En matière d’organisation d’espaces de travail, la mode est depuis plusieurs années à l’open-space. Des bureaux ouverts censés fluidifier la communication dans les entreprises tout en rapprochant les salariés. La question est sujette à controverse et les avis sont partagés.
Selon le dernier baromètre de l’observatoire Actineo (réalisé auprès de 2 500 salariés en Allemagne, Suède, Pays-Bas et France), 22 % des Français se plaignent de leur environnement de travail, quand 91 % des Néerlandais et 88 % des Britanniques l’apprécient.
L’open-space, inventé par deux consultants allemands
Un « open-space », ou plateau ouvert, est un espace de travail où les bureaux ne sont pas séparés par des cloisons. En conséquence, les personnes se voient et s’entendent et travaillent entre elles. Les bureaux ouverts, sans cloisons, ont pour origine le concept des « bureaux paysagers » mis au point par deux consultants allemands, les frères Eberhard et Wolfgang Schnelle, dans les années 50. Ce concept connut un grand succès aux États-Unis avant de revenir en Europe dans les années 1980.
Toutefois, dans la vision des frères Schnelle, il s’agissait d’espaces généreux, agrémentés de nombreuses plantes vertes. Si le terme anglais d’open-space s’est imposé, c’est parce que ce modèle vient du monde anglo-saxon. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les premiers immeubles entièrement consacrés aux activités administratives voient le jour à Londres, New York ou Chicago. Dans les sièges sociaux, dans les banques et les assurances, dactylos et comptables sont installés dans d’immenses espaces organisés sur le modèle de la salle de classe – le chef est placé sur une estrade.
Le Larkin Building, un immeuble conçu en 1904 par l’architecte Frank Lloyd Wright à Buffalo (Etats-Unis), regroupe ainsi des dizaines d’employés alignés en rangs d’oignons dans une salle aux allures de cathédrale. Pendant des décennies, la France est restée à l’écart de ce mouvement. Il faut attendre les années 1970 pour que la France construise les premières tours de bureaux, les années 2000 pour qu’elle adopte le modèle américain du bâtiment « épais » qui ne laisse guère le choix aux aménageurs : pour que tous les salariés bénéficient de la lumière naturelle, il faut créer de vastes espaces dépourvus de cloisons.
25 % d’open space en France contre 80 % eu Royaume-Uni
Aujourd’hui, en France, il y a encore 37 % d’espaces individuels de travail, 38 % d’espaces partagés par plusieurs personnes et 25 % d’open-space. Au Royaume-Uni, la proportion atteint 80 % des salariés. Cela résulte d’un mouvement en faveur du collaboratif qui a conduit à réduire de plus en plus les espaces privatifs. On est visiblement allé trop loin dans cette direction, d’autant que la journée de travail type a évolué.
Les salariés ne passent plus tout leur temps à leurs bureaux : ils vont à des réunions, font des présentations, d’autres sont nomades et vont travailler depuis un café, puisqu’avec les technologies mobiles tous les lieux deviennent des espaces de travail… On observe que l’intensité du travail varie beaucoup au cours de la journée et que les salariés ont besoin de moments pour se ressourcer.
Avantages et inconvénients de l’open space
Les partisans de l’open-space mettent en avant les avantages suivants : Gain de place, meilleure communication entre les salariés et les équipes, meilleur suivi de l’activité de l’entreprise, surveillance mutuelle. A contrario, les détracteurs de l’open-space lui reprochent le fait d’être bruyant (en particulier en l’absence de cloisons insonorisées entre les bureaux), le manque d’intimité, le fait d’être sous la surveillance de ses collègues, de faire baisser la productivité, le risque assez présent des voisins d’étaler leurs affaires sur le bureau et le risque de vol du fait de l’absence de porte.
D’après Alain d’Iribarne, socio-économiste et directeur de recherche au CNRS, « les dirigeants mettent en avant le mythe du « travail en projets » et de « coopération harmonieuse et créatrice », mais l’open space peut être pathogène, (…), il facilite la surveillance et la mise en compétition des salariés entre eux, facteur de stress qui aboutit souvent au contraire du but recherché, avec des salariés qui s’isolent en portant des écouteurs ou en se cachant derrière des montagnes de dossiers ou des plantes vertes… ».
Les open-space, facteur de stress ?
Une étude de l’université de Cornell datant de 2000 montrait déjà que les salariés soumis à de tels environnements sonores étaient plus stressés, moins motivés et moins créatifs. Les chercheurs Jungsoo Kim et Richard de Dear ont publié dans le Journal of Environmental Psychology les résultats d’un questionnaire fourni à des travailleurs évoluant dans différents types d’espaces de bureaux, individuels, partagés ou en open space : « L’argument en faveur de l’open-space selon lequel il favorise l’enthousiasme et la productivité semble n’avoir aucune base académique ».
L’open-space, apprécié des managers et contesté par les employés
Ce qui fait dire à la sociologue Thérèse Evette : « L’open-space est à la fois l’aménagement le plus prisé des manageurs et le plus contesté par les employés. » Pour Danièle Linhart, sociologue du travail au Cresppa-CNRS, le problème majeur est celui du manque d’intimité : « Sur un plateau, les salariés travaillent en permanence sous l’oeil de leurs collègues et de leurs chefs. Or tout le monde a besoin d’un peu d’ombre, d’un peu d’intimité, d’un peu de quant-à-soi. Il faut, dans une journée de travail, pouvoir, de temps en temps, prendre de la distance, souffler, adopter une posture de dérision. Ce contrôle de soi épuise les salariés et nourrit leur stress. Ce n’est sans doute pas un hasard si la question du mal-être est au coeur de nos débats sur le travail. »
Et Maria Konnikova de conclure dans le New Yorker : « Alors que l’open space a été à l’origine conçu par une équipe de Hambourg dans les années 90 pour faciliter la communication et la circulation d’idées, un nombre croissant de preuves suggère qu’il sape ce qu’il était précisément censé améliorer ».