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Louis Le Duff, les secrets de l’empereur de la boulangerie

Il a créé un empire en une génération. Avec ses marques phares, Bridor et Brioche Dorée, le self-made-man breton est l’incarnation de la boulangerie-pâtisserie « à la française » à travers le monde. Fondateur d’un groupe leader mondial des cafés-boulangeries, Louis Le Duff gère, à 77 ans, un géant aux trois milliards d’euros de chiffre d’affaires.

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Le soleil ne se couche jamais sur l’empire Le Duff. Leader mondial des produits de boulangerie (Brioche Dorée, Bridor, Del Arte…), le groupe breton aux 19 000 salariés et 1 500 restaurants vend chaque jour des pains et des viennoiseries à un million de clients à travers le monde, aussi bien à Paris qu’à Pékin (Chine), Riyadh (Arabie saoudite), Las Vegas (États-Unis) ou encore Casablanca (Maroc).

Âgé de 77 ans, le conquistador breton a démarré avec une simple crêperie à Brest, en 1976. Pourtant, on sait bien peu de choses sur l’industriel breton, dont la fortune est évaluée à 2,8 milliards d’euros, selon Challenges. Il a développé son groupe familial loin des journalistes et des plateaux télé. Une discrétion et une approche anti « bling-bling » que ce grand sportif devant l’Éternel (il pratique encore ses 100 km à vélo chaque dimanche) cultive.

Même son passage à la Maison Blanche en novembre dernier n’a pas suscité d’émoi, à l’exception d’un entrefilet dans Le Télégramme de Brest et dans Ouest France. Reçu lors d’un déjeuner organisé en l’honneur des chefs cuisiniers personnels des chefs d’État et de gouvernement, le self-made-man de l’Ouest a rencontré la première dame américaine, Jill Biden, en personne.

Convié en tant que « personnalité qualifiée » et « sponsor » de l’événement, le milliardaire breton a fait la promotion de la gastronomie française auprès d’un parterre d’invités triés sur le volet. Mais pas seulement : Louis Le Duff a sans doute profité de l’événement pour faire avancer un dossier crucial pour Bridor, filiale du groupe Le Duff spécialisée dans la fabrication de pains et de viennoiseries. Quelques mois plus tard, le 17 mai 2024, Bridor officialisait, en effet, la construction d’une nouvelle usine près de Salt Lake City, dans l’Utah. Cet investissement de 200 millions d’euros est venu confirmer les ambitions de Bridor dans le secteur de la boulangerie industrielle en Amérique du Nord, où l’entreprise possède déjà deux usines, dans le Connecticut et le New Jersey.

Abandon de l’usine de Liffré

Opérationnel en 2026, ce nouveau site de production débouchera sur la création de 300 emplois sur le sol américain. Ironie de l’histoire, l’annonce de cet investissement outre-Atlantique intervient un an après l’abandon du projet de site industriel à Liffré (Ille-et-Vilaine). Le Duff prévoyait d’investir 250 millions d’euros dans une usine de viennoiseries surgelées. Une usine qui ne verra jamais le jour en raison de contestations d’associations environnementales poussées par des écologistes obtus et politisés.

Après six ans de procédures administratives et de recours, l’entrepreneur, furieux, a préféré passer son chemin : « Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre dix ans pour que le projet aboutisse. Nos concurrents étrangers mettent un ou deux ans pour obtenir les mêmes autorisations ». Les produits surgelés du groupe seront donc fabriqués à l’étranger : au Portugal, chez Panidor, le n°1 des produits de boulangerie et de pâtisserie surgelés au Portugal, racheté par Le Duff en 2022, et aux États-Unis. Pas rancunier, Louis Le Duff a tout de même annoncé fin 2023 un investissement de 50 millions d’euros dans l’extension de son site de Falaise, dans le Calvados.

Pas de révolution chez Liffré

Ce fonceur ne lâche jamais, et il soigne les détails. Lorsqu’il déjeune ou dîne dans un de ses Del Arte, il questionne, il goûte à tout, et interroge autant qu’il peut. Une méthode qui fonctionne. Et pourtant, le magnat breton n’a rien révolutionné. Lorsqu’il se lance à la fin des années 70, la restauration rapide a déjà le vent en poupe. Tout comme le modèle de la franchise (Courte-Paille, Hippopotamus, Flunch, McDonald’s…).

Autre singularité de son parcours : Le Duff n’a jamais cédé aux sirènes des levées de fonds, qui auraient immanquablement dilué le capital de son entreprise – il possède encore aujourd’hui la quasi totalité des parts à côté d’une participation minoritaire des cadres. Une indépendance financière qu’il a toujours ardemment défendue, qui lui a permis d’avoir les mains libres durant plus de cinq décennies pour investir et développer son groupe à sa guise.

