Jean-Pierre Marguaritte, ostéopathe, expert auprès des tribunaux et fondateur du « Traitement Vasculaire Ostéopathique » (TVO)
Entreprendre : Au mois de mai dernier, après la publication d’un rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) sur l’ostéopathie, Madame Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, a annoncé la création de la commission d’appui à l’encadrement des pratiques non conventionnelles de santé. Avez-vous bon espoir ?
Jean-Pierre Marguaritte : Il faut toujours espérer, cela fait plus de 20 ans que la pratique de l’ostéopathie est reconnue pour les non médecins. Et comme le gouvernement attend une union des associations socio-professionnelles, la situation ne va pas s’arranger car toutes les tentatives de rapprochement ont été vouées à l’échec. La dernière date du 12 septembre dernier. En tous cas, j’ai appris qu’un travail collaboratif allait être présenté aux parlementaires et aux élus régionaux le 6 octobre prochain au Sénat. La NPIS (Non Pharmacological Intervention Society), l’Agence des Médecines Complémentaires Adaptées (A-MCA) et de nombreux experts y participeront.
Ces deux organismes peuvent-ils peser dans les décisions ?
Puisqu’ils ont été appelés à participer à la commission, on peut le supposer. Ces deux organismes s’intéressent aux pratiques qui ne sont pas reconnues comme des professions de santé. La NPIS a une mission principalement axée sur l’évaluation des indications non médicamenteuses dont l’ostéopathie. L’Agence se définit comme un lieu d’expertise des pratiques complémentaires avec une mission de prévention consistant à informer les publics et à démocratiser le débat sociétal.
Leurs objectifs respectifs sont complémentaires. L’évaluation est un processus d’analyse qualitative et/ou quantitative d’une action visant à mesurer ses effets et ses conséquences. L’expertise est un constat.
Pensez-vous que les travaux de cette commission vont permettre d’aboutir, comme une majorité d’ostéopathes le souhaitent, à ce que leur profession soit mieux intégrée dans le paysage sanitaire ?
La présentation des modèles d’évaluation adaptés aux thérapies complémentaires publiés en juillet 2023 par la NPIS présidée par le Professeur Gregory NINOT me parait être une avancée importante nécessaire. Apporter la preuve scientifique de l’efficacité de l’ostéopathie est indispensable bien que de nombreuses études aient été publiées. La critique porte plutôt sur le nombre de sujets que sur la rigueur dont a été conduite l’étude. L’évaluation de l’ostéopathie est par ailleurs difficile, car pratiquée manuellement par des personnes, ce qui entraîne des difficultés pour standardiser ces pratiques.
Par contre, le classement des thérapies complémentaires qui a été publié par l’A-MCA laisse apparaître une méconnaissance de l’ostéopathie. L’agence a annoncé le lancement d’une plateforme de praticiens sélectionnés à partir d’un référentiel réglementaire qui confond les pratiques, l’ostéopathie étant assimilée à une profession de bien-être non autorisée à pratiquer des actes à visée thérapeutique.
Cette agence dépend-elle du ministère de la santé ?
L’A-MCA est en effet devenue une agence gouvernementale à la suite d’une proposition de résolution parlementaire portée par plusieurs députés dont Madame Agnès FIRMIN LE BODO avant sa nomination au ministère. Ses experts essentiellement médecins et psychologues, ont établi un référentiel des pratiques de bien-être avec pour objectif de soutenir les bonnes pratiques tout en luttant contre les dérives.
Vous soulevez l’existence d’une confusion dans le classement de ces pratiques.
En effet, l’A-MCA a classé les pratiques en trois groupes distinguant la kinésithérapie et les activités physiques et sportives qui sont validées par la HAS, les autres pratiques dites complémentaires acceptées regroupant l’acupuncture, l’homéopathie, l’hypnose, l’ostéopathie, l’auriculothérapie qui sont pratiquées par le corps médical, et la musicothérapie, l’art thérapie, la méditation, la réflexologie, le shiatsu, le yoga, etc… qui sont pratiquées par d’autres professionnels.
Je ne remets pas en cause le bienfait que ces dernières peuvent apporter aux personnes, comme par exemple le shiatsu qui est une médecine à part entière au Japon, mais je pense néanmoins que l’ostéopathie, au vu de l’engouement croissant et constant porté par la population, répond à un véritable besoin en santé publique car elle est parfaitement adaptée aux troubles fonctionnels liés au mode de vie qui font le lit des maladies inflammatoires chroniques et des troubles métaboliques.
