2023, les dix-neuf plus grandes entreprise numériques de réseaux sociaux, places de marché et autres moteurs de recherche (AliExpress, Amazon Store, AppStore, Booking.com, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Search, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Microsoft Bing, Pinterest, Snapchat, TikTok, Wikipedia, X (ex Twitter), YouTube, Zalando) sont assujetties, sous le contrôle de la Commission européenne, aux nouvelles règles du Digital Services Act (DSA).
Désormais, en Europe, ces plateformes, disposant chacune d’au moins 45 millions d’usagers, devront répondre d’une quarantaine d’obligations nouvelles telles que :
• Disposer de « termes et conditions d’utilisation » compréhensibles par tous, même des enfants, et d’établissements faciles à contacter ;
• Le partage des données à des fins de publicité ciblée ne sera possible qu’avec le consentement des usagers ;
• Le microciblage publicitaire des mineurs fondé sur leur profilage est interdit ;
• Les réseaux sociaux devront ouvrir l’accès à leurs données publiques aux chercheurs ; ils devront également communiquer les algorithmes qu’ils utilisent ;
• Les plateformes devront réagir à tout signalement de contenu illégal, le cas échéant retirer le contenu visé et en expliquer la raison à son auteur sous le bénéfice de recours et réparations possibles de celui-ci. Des « signaleurs de confiance» seront désignés pour être les vigiles du système !
Les plateformes ont déjà dû adresser à la Commission des Bruxelles des rapports sur les risques dits systémiques que posent leurs systèmes de recommandations pour la démocratie et les droits fondamentaux (vie privée, processus électoraux, interdiction de diffuser des contenus illicites…) et ce qu’elles font pour les limiter. Outre des audits indépendants, plus de 150 salariés, dont une trentaine de chercheurs, seront dédiés au suivi des entreprises concernées.
Les entreprises numériques plus modestes devront se conformer à ces règles à partir de février 2024 sous la surveillance de leurs autorités nationales. En France, la Cnil et la répression des fraudes (DGCCRF), coordonnées par l’Arcom, en seront chargées.
Les entreprises réfractaires risquent une amende représentant 6 % de leur chiffre d’affaires annuel, et même leur suspension en Europe en cas d’infractions répétées.
Il paraît plutôt sain que les utilisateurs puissent gérer les contenus auxquels ils veulent avoir accès. Toute personne censée convient également qu’il est souhaitable d’éviter les propos haineux, le cyberharcèlement, la violence et la désinformation autant que les produits contrefaits et toutes sortes de fraudes susceptibles de se développer sur les réseaux numériques.
L’excellente idée censée présider à cette réglementation est que “ce qui est illégal hors ligne doit également être illégal en ligne”. Mais avait-on besoin d’une nouvelle usine à gaz technocratique à cet effet ? L’Europe multiplie les normes, les règles et les contrôleurs pour surveiller les auditeurs externes chargés de veiller sur le travail des vérificateurs internes. Mais à la fin Quis custodiet ipsos custodes?- qui contrôlera les contrôleurs – s’inquiétait déjà Juvénal il y a près de 2000 ans.
L’Europe préfère un Etat administré à un état de droit, c’est-à-dire à des lois qui soient les mêmes pour tous et dont on veille à l’application. C’est pourtant l’instauration de ce dernier qui a permis le développement de l’Occident. Ne perdons pas ce trésor qui a ouvert le champ de la liberté et, par-là, de la prospérité. Les lois existantes permettent déjà de traquer les délits commis sur internet. Plutôt que d’imaginer de nouveaux arsenaux législatifs qui sont autant d’entraves à la vie des hommes et des entreprises, il serait sans doute préférable de renforcer la justice et de lui permettre de s’exercer avec promptitude et efficacité.
Jean-Philippe Delsol
Avocat, président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF
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