Tribune. Trop souvent depuis quelques temps maintenant, Marseille se retrouve régulièrement à la une de tous les journaux pour ses affaires de drogue et de corruption, et ne cesse de faire parler d’elle dans les médias, avec force éclats de voix et grand tumulte. Et ça ne date pas d’aujourd’hui ! Déjà, en 1959, dans une Vème République qui faisait ses premiers pas, on la haranguait en musique, « Marseille, tais-toi Marseille, tu cries trop fort… », mais cette chanson célébrait alors un port au charme suranné d’opérette, la Marseille du Bar de la Marine, de Marcel Pagnol et de la Canebière, où des hommes hauts en couleurs et fort en gueule, à l’image du grand comédien Raimu, jouaient à la belote, attablés à une terrasse de café d’où ils voyaient défiler le monde entier. Bien loin de la Marseille en rémission au chevet de laquelle s’est précipité Emmanuel Macron, une cassette pleine d’or dans les mains, tel un Roi Mage à l’Epiphanie.
Le Président et les « sifflets de chien »
Le 2 septembre dernier, Emmanuel Macron tient dans cette ville un discours qu’il veut fondateur, sur le thème « Marseille en grand ». Pendant près de deux heures, il va y exposer en détail son plan pour sauver cette ville de la délinquance et de la misère, se livrant à un subtil exercice de style décrit par Ian Haney Lopez, professeur de droit à l’Université de Berkeley, comme « la politique des sifflets de chiens », par analogie avec les sifflets à ultrasons que les éleveurs utilisent pour éduquer leurs chiens.
Contrairement aux êtres humains, dont l’oreille ne peut pas percevoir les fréquences ultrasoniques, les chiens les entendent, et donc, même au milieu de bruits de fond, aussi anodins et familiers qu’ils soient, l’animal va identifier le son précis émis par son maître, et répondre à son appel. Ian Haney Lopez va en faire une métaphore pour désigner un discours politique à l’air neutre et consensuel, mais qui permet de faire passer aux électeurs de son camp un message beaucoup moins « politiquement correct », que seuls eux comprendront.
Un exemple célèbre est fourni par une journaliste du Wall Street Journal, propriété du républicain Rupert Murdoch, lors de la course à la Maison Blanche de 2009; elle écrit dans ses colonnes que Barack Obama, du camp adverse des démocrates, ne pourra pas devenir Président des Etats-Unis, parce qu’il est « trop maigre », comparé à la plupart des américains.
Cet article est un « sifflet de chien », une affirmation cachée sous une autre, parce que, si vous visualisez le physique d’Obama au milieu d’un groupe d’Américains moyens, ce qui vous apparaîtra en premier, ce ne sera pas son poids, mais la couleur de sa peau ! Le très conservateur journal a ainsi pu affirmer, sans en avoir l’air, qu’un Noir ne saurait être élu Président des Etats-Unis. Entende qui pourra, et surtout qui voudra…
Un peu dans le même registre, le Président français a émaillé son discours d’un certain nombre de légers « sifflotements » ; ainsi, quand il exposera le problème des élèves « allophones » dans les écoles des quartiers nord de la ville. Est « allophone » en France un enfant dont la langue maternelle n’est pas le français, or, si vous imaginez les cours de récréation de ces écoles-là, ce ne sont probablement pas des enfants japonais ou britanniques que vous y verrez !
Un autre exemple pourrait s’être caché dans la promotion de l’entreprenariat dans les quartiers, telle que l’a faite, consciemment ou non, Emmanuel Macron, en mettant en avant « l’esprit de débrouille », qui y règne. « Esprit de débrouille » ou « petits trafics en tous genres » ? La question se pose, surtout lorsqu’il s’agit des petits « guetteurs », jeunes ados en rupture scolaire, qui gagneraient plus de 2000€ par mois !
La malédiction du Pharo
C’est devant le palais du Pharo que Macron a prononcé son discours, mais en connaît-il l’histoire et en a-t-il vraiment mesuré toute la portée symbolique ? « Le Port de Marseille mérite des investissements massifs » a-t-il déclaré, emboîtant ainsi le pas à Napoléon III, qui, dans les années 1850, a développé une vaste politique de construction et de modernisation de ce lieu, en réaménageant les docks, en ouvrant le port de la Joliette et en faisant percer de grandes avenues. L’Empereur va alors se rendre fréquemment à Marseille, et c’est au cours de l’une de ses visites qu’il va littéralement tomber amoureux d’un site enchanteur, entre mer et jardins, le Pharo, et décider d’en faire l’écrin qui siérait à la beauté de son Eugénie.
Le terrain sera acheté par la municipalité pour l’équivalent de quatre millions de nos euros, et offert à Napoléon III. La première pierre du Palais sera posée le 15 août 1858, mais, rien n’étant trop beau pour magnifier l’Impératrice, plusieurs architectes et de nombreux sculpteurs et décorateurs vont se succéder ; les travaux vont ainsi prendre un retard considérable. Le temps pour Napoléon III de déclarer une guerre et de la perdre ! Contraint de prendre le chemin de l’exil après la défaite de Sedan, le couple impérial n’y séjournera jamais…
Catherine Muller
Docteur en psychologie
Member of the World Council of Psychotherapy
Member of the American Psychological Association