Justement, ne croyez-vous pas que cette confusion tient au fait que la communauté médicale a admis que les troubles fonctionnels constituent une véritable maladie et qu’il appartient au médecin de les traiter ?
La communauté médicale reconnaît le trouble fonctionnel comme étant essentiellement somatique, c’est-à-dire uniquement lié à une émotion. Le stress, par exemple, est parfois un facteur déclencheur mais c’est loin d’être toujours le cas. Ses effets ont en effet une influence sur la fonction de l’organisme en insuffisance et cela peut s’expliquer et se démontrer par des études quantitatives.
Vous pensez qu’il faut distinguer le trouble fonctionnel de la maladie ?
Oui, ce sont deux niveaux de manifestation du dysfonctionnement de l’organisme différents. Un trouble fonctionnel est un symptôme physique et/ou émotionnel dont la cause n’est pas liée à un organe. L’organe va très bien en revanche son fonctionnement est anormal. La médecine considère que c’est le système nerveux qui ne fonctionne pas correctement et que l’anomalie réside dans la façon dont le cerveau envoie des messages au corps à l’insu de sa propre volonté.
C’est pourquoi une personne qui présente un trouble fonctionnel est confrontée à deux problèmes : d’une part, sa souffrance est mal reconnue et, d’autre part, son entourage a du mal à la comprendre. Et la seule issue reste la psychiatrie, la neurologie, la psychothérapie.
Comment peut-on accepter une interprétation aussi réductrice alors que l’ostéopathie accompagnée d’un changement du mode de vie peut non seulement soulager ces personnes mais les délivrer d’un trouble psychologique qui leur est attribué souvent à tort faute de pouvoir observer la lésion de l’organe qui est en cause.
Prenez l’exemple de la sérotonine qui procure le bonheur, la satisfaction de soi. Ce neurotransmetteur est synthétisé dans l’intestin avant d’être sécrété dans la partie postérieure du cerveau. Doit-on considérer qu’une colopathie fonctionnelle en lien avec une alimentation déséquilibrée est une maladie dont l’origine est exclusivement somatique ?
Le système nerveux d’après vous ne peut donc pas être seul responsable des troubles fonctionnels ?
Il semble difficile de penser que ce soit le cas. Il n’est pas besoin d’apporter une preuve scientifique pour valider le bien-être physique et moral après une activité physique ni la baisse de moral et de concentration ou encore un trouble du sommeil après un excès de table. L’impact de la sédentarité et du mode d’alimentation sur l’équilibre nerveux ne peut être contesté, nous l’avons tous plus ou moins vécu. Il diminue la faculté d’adaptation à l’environnement psycho-social qui se traduit par un trouble de comportement et son évolution qui passe par la nervosité, les troubles du sommeil, l’angoisse et l’anxiété, peut conduire à la dépression et au burn-out.
Le classement de l’A-MCA distingue les pratiques à visée thérapeutique qualifiées d’objectives des autres pratiques considérées comme subjectives. Cela laisserait entendre que les troubles de toutes les personnes qui consultent un ostéopathe sont liés à leur état de conscience ? Ce n’est pas sérieux.
Le stress est pourtant un facteur qui favorise l’apparition d’une maladie.
Le stress peut en effet révéler une insuffisance fonctionnelle qui se distingue d’un trouble dont la manifestation se traduit par un symptôme physique et/ou émotionnel. Et c’est justement grâce à son raisonnement global et systémique que l’ostéopathe peut identifier le lien existant entre une insuffisance fonctionnelle et une douleur ostéo-articulaire.
Il interprète la douleur ostéo-articulaire comme un signal qui l’informe de l’existence d’un trouble fonctionnel parfois silencieux mais qui peut aussi se manifester par un symptôme et évoluer vers la chronicité en cas de stress s’il n’est pas identifié et traité. Je rappelle que la douleur ostéo-articulaire est le motif de consultation d’ostéopathie de trois français sur cinq.
On pourrait ainsi considérer l’ostéopathie comme une médecine préventive.
OUI, si l’on considère qu’un trouble fonctionnel n’est pas une maladie. L’ostéopathie répond avec efficacité aux nombreuses personnes qui souffrent mais que ne sont pas malades au sens médical du terme. Leur état se situe entre la santé et la maladie. .
Doit-on en déduire que les traitements médicaux conventionnels sont mal adaptés aux troubles fonctionnels ?
