Martial Guiette, qui a repris le Domaine des Roques de Cana il y a 8 ans, veut en faire une référence du vin de Cahors, au même titre que le Château Lagrézette. Également fondateur et président d’Eduniversal, devenu leader mondial des classements universitaires, ce diplômé en droit des affaires réalise son rêve avec ce magnifique domaine viticole.
Comment êtes-vous devenu entrepreneur ?
Martial Guiette : J’avais fait beaucoup d’études, à l’époque, il fallait faire un choix de discipline, les passerelles étaient peu nombreuses. Je trouvais que pour être libre d’agir, de penser, de réfléchir, il fallait avoir une culture plurielle. Après toutes ces années, je me suis aperçu que la stratégie d’orientation était essentielle. Il ne faut pas se lancer sans idée de sa trajectoire future. Les nombreuses erreurs de voies créent des personnes frustrées, qui, au lieu de travailler sur leurs talents, s’ennuient au travail alors qu’il s’agit d’une grande partie de leur vie. J’ai donc eu l’idée de créer un cabinet de stratégie à destination des particuliers pour qu’ils s’épanouissent dans leur vie professionnelle en examinant les chemins possibles pour un choix éclairé. Cette première aventure a duré un peu moins de dix ans et a été remplacée par l’activité d’agence de notation. Internet a facilité les choses. Grâce à notre expertise sur chaque spécialité, nous avons commencé à produire des classements pour aider les étudiants à s’orienter, et sommes devenus une référence en France et à l’international à partir de 2007 lors de notre entrée en bourse.
Est-ce l’amour d’une Toulousaine qui vous a poussé à vous intéresser au vin de Cahors et fonder le domaine Les Roques de Cana, qui s’étend aujourd’hui sur 40 hectares ?
Depuis l’âge de 20 ans, j’ai une passion sous-jacente pour la dégustation de vin et pour le terroir de Cahors. Les deux se sont rencontrés quand je suis allé étudier à Toulouse où j’ai effectivement rencontré ma future épouse. En 2006, j’ai racheté ces terres avec la conscience qu’il s’agissait d’un terroir historique. Saviez-vous que le vin de Cahors était le préféré des Romains, de François Ier, de Pierre le Grand aussi, à tel point qu’il devint le vin de messe de l’Église orthodoxe russe ? Les vignes rachetées étaient alors exploitées par différents propriétaires, mais souvent pour de la vente en coopérative. Notre premier millésime est sorti en 2007.
Pourquoi partir dans cette aventure ?
J’avais la conviction que l’on pouvait faire le meilleur vin du monde, mais ce postulat de départ exigeait d’y mettre les moyens et d’investir sur le temps long, plus long que prévu. Nous avons récupéré un chai, tout réaménagé. J’avais prévu quelques centaines de milliers d’euros qui se sont transformés en millions, j’ai donc dû lever des fonds auprès d’entrepreneurs avec qui nous partagions des valeurs communes. Pour compléter, nous avons approché des personnes fortunées qui pouvaient défiscaliser. La Financière d’Uzès, une institution formidable, m’a beaucoup soutenu dans ce sacerdoce grâce à Dominique Goirand et Alfonso Lopez de Castro.
Ces efforts ont été gagnants ?
Le résultat est contrasté, car on peut l’évaluer par le critère de la compétition ou de l’argent. Il a fallu beaucoup investir sans rien gagner du fait des charges, en revanche, il y a eu des bonheurs immédiats et très forts, avec une médaille d’or pour le premier millésime au salon de l’agriculture, l’année suivante aussi. Et la nomination « Meilleur Malbec du monde » sur Vinexpo 2009 sur le 2007, une consécration, un rêve devenu réalité. Le domaine des Roques de Cana a rencontré pas mal de tentatives de prédation, j’ai eu maille à partir avec des personnes mal intentionnées qui ont tenté de s’emparer du domaine.
Il faut croire que l’image de Jésus sur la bouteille n’a pas plu. Ils ont dépensé de l’argent et de l’énergie pour nous détruire sans y parvenir. Finalement, nous nous sommes faits plus discrets en nous orientant sur l’international et les choses se sont apaisées. Nos vins ressortent souvent à 93/94 sur 100 dans les classements étrangers.
Le vin de Cahors ne souffre-t-il pas d’un problème de sous-notoriété ?
Le Cahors est très, très bon, je ne dis pas cela parce que j’y ai mon domaine, mais nous avons de grands rouges, très proches de Bordeaux, les dégustations à l’aveugle le prouvent. Une guerre terrible a toujours existé entre les deux terroirs, depuis la Révolution française qui a permis à Bordeaux de prendre le dessus sur les monarchistes de Cahors. Notre vignoble a failli mourir dans les années 60 pour renaître de ses cendres. Il y avait 72 000 ha de vignes au XIXème siècle, 4 400 ha aujourd’hui. Alain-Dominique Perrin, ancien patron de Richemont-Cartier et propriétaire de Château Lagrézette, s’est passionné pour le Malbec, il a été porteur d’une initiative pour classer Grand Cru le vin de Cahors.
Malheureusement, l’opposition l’a emporté au niveau local, une sorte de suicide collectif incompréhensible et aberrant pour ceux qui ne connaissent pas ce milieu. Aujourd’hui, le projet est toujours dans les tiroirs, mais n’avance pas. Sur un plan objectif et professionnel, il faut absolument obtenir ce classement, car en ce qui concerne la qualité de vin, il n’y a aucun souci. Peut-être l’aurons-nous quand les Bordelais seront propriétaires… Les Roques de Cana ont failli se faire racheter par les Chinois à plusieurs reprises, nous avons tenu, depuis dix ans, qu’ils essaient avec de gros budgets.
Nous aurions pu imaginer une participation, pas plus. En revanche, nous avons un Chinois amoureux des Roques de Cana. Ce passionné de la France a le monopole de l’importation de Petrus en Chine et est devenu un partenaire en participant à la création d’une cuvée destinée à la Chine, 1305, année de l’import du premier tonneau de Cahors en Chine.
L’export est important pour vous ?
Au départ, 80 % de notre chiffre d’affaires était à l’export, dont 70 % en Chine. Depuis huit ans, nous vendons de plus en plus en France, notamment par les circuits internet en vente directe. Nous réalisons aujourd’hui 60 % de nos ventes en France et disposons d’un stock qualitatif qui permet d’alimenter la croissance future du domaine. D’autant qu’après trois ans de conversion, nous passons au biologique sur le domaine, notre premier millésime va sortir. C’est une aventure exaltante, dans un pays qui reste le berceau et la référence du vin.
Anne Florin
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