Avec « La fin d’un monde », édité chez Hugo et Cie, l’économiste Marc Touati signe un nouvel essai dans lequel il analyse, sans détour, la situation économique internationale. Tour d’horizon général en 220 pages, cet ouvrage dense est, contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, optimiste. A l’image de son auteur, qui nous reçoit chaleureusement dans son bureau parisien.
Vous avez intitulé votre dernier ouvrage « La fin d’un monde ». De quel monde voulez-vous parler ?
Cet ancien monde, c’est celui des vieux réflexes. On persiste, par exemple, à considérer comme tels les pays « émergeants ». Alors qu’ils ont émergé depuis bien longtemps. On oublie que depuis 15 ans, 80% de la croissance mondiale vient justement de ces zones. Pendant ce temps, c’est nous qui « immergeons », car nous continuons de vouloir solutionner les problèmes, actuels et à venir, avec des modèles du passé.
Dès qu’il y a une difficulté, on augmente la dépense publique, et donc les impôts. Un exemple très récent : l’affaire Alstom. Cela fait dix ans qu’on sait qu’il y a des problèmes avec le site de Belfort. Et l’on nous dit aujourd’hui que l’Etat va devoir passer des commandes publiques, alors qu’il n’y a pas de demande, voire nationaliser.
Cela n’a plus aucun sens. Il faut savoir qu’on a une dépense publique qui représente environ 57% du PIB, c’est l’un des niveaux les plus élevés du monde, avec en corollaire une fiscalité devenue prohibitive. On s’offusque des entreprises qui partent investir à l’étranger, mais malheureusement, dans un monde ouvert, c’est logique.
Avec un Etat pléthorique, une dette publique massive et des syndicats qui bloquent systématiquement toute tentative de réforme, on finirait par croire que la France est condamnée au déclin. Quelles portes de sortie proposez-vous ?
Je ne suis pas « déclinologue », mais réaliste. Au niveau de la politique économique, il faut bien sûr optimiser la dépense publique et baisser les impôts pour tous, entreprises et ménages. On ne peut pas se contenter de ne faire que de la rigueur, regardons comment cela s’est terminé en Grèce.
Il faut de la rigueur ET des baisses d’impôts, mais aussi des baisses de charges sur les entreprises qui permettent d’augmenter les salaires. C’est ainsi que vous redonnez de l’espoir. Il faut également fluidifier le marché du travail, qui est beaucoup trop rigide et faciliter l’innovation, en supprimant le principe de précaution et en créant des fonds d’investissement dédiés. Les recettes existent, elles ont déjà été appliquées en Allemagne, au Royaume Uni, un peu en Espagne, et on a pu constater que ça marche.
Le problème ne réside-t-il pas, ainsi que vous l’écrivez vous-même, en ce que « les Français ne savent pas faire des réformes, seulement des révolutions » ?
Je crois que les économistes, mais aussi les journalistes et les hommes politiques ont une responsabilité : c’est de dire la vérité. Si l’on ne prend pas conscience du monde qui vient, de ses évolutions, de ses dangers aussi, alors ce qui est impensable aujourd’hui peut se produire demain.
Je pense que, malheureusement, on manque de culture économique en France. On a une culture de lutte des classes. C’est un vrai drame, car cela contamine parfois jusqu’aux chefs d’entreprise. Certains m’ont dit: « Finalement, Jean-Luc Mélenchon n’a pas complètement tort ». Ça fait quand même froid dans le dos. Car la fin, hélas, on la connaît : c’est l’appauvrissement généralisé. On égalise par le bas.
D’autre part, même si la probabilité d’une victoire du Front National en 2017 reste faible, on a potentiellement 40% de l’électorat qui s’est porté sur eux aux dernières régionales. Je vais beaucoup en province, où je rencontre des entrepreneurs, des directeurs financiers de grosses sociétés qui me disent qu’ils vont voter pour le FN. Ce à quoi je réponds : attention, avec la fin de la zone euro, ça peut être dangereux.
J’ai parfois le sentiment que tant qu’on n’a pas subi quelque chose de grave, on ne comprend pas. On a l’impression que la France est intouchable. C’est ce que j’appelle un aléa moral.
Vous dites ne pas croire que la France puisse être réformée en douceur et préconisez une « thérapie de choc ». Selon vous, qui serait capable de la mettre en oeuvre ?
Celui qui se rapproche le plus de ce que je propose, c’est François Fillon. Ceci dit, une fois élu, va-t-il pouvoir le faire ? Le danger, c’est de continuer dans le marketing. Hollande est très bon de ce point de vue, il nous a endormis et pas grand chose n’a été accompli.
J’ai le sentiment que beaucoup s’accommodent de cette situation. Lorsque j’ai sorti mon précédent livre « Guérir la France, la thérapie de choc », certains journalistes, même certains chefs d’entreprise m’ont dit que j’allais trop loin. Finalement, on est bien comme nous sommes, avec une croissance molle… On a des aides, la Banque Centrale Européenne injecte des liquidités.