La douleur osteo-articulaire est le premier motif de consultation d’un médecin généraliste après le renouvellement d’ordonnance, viennent ensuite les troubles psychologiques et les troubles digestifs. Si les plus fortes demandes de consultations d’ostéopathie portent en premier sur les troubles de l’appareil locomoteur et les troubles digestifs fonctionnels, on peut penser qu’il existe un lien entre ces deux premiers motifs.
En quoi l’ostéopathie qui est une technique manuelle se distingue t-elle de la médecine conventionnelle pour pouvoir établir ce lien ?
L’ostéopathie dispose d’un mode de raisonnement systémique qui prend en compte les liens existant entre l’ensemble des fonctions de l’organisme alors que l’approche médicale est symptomatique et trop compartimentée. L’ostéopathie peut expliquer pourquoi une douleur lombaire est survenue au lever du lit à la jambe gauche et non à droite alors que le corps était au repos pendant toute une nuit.
Dès l’anamnèse, un ostéopathe identifie les facteurs en cause dans l’apparition du trouble fonctionnel et explique à son patient de façon simple et intelligible le processus d’installation. Les tests de mobilité, les tensions musculaires, la palpation des organes, le contrôle de la pulsatilité artérielle, valident son diagnostic. Ses gestes accélèrent le processus de remise en santé dont le maintien des effets sur le long terme est fonction du changement de comportement du patient qui devient ainsi actif dans son processus de remise en santé.
L’ostéopathe ne consiste donc pas d’après vous à se limiter à des manipulations articulaires.
Bien sûr que non et heureusement, si tel était le cas, l’ostéopathie ne connaîtrait pas un tel engouement. L’usage de techniques douces au niveau des muscles, des articulations et des organes permet d’obtenir un soulagement rapide dans le cas de douleurs banales ce qui évite la prise d’anti-inflammatoires, réduit la durée des séances de rééducation, facilite les abords chirurgicaux et prévient l’apparition d’algodystrophie après une blessure ou une opération. Il est vraiment regrettable pour la population que les médecins et les ostéopathes ne se comprennent pas bien.
Plus de 60% des ostéopathes ne sont pas des professionnels de santé. Pensez-vous que le manque d’encadrement représente un frein à une alliance ?
J’ai pensé un moment que l’intégration de l’ostéopathie dans le code de la santé publique et la création d’une instance nationale en charge de veiller au respect d’un code de déontologie et de la formation continue obligatoire, au contrôle de l’enseignement et de sa régulation, suffiraient à sécuriser la communauté médicale mais le blocage apparaît être principalement lié à l’absence de preuves scientifiques, attestant de l’efficacité des pratiques ostéopathiques.
Cela expliquerait la prochaine réunion sur les modèles d’évaluation des thérapies complémentaires qui aura prochainement lieu au sénat.
Le sujet est en effet d’actualité mais la difficulté va consister à s’accorder sur la bonne pratique de l’ostéopathie car d’une part, une majorité de médecins considère que l’ostéopathie se limite à des manipulations la plupart du temps reconnues comme dangereuses et, d’autre part, les conclusions de la grande étude réalisée en milieu hospitalier qui ont été reprise par l’IGAS ne sont pas en faveur de l’ostéopathie. Il faut dire qu’elle s’est déroulée dans le service d’un patron qui défend ses propres idées et dispose d’une position stratégique imprenable. Je vous ai déjà donné mon point de vue sur cette étude (Lien ITW : https://www.entreprendre.fr/losteopathie-mise-a-lepreuve/).
Vous pensez que cette étude a été orientée ?
Certainement pas. Je dis juste que le protocole thérapeutique défini pour la réalisation de cette étude sur la lombalgie chronique ne pouvait permettre d’obtenir des résultats représentatifs de l’efficacité de l’ostéopathie. Et si les ostéopathes sélectionnés avaient pratiqué une ostéopathie conforme à l’ensemble de ses principes fondamentaux, les résultats auraient été considérés comme biaisés. Ceci confirme bien que les modèles d’évaluation ne sont pas adaptés aux thérapies complémentaires.
