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L’Europe face à son destin

Forteresse omeyyade, désert de Palmyre @ Patrick Pascal

Le destin de l’Europe ne se joue pas uniquement dans le règlement de la guerre en Ukraine, à propos de laquelle s’est ouverte en Suisse une première conférence diplomatique.

Il est avant tout question d’un indispensable choix identitaire et de la recherche d’une autonomie stratégique, qui ne se limite d’ailleurs pas au domaine militaire mais englobe aussi les hautes technologies. Cela suppose à terme le recouvrement par les États d’une certaine souveraineté perdue, diluée dans une dérive « fédéraliste ». L’Europe devra être refondée d’une manière ou d’une autre si elle veut véritablement exister face aux défis mondiaux, entre la Chine et les Etats-Unis.

“Carthago delenda est” (il faut détruire Carthage), tel était le mot d’ordre clamé dans chaque discours devant le Sénat romain par Caton dit l’Ancien ou le Censeur au IIe siècle av. J.-C. Cette obsession recouvrait la recherche d’une victoire totale sur une cité désarmée, mais dont le malheur était alors l’insolente prospérité. Effectivement, la troisième guerre punique se termina par la destruction de la ville.

Après cet « Hiroshima du monde antique » – annihilation d’une nation et d’une culture -, il ne s’agit plus seulement aujourd’hui de savoir si l’Ukraine devra rendre les armes sur les lignes de confrontation actuelles ou si le régime russe, finalement victime d’avoir été ostracisé, miné de l’intérieur et ayant perdu sa légitimité, sera profondément transformé. Le défi européen existe également face à d’autres enjeux.

Le Carthaginois contemporain, face aux nouveaux pôles de puissance, n’est plus un seulement conquérant, mais il devrait avoir pour nom la liberté et l’indépendance. Le Carthaginois, désormais c’est nous. La Rome antique est, dans cette perspective, l’incarnation de la domination des superpuissances.

Caton l’Ancien, en réalité hystérique, fermé aux cultures du monde comme la civilisation hellénistique, d’une austérité maladive dans son enfermement, réunit en fait les figures de tous les assaillants. Il représente globalement le parti de la guerre et est en même temps l’Hannibal qui détruisit l’armée romaine à Cannes dans la plus sanglante bataille de l’histoire.

Hannibal ne réussit jamais à prendre Rome, qui était à sa portée après la bataille du lac Trasimène en 217 av. J.-C., faute notamment de « machines de siège » et aussi par ce que son projet était faussement conçu (NB : « je ne suis pas venu pour affronter des populations, mais combattre en leur nom contre Rome ») et hors d’atteinte (NB : détruire Rome non pas uniquement en tant que ville, mais en tant qu’entité politique). On parle aujourd’hui de la défense des « valeurs » et de la démocratie.

Dans la défense désespérée de la République romaine, s’imposa – dès la bataille perdue de Trasimène – la figure de Fabius « Cunctator » (Fabius « le temporisateur »), selon lequel il fallait éviter les batailles frontales. Le choix était-il possible entre Fabius et Flaminius, ce dernier étant partisan de l’attaque classique ? Tel fut longtemps le dilemme jusqu’à ce que la stratégie du contournement ne prévale et que l’enlisement de l’assaillant jusqu’aux « délices de Capoue » ne finisse par porter ses fruits.

Ce parallélisme historique peut donner le vertige et il n’est pas jusqu’à la guerre des mercenaires à Carthage, imaginée par Gustave Flaubert dans Salammbô, qui ne fasse penser aux milices contemporaines et aux affrontement sur le continent européen. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas laisser faire Caton/Hannibal – dont les combats étaient largement symétriques et relevaient de politiques de puissance et qui se souciaient en réalité peu des peuples. L’Europe, en proie à la guerre qui n’aura été finalement qu’un révélateur parmi d’autres, est désormais seule face à son destin. Il lui importe de savoir si elle veut véritablement en avoir un.

Patrick PASCAL
Ancien Ambassadeur


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