Dès 15 ans, Louis le Duff arpente les marcéhs

Louis Le Duff n’est pas un héritier. L’industriel breton, qui a grandi à côté de la ferme familiale, est parti de zéro. Issus d’une famille paysanne, ses parents, Vincent Le Duff et Soizig Kersauson, étaient maraîchers et négociants dans le nord du Finistère, à quelques encablures du bastion de la famille d’un certain Michel-Édouard Leclerc. Peu enclin à travailler dans les champs, Louis Le Duff préfère le commerce. A 15 ans, il découvre le métier de négociant au sein de l’entreprise familiale.

Il fait ses premières armes dans les allées du marché des primeurs à Plouescat, à une trentaine de kilomètres de Morlaix (Finistère). « Je suis né dans une famille de petits entrepreneurs : épiciers, agriculteurs, maraîchers, notaires, expliquait-il en 2008 au site L’Observatoire de la franchise. Le goût du travail et le sens de l’entreprise faisaient partie intégrante de l’éducation. J’ai dû en hériter ».

Il se lance avec 1500 euros en poche

Alors que tout le prédestinait à prendre la relève de ses parents et à devenir lui aussi maraîcher, Louis Le Duff se réfugie dans les études. Élève au Lycée de la Croix-Rouge, à Brest, il poursuit sa scolarité à l’école supérieure de commerce d’Angers, puis au Canada, où il obtient un MBA à l’université de Sherbrooke. En parallèle de ses études, il travaille dans un restaurant sur la 3ème Avenue à New York et ouvre même une crêperie près du mont Orford, au Québec. Un établissement qu’il revendra peu de temps après pour… financer une série de voyages à travers les États-Unis durant les quatre années suivantes. De retour en France, il se tourne vers l’enseignement. Au milieu des années 70, il est embauché comme professeur à l’école supérieure de commerce de Rouen et à l’université de Rennes.

Cela ne durera qu’un temps. Le jeune maître de conférence a des envies d’ailleurs. Des envies d’entrepreneuriat. Deux ans après ses premiers cours magistraux, Louis Le Duff bifurque. Il rassemble un peu plus de 2000 francs (soit 1 500 euros d’aujourd’hui) grâce à la vente de sa voiture et saute le pas : il abandonne sa carrière de professeur et lance Brioche Dorée. Basée sur le principe naissant de la restauration rapide, qu’il a découvert lors de ses études en Amérique du Nord, sa première boulangerie voit le jour en 1976 à Brest. La première pierre de l’empire Le Duff était posée.

1988 : le tournant

Durant les décennies suivantes, l’entrepreneur finistérien va écrire l’une des plus belles pages de l’histoire industrielle française en multipliant les opérations de croissance externe : Fournil de Pierre (1989), Pizza Del Arte (1995), propriété du Groupe Accor, l’enseigne texane de café-boulangerie La Madeleine (2002), le plus important rachat de Le Duff aux États-Unis, Mimi’s Café (2013), l’allemand Kamps (2015), le spécialiste normand du surgelé Frial (2021) et le néerlandais Pandriks (2024). Mais le tournant de l’histoire du groupe Le Duff est sans nul doute le lancement de Bridor en 1988. Cet atelier de fabrication est pensé comme le fournisseur des établissements Brioche Dorée.

L’objectif ? Uniformiser le processus de fabrication et harmoniser la qualité des produits au sein des restaurants. Avec neuf sites de production répartis à travers le monde (États-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Chine…), Bridor est le navire amiral du groupe Le Duff avec 1,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 100 000 clients, parmi lesquels figurent des restaurants et des hôtels 4 et 5 étoiles. Depuis sa création, Bridor a permis à Le Duff d’être autonome sur la production et de tenir aux autres géants du secteur comme Paul (Groupe Holder) ou l’ancien Groupe Soufflet.

Les Etats-Unis, son deuxième pays

En 2004, soit plus de deux décennies après l’ouverture du premier établissement à Brest, le groupe atteint la barre symbolique des 500 restaurants à travers le monde. C’est tout sauf un hasard : Le Duff a misé très tôt sur l’international. Avec un fort penchant pour l’Amérique du Nord. Alors que certains de ses concurrents hésitaient à s’implanter outre-Atlantique, Le Duff, lui, y bâtissait des usines – il en possède actuellement trois aux États-Unis et prévoit d’en ouvrir une quatrième – et rachetait des chaînes de restaurants à coups de millions, et ce depuis les années 80.

En 2013, il implantait Brioche Dorée en Corée du Sud, puis ce fut le tour du Japon un an plus tard. En près de 50 ans, Louis Le Duff a méticuleusement étendu son empire sur les cinq continents. Comment expliquer une telle longévité ? Son sens inné du développement d’un portefeuille de marques ? Le choix payant de l’international ? L’essor fulgurant de la restauration rapide ? L’indépendance vis-à-vis des marchés financiers et des fonds ?

Tout compte fait, le secret de Louis Le Duff est peut-être ailleurs : malgré le succès et les milliards, il a su conserver l’état d’esprit et l’hardiesse du jeune commercial de 15 ans qui, habité par des rêves d’entrepreneuriat et d’indépendance, allait se frotter aux négociants aguerris des marchés du Finistère nord. Visiblement, cela forme un homme. n

Victor Cazale


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