Vous affirmez avoir rencontré des difficultés à obtenir un avis favorable du Comité de Protection des Personnes pour la réalisation d‘une étude dont le protocole a été rédigé par un organisme accrédité composé de médecins et l’Ecole Supérieure de l’Ostéopathie
Nous avons en effet rencontré deux difficultés. D’une part, les membres du comité n’ont pas compris l’étude et n’en voient pas l’intérêt. L’approche symptomatique de la médecine conventionnelle rend difficile la compréhension du mode de pratique de l’ostéopathie qui s’appuie sur un raisonnement global et systémique mais pourtant très rationnel puisque le premier objectif de cette étude est de mesurer les effets des gestes ostéopathiques sur le débit du sang artériel et à établir un lien entre son amélioration et la diminution des tensions musculaires. Il est utile de rappeler qu’un muscle mal vascularisé est obligé d’augmenter sa tonicité pour assurer sa fonction de pompe et devient hypertonique, occasionnant des forces de tension qui déséquilibrent les articulations.
D’autre part, le nombre de sujets a été jugé insuffisant pour que les résultats de l’étude soient significatifs et cela pose un autre problème majeur, le financement des études. Il faut compter environ 1000 euros par sujet or ce n’est pas l’industrie du médicament qui va financer l’étude d’une pratique qui ne rapporte rien bien au contraire. Et je pense que l’Etat a d’autres préoccupations que de financer la recherche en ostéopathie. Elle verse 100 millions d’euros par an pour la recherche aux Centres hospitalo-universitaires qui se battent pour avoir cet argent qui est essentiellement utilisé pour réduire leur déficit alors que l’ostéopathie aurait besoin de financement et de soutien aux études de recherche clinique contradictoires.
Le financement est en effet un frein mais je n’avais jamais entendu que l’ostéopathie agissait sur la circulation du sang.
Un des principes fondamentaux de l’ostéopathie porte sur le rétablissement d’une circulation du sang correcte. Très présents au niveau des muscles, du foie, des poumons, des reins et du système nerveux, les capillaires sanguins dont le diamètre s’apparente à celui d’un cheveu représentent 80% du réseau sanguin. Leur rôle est de nourrir les cellules en nutriments et en di-oxygène afin d’en assurer leur bon fonctionnement, ils sont à la source des troubles fonctionnels qui sont les indications privilégiées d’un ostéopathe.
Il n’existe donc pas de protocoles de soins établis pour chaque trouble ce qui explique que les pratiques de l’ostéopathie peuvent être différentes.
C’est exact. Ces pratiques dépendent de la formation initiale des ostéopathes qui selon les écoles sont très variables. Certaines sont plus axées sur les manipulations squelettiques, d’autres sur les viscères. La diversité des modes de pratique déstabilise le corps médical mais aussi les patients qui ont besoin d’être orientés en fonction de leurs besoins. Or il faut bien reconnaître que la grande majorité de la population qui consulte un médecin généraliste n’est pas malade mais présente des troubles fonctionnels liés au mode de vie. Seulement établir les liens existant entre une colopathie, la consommation de produits laitiers recommandés en cas d’ostéoporose et une lombalgie, nécessite une approche qui est différente de celle de la médecine conventionnelle mais que tous les ostéopathes n’ont pas intégré.
Et pourtant, malgré ce manque de compréhension, le rapport de l’IGAS qui pointe de nombreuses failles dans la formation semble être favorable à l’entrée de l’ostéopathie dans le code de la santé publique tout en précisant que « la reconnaissance en tant que professionnel de santé, n’entraine ni codification ni prise en charge par l’assurance maladie des actes réalisés par ces professionnels ».
Je comprends la réserve mise sur la prise en charge des actes car si l’on ramène le nombre de patients qui ont consulté au prix moyen d’une séance d’ostéopathie, les dépenses de santé s’élèveraient autour de 1,3 milliards. Compte tenu du déficit inédit et durable de la Sécurité sociale, rajouter le coût des consultations d’ostéopathie semble peu probable. Et cela pourrait conduire à une sous valorisation de l’acte comme c’est le cas pour les professionnels de santé, ce qui peut avoir un impact sur la qualité des soins du fait du temps consacré.
En 2010, le Professeur Bernard DEBRÉ a déposé un projet de proposition de loi visant l’entrée de l’ostéopathie dans le Code de la Santé publique. Ce projet n’a pas abouti et a subi une forte opposition de l’association socio-professionnelle « Ostéopathes de France » (ODF) qui craignait justement une subordination à l’assurance maladie et une perte de la possibilité de recevoir en première intention. Aujourd’hui ce sont le Conseil National de l’Ordre des Médecins et celui des kinésithérapeutes qui s’élèvent contre la reconnaissance de l’ostéopathie en tant que profession de santé. Les oppositions seront fortes car l’assemblée nationale comporte de nombreux médecins.
