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Ludovic Huraux : « L’adrénaline, c’est ce que j’aime dans l’entrepreneuriat »


Après Attractive World, qu'il a revendu, l'entrepreneur a lancé Shapr à New York. A mi-chemin entre Tinder et LinkedIn, l'application de rencontres professionnelles a déjà séduit Franck Riboud, les familles Bouygues et Afflelou ou encore Frédéric Mazzella (Blablacar). Rencontre avec Ludovic Huraux, l'entrepreneur à qui tout réussi. Ou presque.

Entreprendre - Ludovic Huraux : « L’adrénaline, c’est ce que j’aime dans l’entrepreneuriat »

Après Attractive World, qu’il a revendu, l’entrepreneur a lancé Shapr à New York. A mi-chemin entre Tinder et LinkedIn, l’application de rencontres professionnelles a déjà séduit Franck Riboud, les familles Bouygues et Afflelou ou encore Frédéric Mazzella (Blablacar). Rencontre avec Ludovic Huraux, l’entrepreneur à qui tout réussi. Ou presque.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir entrepreneur ?

A ma sortie de l’école, je me suis passionné pour la finance d’entreprise. N’ayant pas fait une grande école (l’IPAG Business School, NDLR), il était quasiment impossible de rentrer dans un fonds de private equity. J’ai donc pris des voies détournées : j’ai fait un stage dans la Banque Sanpaolo (devenue Banque Palatine, NDLR) qui finançait des fonds de LBO (acquisition d’entreprises par emprunt, NDLR).

En fin de stage, on m’a proposé un CDI que j’ai refusé pour refaire un stage du côté des investisseurs durant un an. En 2005, j’ai trouvé un job dans un autre fonds, Industrie et Finance (IFP), où j’ai eu la chance d’avoir des associés-gérants qui m’ont donné ma chance. Sauf que j’avais envie de monter ma boîte, mais pas le courage de tout quitter. On était en 2007. Ce n’est pas naturel de quitter un fonds de private equity…

Quel est le déclic ? Pourquoi lancez-vous Attractive World ?

Fin 2005, Meetic, l’une des seules plateformes BtoC dans la tech ayant prouvé qu’elle était capable de faire du bénéfice, entre en bourse. J’anticipe alors une prochaine segmentation du marché des sites de rencontres car les gens avaient des attentes différentes. C’est là, en 2007, que j’ai eu l’idée d’Attractive World.

J’en ai parlé à mes deux meilleurs amis. L’un deux m’a convaincu de franchir le pas. Les conditions étaient idéales : j’avais 24 ans, je rêvais de monter ma boîte, et il aurait été plus difficile de sortir du private equity après en raison des salaires intéressants et de l’intéressement à la performance. Voilà comment a commencé l’aventure.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

La principale fut de ne pas avoir d’associé et de cofondateur technique. J’ai fait énormément d’erreurs dans les deux premières années, notamment dans la construction de la plateforme. J’ai confié la mise en place du site à des étudiants, je me suis associé à une entreprise en Tunisie qui me l’a fait refaire, et ça ne s’est pas bien passé…

Je n’arrivais pas à avoir un site stable. On a failli déposé le bilan… La deuxième difficulté, c’est d’être arrivé en pleine crise financière. C’était plus compliqué de lever des fonds, il fallait se battre pour lever chaque euro.

Avez-vous songé à tout arrêter ?

Oui et non… Même si moralement, il y a eu des moments extrêmement difficiles, j’ai toujours pensé que j’avais une bonne étoile. Même fin 2008, alors qu’on était au bord du gouffre, qu’il n’y avait plus beaucoup de cash et qu’on n’arrivait pas à lever de l’argent, j’y ai toujours cru. Je n’ai jamais envisagé l’échec, je me suis toujours dit que ça allait passer. Notre positionnement était adéquat, les utilisateurs manifestaient beaucoup d’enthousiasme.

Vous levez 550 000 euros en mai 2008, 600 000 euros en janvier 2009 et 400 000 euros six mois plus tard. Enfin, en septembre 2009, vous passez au modèle payant.

Nous avons fait deux choix forts : le prix, deux fois plus élevé que celui de Meetic (60€/mois pour Attractive World, NDLR), et une version payante pour les femmes aussi, contrairement à Meetic qui ne les faisait pas payer. Elles ont représenté jusqu’à 60 % de notre chiffre d’affaires.

Pourquoi avoir vendu l’entreprise à un concurrent, l’Allemand Affinitas, après s’être battu toutes ces années pour la faire grandir ?

