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Loïk Le Floch-Prigent : « Les grands groupes français doivent investir et miser sur nos ETI »


Par Loïk Le Floch-Prigent, ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France Après avoir souligné la politique « financière » de l’actuelle Sanofi, est venu le moment de regarder la politique alternative, celle de Pfizer qui a inondé le monde de son vaccin ARN-Messager et qui s’apprête à mettre sur le...

Entreprendre - Loïk Le Floch-Prigent : « Les grands groupes français doivent investir et miser sur nos ETI »

Par Loïk Le Floch-Prigent, ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France

Après avoir souligné la politique « financière » de l’actuelle Sanofi, est venu le moment de regarder la politique alternative, celle de Pfizer qui a inondé le monde de son vaccin ARN-Messager et qui s’apprête à mettre sur le marché le Paxlovid, son médicament anti-Covid qui devrait arriver dans les pharmacies françaises fin Janvier.

Le principe actif sera fabriqué par une entreprise française, Novasep, sur le site de Mourenx (près de Lacq). Le siège de Novasep est à Lyon et ses propriétaires un fonds nommé Bridgepoint après une vie capitalistique agitée. Novasep est spécialisée dans la purification des molécules, une société de chimie dite de « spécialités ».

Le PDG de Pfizer est heureux de travailler en France, « championne de la santé » avec un « savoir-faire dans les technologies parmi les meilleurs en Europe avec des scientifiques de grande qualité et des travailleurs hautement qualifiés » ! Nous voilà tout contents d’être reconnus collectivement par une société qui vient de passer de 42milliards de Chiffre d’affaires en 2020 à 81 en 2021 avec une capitalisation Boursière de 308 milliards de dollars.

Cette nouvelle est magnifique car elle va donner l’occasion d’illustrer les constats et diagnostics sur la situation industrielle de la France et peut permettre de faire réfléchir ceux qui continuent à célébrer la politique actuelle comme une réussite exceptionnelle.

Mourenx avec sa zone industrielle consacrée en grande partie à la chimie sur des sites « Seveso II » c’est-à-dire dédiés et contrôlés, s’est développée grâce au gisement de gaz de Lacq dont les exploitants ELF-Aquitaine ont voulu pérenniser l’installation très tôt avant l’extinction de la nappe. Dès 1956 ils ont souhaité réaliser un complexe industriel et une ville nouvelle, une première en France, et l’agglomération a  accueilli jusqu’à 10 000 travailleurs venus de partout.

La Sobegi devenue Chem’Pole 64  est une association d’une dizaine d’entreprises qui accueillent tous les métiers de la chimie (et de la biologie) les biotechs en particulier, faisant de cet endroit un pole national du monde de la santé avec la présence de Sanofi (ancienne filiale de ELF-Aquitaine, de Speichim, de l’Oréal, d’Arkema (ancienne filiale d’Elf-Aquitaine)… C’est une belle anticipation de politique industrielle en plein Béarn : quand Elf partira, l’industrie sera toujours présente ! Il y a 7600 emplois industriels dans le territoire ! 65 ha industriels aptes à recueillir les meilleurs en cosmétiques, phytosanitaire, pharmacie, biochimie…

Parmi les créateurs de Sobegi, il y a Novasep qui a ainsi gardé la fabrication de principes actifs en France. On rappelle que , pendant une période récente, ceux-ci sont majoritairement partis en Allemagne, en Suisse, en Inde et en Chine (en ce qui concerne les entreprises « françaises »). Mais Novasep qui compte 1600 personnes sur 11 sites et 394 millions d’euros de chiffre d’affaires a connu beaucoup de malheurs pour se développer.

Comme on le sait, pas de fonds propres, et donc de l’endettement jusqu’à devoir passer sous la coupe des créanciers en y laissant son âme, c’est-à-dire sa politique de recherche et ses engagements long terme. Novasep était l’exemple d’une ETI dont le développement nécessitait des fonds propres et le pays n’a pas été au rendez-vous, c’est désormais le Fonds international BridgePoint qui préside à ses destinées, il veut l’associer à une entreprise allemande PharmaZell très complémentaire. Le Fonds d’intervention national est intervenu en actionnaire minoritaire d’appoint, mais dans la mesure où Sanofi veut satelliser à la Bourse son département Principes actifs, on voit qu’il n’y a aucune réflexion sur ce sujet.
On peut ne pas souhaiter que l’Etat intervienne, mais alors il faut que les industriels et les investisseurs français se parlent et inventent des solutions favorables à la réindustrialisation du pays. Il est clair que Novasep aurait du être une pièce maitresse de la reconstruction des principes actifs français, c’est Pfizer qui l’a compris.

Enfin Pfizer ne s’est pas contenté de son association avec BioN’tech pour développer le vaccin ARN Messager. Il faut rappeler, hélas, que Sanofi-vaccins a été le première entreprise à travailler avec BioN’Tech mais qu’il a éconduit la société que Pfizer a fini par venir chercher. Il faut donc cultiver l’écosystème bio-pharma et prendre des risques. Mais Pfizer a aussi travaillé sur le médicament et a réfléchi sur la nouvelle façon de travailler avec des pandémies susceptibles de rester longtemps et de se révéler à tout moment dans le futur. Alors que l’on croyait qu’ils se concentraient sur le sujet qui leur conférait une réputation mondiale, ils étaient déjà dans le futur avec le médicament et les possibilités de l’adapter aux variants successifs éventuels , c’est une belle leçon aussi pour notre industrie pharmaceutique, avoir toujours un coup d’avance !

Si Pfizer a raison, nous restons un grand pole de connaissances dans le domaine de la santé, c’est aux industriels de s’organiser pour en tirer le meilleur parti, de faire marcher l’écosystème, mais on l’a vu avec l’histoire de Novasep, il faut que les grandes sociétés apprennent à anticiper, comme autrefois Elf-Aquitaine, il faut que l’on sache intervenir dans les ETI en fonds propres d’investisseurs français et sans doute, puisque cela ne marche pas tout seul, que l’Etat aille plus loin dans la constitution d’un Fonds  national public/privé pour structurer les biotechs et leur faire passer l’obstacle de l’expansion sans les vendre à l’étranger et sans les faire disparaitre.   

Loïk Le Floch-Prigent

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