S’agissant du Conseil de l’Ordre des Masseurs Kinésithérapeutes, sa présidente ferait bien de régler une situation qui est interdite dans tous les autres pays européens, la double activité. D’autre part, Il est pour le moins étonnant que, sur sa directive, les kinésithérapeutes ostéopathes inscrits au Conseil de l’Ordre des masseurs kinésithérapeutes (CNOMK) ne peuvent bénéficier de la prise charge de formations continues obligatoires portant sur des techniques viscérales et crâniennes alors qu’elles leur sont enseignées dans les mêmes écoles que les ostéopathes de formation initiale.
Plus récemment, la présidente du CNOMK s’inquiétait d’une possible reconnaissance des ostéopathes de formation initiale comme professionnels de santé jusqu’à demander que seuls les kinésithérapeutes ostéopathes soient autorisés à exercer l’ostéopathie (Article paru dans Egora le 5 septembre 2023 titré « On a créé un monstre »).
Vous pensez que le référentiel de formation qui a été défini pour les écoles d’ostéopathie doit être revu afin de lever les failles relevées dans le rapport de l’IGAS ?
Oui. Si la pratique de l’ostéopathie telle qu’elle est enseignée permet d’obtenir un soulagement rapide dans le cas de lombalgie banale par exemple et d’éviter ainsi l’usage de médicaments parfois mal tolérés qui traitent les effets mais pas la cause, elle n’est pas adaptée aux troubles fonctionnels chroniques.
Il me semble indispensable que le mode de pratique de l’ostéopathie intègre les liens existant entre l’organique et le métabolique ce qui implique nécessairement de s’intéresser au mode de vie en général et à l’alimentation en particulier. L’ostéopathie pourra ainsi apporter une offre de service santé profitable aux patients en errance médicale mais aussi au système de santé en général avec un impact économique significatif, notamment en diminuant les arrêts de travail et les maladies professionnelles,
Je pense donc que le référentiel formation est effectivement à revoir mais cela ne servirait que les nouveaux ostéopathes et pas les 24 000 qui sont actuellement en exercice. L’idée d’un diplôme universitaire d’approfondissement à la pratique de l’ostéopathie appliquée aux pathologies chroniques est une piste à creuser tout comme l’universitarisation de la formation.
L’ostéopathie aurait ainsi d’après vous une double action, à la fois préventive et thérapeutique.
Je pratique l’ostéopathie depuis près de 40 ans au bénéfice de nombreuses personnes qui me consultent en dernier recours. Je ne peux admettre qu’elle soit réduite à une simple pratique de bien-être, même si elle y contribue largement. L’ostéopathie agit en amont de la maladie et au stade précoce de son évolution lors de l’apparition de troubles fonctionnels. Je n ‘irai pas jusqu’à m’avancer sur ses effets sur les troubles métaboliques au risque de heurter la communauté médicale, mais elle y contribue.
Les ostéopathes pourraient-ils servir de « filtre de santé » et participer ainsi à lutter contre la désertification médicale ?
Sous réserve de pratiquer l’ostéopathie de façon conforme, c’est-à-dire en appliquant ses principes fondamentaux dans leur ensemble, les ostéopathes disposent de toutes les compétences pour répondre à ce besoin. Le diagnostic d’exclusion fait partie intégrante de leur formation. Les ostéopathes sont ainsi parfaitement habilités à orienter vers un médecin en cas de nécessité.
Mais comment font les patients qui sont les premiers concernés ? L’ostéopathie est très peu prise en charge par les Mutuelles, seuls les riches ou les salariés qui bénéficient via leur entreprise d’une bonne assurance collective peuvent consulter un ostéopathe.
Vous avez raison, les mutuelles ont commencé à rembourser quelques séances d’ostéopathie pour répondre à la demande de la population. C’est tout bonus, elles profitent en toute conscience d’une diminution des dépenses de santé et de prévoyance sans que cela leur coûte beaucoup. Il est temps que la profession leur apporte des statistiques pour négocier la prise en charge des actes.
Et si les entreprises intéressées par la réduction de l’absentéisme émettaient un chèque « ostéo » pour leurs salariés ?