L’année 2013 a été un tournant. C’était notre première année de rentabilité. J’ai donc décidé d’explorer l’opportunité d’aller aux Etats-Unis. Je me suis rendu compte que le marché américain était saturé.

Le marché s’était déjà segmenté avec beaucoup d’acteurs en place. A l’époque, on a vite compris vite qu’il serait difficile de répliquer le modèle à l’étranger. Je n’avais pas envie de gérer le quotidien de la boîte, d’optimiser les marges, etc. Ce n’est pas mon tempérament. J’ai besoin de nouveaux challenges, de projets de croissance assez forts, de sortir de ma zone de confort… J’ai pris la décision début 2014 de sortir de l’opérationnel, recruter une nouvelle dirigeante et lancer Shapr directement à New York.

Après avoir distribué des dividendes aux actionnaires entre 2014 et 2016, on a reçu une proposition d’un groupe allemand (Affinitas, NDLR) dans des conditions très correctes. C’était le bon timing.

 

Vous aviez fait le tour de la question ?

Je n’avais plus l’impression d’apprendre. Je n’avais plus assez d’adrénaline. Or, l’adrénaline, c’est ce que j’aime dans l’entrepreneuriat. Un entrepreneur passera toujours par des moments difficiles, mais il doit être très résilient et doit savoir rebondir très vite.

La première version de Shapr est lancée début 2015, mais c’est un échec. Comment avez-vous vécu ce moment ?

C’est stressant de gérer deux boîtes en parallèle, surtout dans la tech. Lancer Shapr aux Etats-Unis était un projet ambitieux, et le démarrage fut très difficile.

Moralement, j’ai vécu une année 2015 dure, marquée par une énorme période de remise en question. Je suis parti à New York. Avec des implications personnelles fortes puisque j’avais demandé à ma copine de quitter son job pour me suivre. La première version de Shapr fut en effet un énorme échec.

J’ai eu une grosse perte de confiance en moi. Notre incapacité à internationaliser Attractive World fut le premier échec de ma vie entrepreneuriale. Avec Shapr, j’avais l’impression d’en vivre un deuxième. Je me suis dit que je n’étais peut-être plus fait pour l’entrepreneuriat, que j’avais eu de la chance avec Attractive World…

Vous êtes à New York à ce moment-là ?

Oui, c’était en avril 2015. J’étais au fond du trou, complètement déprimé. J’avais beaucoup de mal à imaginer mon futur. C’est à ce moment-là que j’ai compris que le niveau de bonheur ne dépendait pas du niveau de revenus : je gagnais très bien ma vie – j’étais l’actionnaire principal d’une société, Attractive World, qui distribuait des dividendes –, mais cela ne m’empêchait pas d’être très malheureux et d’avoir perdu confiance en moi.

Mais a contrario, cela a sans doute aussi été l’une des périodes les plus structurantes de ma vie. Parfois, on n’arrive plus à prendre le recul sur la chance qu’on a : j’avais quand même une vie extraordinaire, je vivais entre Paris et New York, j’avais trouvé des investisseurs, je gagnais bien ma vie…

Quand on voit la difficulté qu’ont les gens pour joindre les deux bouts ou pour trouver un job… J’avais perdu toute lucidité. Dans la difficulté, vous lâchez prise, vous devenez plus fataliste, vous lâchez du lest sur l’ego. Finalement, grâce au soutien extraordinaire de mes actionnaires et de mes associés, nous avons pu rebondir et lancer une nouvelle version de Shapr.

 

Pourquoi avez choisi New York au lieu de la Silicon Valley pour lancer Shapr ?

Toute l’équipe tech, produits et data de Shapr est à Paris, tandis que l’équipe marketing est aux Etats-Unis. Cela nécessite de faire des aller-retours en permanence, de travailler à distance. Or, 6h de décalage horaire pour New York contre 9h pour la Californie, ça change tout. Ensuite, dans notre métier qui est de permettre aux gens de se rencontrer, New York est plus adapté – il y a beaucoup d’arrivées et de départs. Enfin, je préfère largement New York à San Francisco, le style de vie me correspond beaucoup plus.

 

Comment s’organise votre quotidien ?

Je fais quatre semaines à Paris, deux semaines à New York. Là-bas, je me concentre sur le marketing, les partenariats, le marché américain… En France, je réfléchis davantage au produit, au design, aux algorithmes…

En quoi Shapr est-il complémentaire de LinkedIn ?