J’appelle cela de la morphine : on ne sent pas la douleur, mais le malade n’est pas pour autant guéri. Ce qui est sûr, c’est qu’on va devoir moderniser l’économie française, tôt ou tard. Soit dans la douceur, ce que malheureusement on aurait dû faire depuis longtemps, soit dans la douleur, après un clash politique.
Concernant le Brexit, nombreux sont ceux qui prophétisaient l’apocalypse. Celle-ci semble se faire attendre.
Je pense que ceux qui sont le plus menacés par le Brexit, paradoxalement, ne sont pas les Anglais eux-mêmes, mais l’Union Européenne. Les Anglais ont pris une décision malheureuse, mais c’est la leur. Ils ont ouvert une boîte de Pandore.
Dans un premier temps, les marchés ont eu très peur car c’était l’inconnu, le saut dans le vide. Personne ne savait comment gérer. Et puis chacun a retrouvé ses esprits, en constatant que la livre sterling avait baissé et que l’économie britannique redémarrait. Je pense que globalement les Anglais vont bien s’en sortir. Ils vont renégocier, ça va sans doute être un peu long et il y aura encore des soubresauts sur les marchés. Mais c’est plus l’Union Européenne qui m’inquiète.
Les partis souverainistes vont dire : « Pourquoi pas nous ? ». Oubliant au passage que tout le monde n’est pas Anglais. Ce qui est possible au Royaume Uni ne l’est pas forcément partout. Leur croissance structurelle – celle qui s’obtient lors d’un fonctionnement normal de l’économie – c’est 2,3%. Alors qu’elle est seulement de 0,8% en France. Si les Anglais prennent une claque, ils peuvent tomber à 1%. Nous, Français, nous retrouverions en négatif.
Plutôt qu’un « Frexit », vous évoquez dans votre ouvrage, en revanche, un éventuel « Gerxit », c’est à dire une sortie de l’Allemagne.
Aujourd’hui, les Allemands sont beaucoup moins prêts à faire des sacrifices pour l’Europe qu’ils ne l’étaient il y a quelques années. Ça a commencé en 2005, avec le référendum sur le traité de Constitution européenne, que les Français ont refusé. Cela n’a pas été compris outre-Rhin.
Ensuite, les Français ont commencé à dire que les Allemands jouaient « perso », alors qu’ils ne font que respecter leurs engagements de diminution de la dépense publique, de rationalisation de l’économie, de baisse des impôts, etc. Ils se demandent donc s’ils vont continuer à payer longtemps pour les déboires grecs, chypriotes ou français.
Ce qui m’inquiète, c’est qu’un jour, ce soient eux qui disent : « on arrête tout ». J’avais rappelé il y a quelques années dans un précédent livre, « Quand la zone euro explosera », une chose simple, qui est d’ailleurs inscrite dans le Traité de Maastricht, c’est que la zone euro n’a de sens que si elle devient politique, fédérale, avec une harmonisation des conditions fiscales, réglementaires, avec un budget fédéral.
On peut être pour ou contre, mais on le sait depuis le début : ça ne peut pas tenir autrement. Donc, il peut se produire un moment où les Allemands voudront revenir à l’idée première, faire une zone euro en petit comité, avec des règles strictes. Ceux qui veulent entrer pourront le faire, mais en respectant les règles.
[ALIRE]
En mandarin, écrivez-vous, le terme de « crise » se décompose en deux mots : Wei, « danger » et Ji, « opportunité ». Dans cette période incertaine, quels conseils pouvez-vous apporter aux entreprises ?
Il faut développer en permanence des stratégies anti-crise. J’en propose quatre : la stratégie de niches, avec des produits ou des services pour lesquels nous sommes les seuls à posséder un savoir faire. Ensuite, le « faire savoir », c’est à dire la communication, qu’on oublie souvent en temps de crise. Troisièmement : l’innovation, qui ne relève pas que de la high-tech.
On peut innover dans ce qui concerne la gestion des clients, les relations comptables, ou avec les fournisseurs. Il nous faut tout le temps avoir cette démarche, pour pouvoir créer une différence et capter de nouveaux marchés. Enfin, quatrième stratégie : l’international. Si l’on reste franco-français, avec la croissance molle que nous avons, hélas de façon structurelle, on est bloqué.
Il faut donc investir à travers la planète, car les produits français ont encore une bonne image et on doit en profiter. On dit souvent que les entreprises françaises ne sont pas compétitives. C’est complètement faux. Elles sont bien plus compétitives que leurs concurrentes allemandes, américaines ou anglaises. Dans ces pays, on fait tout pour l’entreprise : on baisse les impôts, les charges, on fluidifie le marché du travail. Et en plus, il y a de la croissance.
Tandis que chez nous, on n’a jamais eu autant d’impôts, le marché du travail est extrêmement rigide, son coût très élevé. Il n’y a pas de croissance. Et pourtant nos entreprises s’en sortent. Ça veut dire qu’elles sont beaucoup plus aguerries que les autres. Il suffirait qu’on fasse un petit peu de réformes et ce serait le pactole.