Vous ne croyez pas si bien dire. Une première réflexion a été engagée avec une société de services aux entreprises pour la création d’un titre prépayé à l’instar des titres restauration qui bénéficient d’une défiscalisation. De plus, afin d’éviter de changer les lignes des complémentaires santé, l’attribution à l’ostéopathie du forfait thermalisme inclus dans la plupart des garanties permettrait de rendre l’ostéopathie plus accessible à une population active en besoin, alors qu’il bénéficie à une faible partie de la population généralement retraitée.
La mission de la Caisse nationale d’assurance maladie porte sur la nécessité absolue de mettre l’accent sur la prévention et d’organiser les soins afin de mieux accompagner les populations aux besoins les plus importants. A cet effet, la prise en charge de trois consultations de prévention à 25, 45 et 65 ans prises en charge par la CNAM ont été voulues par le gouvernement.
Je ne sais pas en quoi vont consister ces consultations mais cette décision marque une prise de conscience en faveur du développement de la prévention santé en complément des campagnes de vaccination ou de dépistage. Il reste toutefois à définir le type de prévention car prévenir c’est éviter l’apparition des troubles fonctionnels qui font le lit des maladies coûteuses et invalidantes or cela ne peut être mis en place qu’avec des professionnels qualifiés pour traiter ces troubles.
La CNAM a également indiqué vouloir limiter les fraudes.
C’est une bonne chose car la fraude peut parfois créer une concurrence déloyale vis-à-vis des ostéopathes exclusifs. L’acte d’ostéopathie ne dispose pas de nomenclature pour les professionnels de santé mais fait parfois l’objet d’une prise en charge illégale difficile à contrôler car de nombreux kinésithérapeutes en exercice sont également ostéopathes. Lors d’un entretien le 28 juin 2019 à la CNAM en présence d’un ancien conseiller technique ministériel, le service des fraudes nous a fait part de l’attention portée à cette surveillance mais qu’il existait des difficultés pour assurer un plein contrôle. Plusieurs moyens de contrôle ont été exposés notamment via les inscriptions des agendas en ligne type DOCTOLIB, le croisement des remboursements avec ceux des Mutuelles, la proportion du volume de dépassement exceptionnel d’honoraires sans que l’on sache si ces moyens ont réellement été mis en oeuvre.
L’agence A-MCA a annoncé en juillet dernier la création une plateforme visant à orienter la population vers un réseau de professionnels de bien-être et de soins sélectionnés parmi lesquels figurent des ostéopathes « garantissant aux usagers, que les praticiens qui lui sont associés, sont recommandables ». Or vous nous avez également annoncé lors d’une précédente interview le développement d’une plateforme plus qualitative que DOCTOLIB afin de mettre en relation les personnes porteuses de troubles fonctionnels chroniques avec des ostéopathes spécialisés.
Tout d’abord, je n’ai pas bien compris le mode de sélection des ostéopathes. Parmi les critères définis dans le référentiel, une formation initiale minimum de 100 heures est exigée alors que la formation à l’ostéopathie nécessite 4850 heures sur cinq ans. Une supervision est également assurée par un médecin et une psychologue qui n’est pas une professionnelle de santé. Je m’interroge sur la façon dont ils vont pouvoir apprécier la bonne application de l’ostéopathie mais je me tiens à la disposition du nouveau président, médecin généraliste spécialisé en hypnose, afin d’éviter toute dérive dans l’appréciation de l’ostéopathie.`
Concernant la plateforme MON OSTÉO, comme je l’ai précisé lors de notre dernière rencontre, elle est uniquement dédiée à des ostéopathes qui auront suivi une formation complémentaire pour répondre au décalage existant entre les besoins d’une partie de la population et le service de santé rendu. Les patients qui prennent rendez-vous font l’objet d’une auto-évaluation systématique qui permet de suivre l’évolution de leur état de santé mais aussi de veiller au maintien du niveau de compétences des ostéopathes référencés et de le faire évoluer. MON OSTÉO a mis en place un véritable contrôle qualité comme en entreprise. Ces informations sont bien entendu cryptées et anonymisées.
Quel type d’organisation pourrait alors être mise en place puisque la reconnaissance l’ostéopathie comme profession de santé soulève de fortes oppositions d’une partie de la communauté médicale et du Conseil de l’ordre des masseurs kinésithérapeutes ?
