L’Europe a été secouée ces dernières années par des scandales révélant des pratiques de blanchiment d’argent à grande échelle. Depuis 2016, les institutions européennes affichent de nouvelles exigences de transparence, et publient une liste noire de pays à haut risque. Mais les critères de sélection de cette liste ainsi que l’absence de droit de réponse des pays listés posent des problèmes de légalité et d’équité et laissent planer le doute quant à une éventuelle ingérence des Etats-Unis.
Il arrive à L’Union européenne, héritière de la philosophie des Lumières, de prendre parfois quelques libertés avec les valeurs qu’elle défend. C’est le cas par exemple de l’indispensable lutte contre le blanchiment d’argent.
Dans le cadre de l’entrée en vigueur de la 5e directive européenne anti-blanchiment en 2018, la proposition d’une nouvelle liste noire de pays à haut risque en matière de blanchiment d’argent constituée par l’Union interroge, tant sur son contenu et sa méthodologie que sur les modalités de sa publication.
Pas de droit de la défense
Dans cette liste de juridictions dont les dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme semblent insuffisants, plusieurs éléments posent problème : en premier lieu, elle a été publiée le même jour que sa méthodologie – ce qui n’a donné aucune chance aux pays visés de se défendre, un droit pourtant fondamental de l’Union européenne, selon le principe du audi alteram partem qui consiste à donner la parole à l’autre partie.
Par ailleurs la méthodologie même de la classification semble discutable. Elle est supposée prendre en compte les critères de la 5e directive européenne, ainsi que les travaux du très respecté Groupe d’action financière GAFI, un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, mais en les dépassant et en allant plus loin. Or la liste élaborée par la Commission européenne transpose celle déjà dressée par le GAFI sans en garder le caractère nuancé (liste grise et liste noire), qui permettait de distinguer les « bonsélèves » du classement – ceux qui se sont engagés dans un plan d’action élaboré avec le GAFI afin de remédier à leurs défaillances – des « mauvais » – les pays sans feuille de route.
Une méthodologie dysfonctionnelle qui pose la question de l’ingérence politique
On pourrait également s’étonner de l’extrême technicité (59 pages) et du caractère confidentiel de la méthodologie : l’Arabie saoudite, par exemple, remplirait les critères « sur la base d’un document détaillé et confidentiel », mais, pour d’obscures raisons sans doute liées à sa proximité avec les Etats-Unis, n’a jamais été incluse dans la liste. On pourrait, d’ailleurs, s’inquiéter devant l’exclusion de la liste de certains pays à la réputation sulfureuse, qui sont des alliés des Etats-Unis (Samoa américaines, Guam, Porto Rico, îles Vierges américaines etc.). Ou de la disparition de « juridictions à hauts risques », comme la Corée du Nord ou l’Iran – qui figuraient pourtant sur la liste noire du GAFI. Derrière d’apparents critères objectifs et impartiaux se cacheraient-ils, en sous-main, des arbitrages plus politiques ?
Une méthodologie brouillonne
La Commission se targue d’avoir procédé à une clarification et à un perfectionnement de sa méthode, et notamment du processus d’identification des pays listés, par un renforcement des interactions entre procédures d’inscription de l’UE et du GAFI, une amélioration du dialogue avec les pays tiers, et une meilleure consultation des experts des Etats membres… Elle semble dans le même temps très consciente de ses défaillances persistantes et déclare vouloir s’employer à améliorer encore sa méthode à l’aune de l’expérience acquise. La contradiction est patente.
Tout indique que la Commission s’est assurée du soutien des Etats membres. Les valeurs de transparence et d’équité n’ont plus qu’un espoir de prévaloir, le Parlement européen, et notamment sa Commission LIBE en charge des droits fondamentaux.