Notre état d’esprit est différent. Sur Shapr, on rencontre des gens qu’on aurait pas eu l’idée de rechercher sur LinkedIn. Shapr facilite la rencontre dans la vie professionnelle via un algorithme de matching. Sur LinkedIn, vous ne rencontrez pas les gens dans la vraie vie, vous vous connectez avec des gens que vous connaissez déjà, vous diffusez du contenu, vous mettez à jour votre CV, etc. L’ADN de Shapr, c’est de faciliter le passage du virtuel au réel en faisant matcher les individus en fonction de leurs centres d’intérêts professionnels, leurs expériences, leur localisation et leurs passions.

A titre personnel, vous avez fait des rencontres incroyables sur Shapr…

Le chief of staff (chef de cabinet de la Maison-Blanche, NDLR) d’Obama à New York, l’ancien producteur de Beyoncé et de Drake, le rappeur français Ménélik, qui est l’un de nos plus gros utilisateurs à Paris…

J’ai également rencontré des tas d’anonymes, dont certains sont devenus des amis. A Londres, j’ai rencontré un neuro-scientifique originaire d’Iran qui m’a donné un cours sur le fonctionnement de mon cerveau ! Voilà le type de rencontre que l’on ne peut faire que sur Shapr.

600 000 utilisateurs de Shapr, soit 60 % du total, se situent aux Etats-Unis et au Canada. Comment expliquez que l’application fonctionne mieux aux Etats-Unis qu’en France ?

Les Américains sont très attachés à la sérendipité, ils sont ouverts à la rencontre, ils aiment networker… Ils ont aussi cette croyance ancrée en eux : le fait qu’ils pourraient rencontrer le fondateur du prochain Facebook dans le métro.

Vous ambitionnez de faire de Shapr le leader mondial du networking ?

On espère même aller un peu plus loin que ça… On pense que tout le monde devrait prendre une petite heure par semaine pour rencontrer d’autres personnes, s’ouvrir l’esprit et provoquer des opportunités. Shapr a les cartes en main pour devenir leader mondial dans ce domaine. Mais nous avons encore des challenges à relever, notamment en matière de monétisation.

Arrivez-vous à imaginer Shapr dans 10 ans ?

J’aimerais que Shapr soit une plateforme ayant des valeurs fortes autour de l’humain, de la bienveillance, de l’ouverture d’esprit, de la curiosité… La plateforme doit être la plus naturelle possible pour permettre à cette génération de trouver des personnes pour construire les projets de demain et s’épanouir. Trop de gens encore aujourd’hui travaillent uniquement pour des raisons alimentaires. Shapr doit aider les gens à trouver du sens dans leur vie professionnelle.

Comment avez-vous rencontré Frédéric Mazzella qui a participé à la dernière levée de fonds de Shapr ?

On se connaît depuis 6-7 ans. Notre première rencontre remonte au Salon de l’entrepreneur en 2010, où nous étions tous les deux speakers.  J’ai eu la chance de faire de belles rencontres dans ma vie, j’ai été assez chanceux…

D’autant qu’elles ont eu un impact très fort dans ma carrière et mon business. En créant une relation plus authentique car dépourvue d’intérêts à la base, on crée des relations plus fortes qui ont un impact. Entre Attractive World et Shapr, on a levé près de 20 M€ exclusivement auprès d’investisseurs privés ou de family office, sans soutien de fonds de capital-risque. La plupart des investisseurs qui m’ont suivi, je les ai rencontrés avant qu’ils financent mes entreprises.

 

Shapr a levé près de 15 M€ depuis 2015. A terme, ces levées de fonds successives ne risquent-elles pas à de vous faire perdre le contrôle de l’entreprise ?

Ce n’est pas un problème. Des projets comme Shapr impliquent de se concentrer sur la taille du gâteau plutôt que sur la proportion du gâteau. Si Shapr devient une entreprise à très fort impact, elle sera très valorisée. Nous nous situons sur un marché colossal : même si on est n’est pas concurrent direct de LinkedIn, ils faisaient quand même plus de 3,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2016.

Notre ambition, c’est d’atteindre une taille critique et une crédibilité pour devenir un acteur significatif. Si votre entreprise génère un impact fort, la valorisation suivra et le pourcentage de capital restant sera largement suffisant pour vous rendre riche. Mais il est vrai que la question du contrôle reste cruciale, et les exemples de start-up dont les fondateurs ont perdu le contrôle sont nombreux.

Le fait d’avoir beaucoup d’investisseurs privés, et donc un capital éclaté, nous met à l’abri. Lors des levées de fonds, j’ai également négocié des droits de vote comptant triple. Je conserve donc encore un niveau de contrôle significatif.

Quel est votre rapport à l’argent ?

Gagner de l’argent est une conséquence et pas un but : j’ai pu constater par moi-même qu’on peut être riche et malheureux. Le retour financier est la conséquence d’un projet qui fonctionne et rend service à des millions de gens.

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