La Grande Bretagne a créé le « General Osteopathic Council » (Conseil général d’ostéopathie) et je pense qu’avant d’intégrer le Code de la Santé Publique et être ainsi admis comme des professionnels de santé à part entière, les ostéopathes exclusifs pourraient disposer d’une structure représentative similaire, par exemple un Conseil supérieur de l’ostéopathie. Cette première étape laisserait à la profession le temps nécessaire à apporter la preuve scientifique de leur efficacité et à démontrer l’économie qu’ils peuvent faire réaliser au système de protection sanitaire et social en évitant les réactions des opposants.
Un rapport sur une proposition d’instance ostéopathique et son mode de fonctionnement, commandé en 2020 par une association socio-professionnelle à un cabinet d’avocats spécialisés en droit de la santé, est à la disposition du ministre de la santé et de la prévoyance. Son organisation a été pensée de façon à éviter tout excès de pouvoir. Un travail de réflexion est déjà bien avancé.
Les ostéopathes exclusifs disposeraient ainsi d’une Instance nationale officielle représentative qui serait en charge de réguler la profession, de faire appliquer un code de déontologie, de contrôler la formation continue obligatoire voire de disposer d’un pouvoir de rendre justice au nom de l’État pour décharger les tribunaux car l’absence de code de déontologie applicable a conduit à des situations source de litiges que tous les codes de déontologie des professionnels de santé condamnent. Je parle notamment des conditions d’installation et de la publicité détournée.
La situation en France est unique, en absence de régulation des formations, la pléthore d’ostéopathes pousse certains à s’installer à proximité de leurs confrères prétextant que la règle de la libre concurrence s’applique contrairement aux dispositions des codes de déontologie de toutes les autres professions de santé.
Et pour essayer de résister à cet envahissement, on observe une forte adhésion aux agendas en ligne à forte audience. L’argumentaire de vente utilisé par DOCTOLIB pour les ostéopathes porte essentiellement sur l’apport d’une nouvelle source de patients.
Le rapport de l’IGAS relève en effet la nombre important d’écoles et la pléthore d’ostéopathes, certains sont même amenés à trouver une activité complémentaire pour rembourser leur prêt étudiant du fait des difficultés rencontrées à se constituer une patientèle.
C’est exact, les études d’ostéopathie durent cinq années avec des frais de scolarité de l’ordre de neuf mille euros par année. Je déplore l’attitude du président du Syndicat Français des Ostéopathes (SFDO), syndicat dit représentatif membre de la commission d’agrément des écoles, qui est incompréhensible. Il s’est prononcé contre une régulation démographique alors que la densité des ostéopathes en France est huit fois supérieure à la moyenne de celle des pays francophones limitrophes.
Mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est que cette personne est en passe de devenir le président de « Osteopathic International Alliance » qui regroupe les structures professionnelles et académiques ostéopathiques de la plupart des états du Monde où l’ostéopathie est représentée.
Il devient en effet urgent d’encadrer la profession d’ostéopathe et ses conditions d’exercice.
Oui et si la formation peut être du fait d’écoles privées, l’agrément des écoles ne peut se faire qu’au travers d’une validation universitaire rattachée aux facultés de médecines et un diplôme national incontestable pour tous doit également rentrer dans ce cadre et non pas un titre dont l’attribution est confiée au libre arbitre des écoles. Je ne peux que regretter que le gouvernement ait laissé s’installer une telle situation mais le sujet semble être d’actualité.
En tous cas, je souhaite que la France, dont le lobby médical est puissant, ne suive pas le chemin des Etats Unis où l’ostéopathie a été vidée de sa substance. Je me suis rendu aux Etats-Unis en 2015 pour recueillir le témoignage d’un médecin ostéopathe. Sans être un théoricien de la conspiration, ses propos mettaient en cause la Food and Drug Administration (Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux) qui employait des médecins afin de nettoyer la maison de pratiques telles que la manipulation ou l’acupuncture ». Les ostéopathes ont finalement été « acceptés » par la communauté allopathique au détriment des principes et pratiques ostéopathiques.
A-MCA référentiel des praticiens du bien-être : https://uploads-ssl.webflow.com/621909f26b203591d1065312/63edef3c060287a21edb79f3_2022%2002%2016%20VF%20Référentiel%20Praticien%20(1).pdf
Rapport de l’IGAS : https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2021-095r_rapport.pdf
Article Egora : (Egora du 5 septembre 2023 – https://www.egora.fr/actus-pro/paramedicaux/82107-on-a-cree-un-monstre-le-combat-de-la-presidente-de-l-ordre-des-kines?nopaging=1)